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Le roman peut-il proposer une vision objective de la réalité ?

Publié le 30/06/2009

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Le roman est un genre littéraire aux contours mouvants, caractérisé pour l'essentiel par une narration fictionnelle plus ou moins longue, ce qui le distingue de la nouvelle (celle-ci étant traditionnellement un genre littéraire de faible durée). Le roman peut également être défini comme un ouvrage en prose, laissant une forte place à l’imaginaire. Milan Kundera le caractérise comme « forme exploratoire de la vie « en tant qu’il se rapporte aux incarnations diverses de la vie humaine au cours de l’histoire, dont il essaye de traduire, au moins formellement, la singularité.

 

En employant le terme de réalité, nous faisons le plus souvent référence à l’ensemble des choses dont nous avons une expérience sensible. En effet, la réalité est ce qui se présente à nous, nous entoure, ce que nous appréhendons au moyen de nos sens et qui constitue l’univers dans lequel nous nous mouvons et vivons notre vie. La réalité est donc, entendue dans le sens de son extension maximale, ce qui constitue le cadre et le contenu de notre expérience.

Lorsque nous parlons d’une vision objective de quelque chose, nous parlons d’une vision qui s’efforce de faire l’ascèse des particularités subjectives de celui qui regarde pour ne présenter que la chose elle-même, et non un jugement sur celle-ci. Une vision objective est donc celle qui s’efforce de débarrasser la chose sur laquelle elle se porte de tout ce qui est de l’ordre du jugement, de l’interprétation, de tout ce qui trahit l’opinion mais aussi l’existence du sujet regardant, pour ne présenter que l’objet, et rien d’autre. Une vision objective est donc une représentation d’une chose débarrassée de tout jugement extérieur.

En nous demandant si le roman peut proposer une vision objective de la réalité, nous ne pouvons qu’être inclinés à dire « oui « par notre connaissance de l’école romanesque dite « réaliste «. En effet, des romanciers tels Balzac et Maupassant, se sont efforcés d’exprimer la réalité qu’ils avaient sous les yeux sans la farder, ni la modifier. Mais ne pouvons-nous croire que loin de proposer une vision objective de la réalité, le roman en est irrémédiablement incapable car il émane nécessairement d’un artiste qui exprime des particularités subjectives qui lui sont propres alors même qu’il prétend ne représenter que la réalité, et rien d’autre. Et allant plus loin, ne pouvons-nous dire que le roman n’est pas une forme d’art qui se propose de donner une vision objective de la réalité, puisqu’il s’agit au contraire d’une forme littéraire rivalisant avec la réalité elle-même pour la recréer, non pas objectivement, mais renouvelée.

La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si le roman est le reflet objectif de la réalité ou sa recréation singulière ? 

« Allant plus loin, nous pouvons dire que les romanciers du XIXe siècle se sont efforcés de proposer dans leurs œuvresune vision objective de la réalité, particulièrement ceux appartenant à l'école réaliste ou à l'école naturaliste.

Enquête d'une respectabilité pour leurs productions, ils se sont donnés pour but d'étudier la réalité, de la représentersans fard, sans rien omettre de ce qu'elle comprend, notamment les réalités qui n'avaient pas le droit d'apparaitre enlittérature avant eux.

C'est ce qu'entreprend par exemple Zola dans l'extrait suivant qui décrit la fécondation d'unevache : « Jean et Françoise, gravement, les mains ballantes, attendaient.

Et quand il fût prêt, César monta sur la Coliche,d'un saut brusque, avec une lourdeur puissante qui ébranla le sol.

Elle n'avait pas plié, il la serrait aux flancs de sesdeux jambes.

Françoise dut lever le bras d'un grand geste, elle saisit à pleine main le membre du taureau, qu'elleredressa.

Et lui, quand il se sentit au bord, ramassé dans sa force, il pénétra d'un seul tour de reins, à fond.

Puis, ilressortit.

C'était fait : le coup de plantoir qui enfonce une graine.

Solide, avec la fertilité impassible de la terrequ'on ensemence, la vache avait reçu sans un mouvement, ce jet fécondant du male ».

Emile Zola, La Terre . La description dans le roman naturaliste intervient comme un outil de représentation objective de la réalité puisquele romancier ne tait aucun aspect, y compris trivial, de ce qu'il s'efforce de montrer. II.

Le roman échoue à proposer une vision objective de la réalité a.

Le réalisme romanesque est toujours une œuvre poétique et subjective Cependant, nous ne pouvons en rester à une telle thèse.

En effet, si le roman prétend proposer une vision objectivede la réalité, notamment le roman dit réaliste ou naturaliste, il n'en reste pas moins qu'il échoue toujours dans cetteambition, comme l'atteste l'extrait suivant : « C'était l'époque où la Beauce est belle de sa jeunesse, ainsi vêtue de printemps, unie et fraiche à l'œil, en samonotonie.

Les tiges grandirent encore, et ce fut la mer, la mer des céréales, roulante, profonde, sans bornes.(…) Continuellement, une ondulation succédait à une autre, l'éternel flux battait sous le vent du large.

Quand lesoir tombait, des façades lointaines, vivement éclairées, étaient comme des voiles blanches, des clochersémergeant plantaient des mâts, derrière des plis de terrain.

Il faisait froid, les ténèbres élargissaient cettesensation humide et murmurante de pleine mer, un bois lointain s'&évanouissait, pareil à la tâche perdue d'uncontinent ».

Emile Zola, La Terre . Cet extrait montre bien que le roman qui prétend proposer une vision objective de la réalité est toujours marqué parla présence de l'auteur.

Quand bien même Zola s'efforce de décrire dans ce passage les blés de la Beauce, ce n'estpas objectivement qu'il les évoque, c'est au contraire en les associant poétiquement au spectacle de la mer.Quelque chose de l'observateur lui-même se glisse dans la description, quelque chose de nature intime qui fait de sareprésentation prétendument objective de la réalité une recréation poétique et subjective de cette dernière. b.

Le roman matérialise une vision subjective de la réalité Allant plus loin, nous pouvons avancer que le roman n'a de valeur que parce qu'il n'est pas qu'une vision objectivede la réalité, mais au contraire parce qu'il en propose une vision subjective qui renouvelle la perception du monde quinous entoure.

En effet, alors que la nature n'est que rarement un objet de contemplation pour les hommes, qui secontentent de la traverser ou d'entretenir un rapport pratique avec elle, les romanciers nous apprennent par leursœuvres à la considérer, d'une part, mais aussi à la considérer chargée de significations nouvelles.

Telle est la thèsede Marcel Proust dans cet extrait de « A la recherche du temps Perdu » : « Et voici que le monde (qui n'a pas été crée une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu) nousapparait entièrement différent de l'ancien, mais parfaitement clair Des femmes passent dans la rue, différentes decelles d'autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir ou nous nous refusions jadis à voir des femmes ».

Marcel Proust, Le côté de Guermantes . Les romanciers ne se contentent jamais de proposer une vision objective de la réalité.

Quelque chose d'eux-mêmesse glisse toujours dans leur représentation, qui lui ait perdre toute objectivité.

Voilà pourquoi nous n'avons jamaisaccès à la réalité dans le roman, mais plutôt au réel, c'est-à-dire à une reconstruction subjective du donné dont leromancier à fait l'expérience directe dans le monde.. »

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