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L'efficacité en politique est-elle un critère de valeur ?

Publié le 28/02/2004

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Il s'agit donc de s'interroger sur ce que peut l'homme et plus précisément l'homme politique confronté à la prétendue fortune. Le chapitre 25 débute de la sorte : « Je n'ignore pas que beaucoup ont été et sont dans l'opinion que les choses du monde soient de telle sorte gouvernées par la fortune et par les dieux, que les hommes avec leur sagesse ne puissent les corriger (...) Cette opinion a été plus en crédit de notre temps à cause des grands changements qu'on a vus et voit chaque jour dans les choses, en dehors de toute conjecture humaine. » Cette opinion commune, alimentée par les malheurs du temps, l'instabilité politique propre à l'Italie de la Renaissance, amène à une sorte de désespoir. L'action humaine serait vaine et réduite à l'impuissance face à la Providence et à ses desseins impénétrables (la Providence répond à cette idée que le cours de l'histoire est régi par la volonté divine) ou encore face à la puissance aveugle et hasardeuse de la fortune. Or cette conception ruinerait toute tentative machiavélienne et plus radicalement tout essai de penser l'action politique et ses conditions. Ce chapitre s'inscrit donc au coeur de deux préoccupations propres à Machiavel. D'une part il s'agit comme dans tout le « Prince » de proposer les conditions d'une action politique efficace, et d'une stabilité politique qui fait cruellement défaut à l'Italie. D'autre part, Machiavel balaye toute différence entre histoire sacrée et histoire profane : ainsi comme il avait précédemment éliminé toute différence essentielle entre un législateur sacré comme Moise et un législateur profane, comme Thèsée ou Lycurgue, Machiavel place-t-il ici la Providence et la Fortune sur le même plan. La formule ici éclaire le double projet de Machiavel dans notre passage.

« au Prince qui se veut conserver qu'il apprenne à pouvoir n'être pas bon, et d'en user ou n'user pas selon lanécessité.

».Après avoir, dans les premières pages du « Prince », envisagé les différentes formes de gouvernement,Machiavel décide de centrer son propos sur la situation qui peut paraître la plus précaire, celle d'un princenouveau et qui a été mis en place par une armée étrangère.

Quels principes doit mettre en oeuvre ce princepour se conserver et pour conserver son pouvoir ? Le « Prince » tout entier se propose de répondre à cettequestion.Machiavel pense que l'on peut tirer des leçons de l'histoire.

En étudiant le comportement des grands hommes,en analysant les causes de leurs échecs ou de leurs succès, il est possible de dégager les principes surlesquels pourra se fonder une action politique.

Sa conclusion est claire : on ne fait pas de bonne politiqueavec de bons sentiments.Il n'est pas important pour le « Prince » d'être bon ou de ne pas l'être.

Celui-ci doit avoir la ruse du renard «pour connaître les filets » et la force du lion « pour faire peur aux loups ».

L'exemple à suivre est celui del'empereur Sévère qui « fut un très féroce lion et un très astucieux renard ».« Il faut donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par des lois, l'autre par la force ; la premièreforme est propre aux hommes, la seconde propre aux bêtes ; comme la première bien souvent ne suffit pas, ilfaut recourir à la seconde.

Ce pourquoi est nécessaire au Prince de savoir bien pratiquer la bête et l'homme.

»La même idée que la fin justifie les moyens est exprimée dans les « Discours » : « Un esprit sage necondamnera jamais quelqu'un pour avoir usé d'un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchieou pour fonder une république.

Ce qui est à désirer, c'est que si le fait l'accuse, le résultat l'excuse.

»Ce réalisme, bien loin de la morale humaniste ou de la morale chrétienne, apparaît, à première vue, tout à faitdénué de machiavélisme.

Dans son acception courante, ce terme évoque, en effet, des manoeuvrestortueuses, le recours au secret.

Rien de tout cela ici, mais seulement un exposé lucide dans lequel il n'estpas toujours facile de percevoir la marge d'ironie.

Ce « machiavélisme » apparaît cependant dans les conseilscomplémentaires.

Le prince doit « savoir entrer dans le mal s'il y a nécessité », mais il veillera cependant àsauver sa réputation.

Il fera prendre les mesures impopulaires par quelqu'un d'autre, se réservant celles quiont la faveur du peuple.

Il sera renard : « Mais il est besoin de savoir bien colorer cette nature, bien feindreet bien déguiser.

» Machiavel ajoute que les hommes sont si simples et tant soumis aux nécessités du présentque celui qui trompe trouvera toujours quelqu'un prêt à se laisser tromper.

Il importe donc avant tout depréserver ce que l'on n ‘appelait pas encore son « image de marque » : « il n'est donc pas nécessaire à unPrince d'avoir toutes les qualités dessus nommées, mais bien il faut qu'il paraisse les avoir.

»Un exemple parmi d'autres de ces pratiques, qui laissa Machiavel frappé de stupeur, mais sans doute aussiadmiratif : César Borgia, pour faire régner l'ordre en Romagne, donna toute puissance à l'un de ses hommes deconfiance connu pour être cruel & expéditif.

La paix établie, pour éviter que l'opprobre ne s'attache à sapropre personne, il fit exécuter l'officier, exposant son corps coupé en deux morceaux sur une place publique.Bel exemple de duplicité et de détermination.

Borgia possédait la « virtù ».Le Prince ne se souciera donc pas de ce qu'exige la morale, mais il veillera à manipuler l'opinion pour asseoir saréputation.

La chose est aisée du fait de la crédulité du peuple.

« Les hommes, en général, jugent plutôt auxmains qu'aux yeux.

»« Qu'un Prince donc se propose pour but de vaincre, et de maintenir l'Etat ; les moyens seront toujoursestimés honorables et loués de chacun ; car le vulgaire ne juge que de ce qu'il voit et de ce qui advient ; oren ce monde il n'y a que le vulgaire ; et le petit nombre ne compte pour rien quand le grand nombre a de quois'appuyer.

» Rousseau estime que ce penseur politique a été encore plus subtilement machiavélique qu'on ne le pense.

Enfaisant semblant de donner des conseils à un prince sur la façon de manipuler les foules, il aurait en faitdévoilé aux peuples la manière dont ils sont grugés : « En feignant de donner des leçons aux rois, il en adonné de grandes aux peuples.

Le Prince de Machiavel est le livre des républicains.

»Spinoza pensait déjà de même : « Peut-être Machiavel a-t-il voulu montrer qu'une masse libre doit, à toutprix, se garder de confier son salut à un seul homme [...] Cette dernière intention est, quant à moi, celle queje serais porté à prêter à notre auteur.

Car il est certain que cet homme si sagace aimait la liberté et qu'il aformulé de très bons conseils pour la sauvegarder.

» La théorie est toujours dépassée par les événementsAinsi que l'écrit Julien Freund dans Qu'est-ce que la politique?, «il appartient à l'essence du politique d'êtreaction».

Citant Saint-Just, qui dit que «la force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquelsnous n'avons pas pensé», il montre qu'en dernier lieu, la théorie finit toujours par être disqualifiée par lacomplexité des circonstances. Savoir n'est pas pouvoirUne chose est de réfléchir sur l'essence du politique, autre chose est de prendre la bonne décision au bonmoment.

Ce n'est pas sur ses qualités de réflexion que l'on juge un homme politique, mais sur son aptitude àagir aussi promptement qu'efficacement.

Sur le pragmatisme en politique, on tirera profit à nouveau de lalecture de Machiavel: C'est au chapitre 25 du « Prince » : « Ce que la fortune peut dans les choses humaines et comment on peutlui résister », que l'on retrouve la formule : « il est meilleur d'être impétueux que circonspect, car la fortuneest femme, et il est nécessaire à qui veut la soumettre de la battre et la rudoyer ».Machiavel utilise le terme fortune dans son sens traditionnel de puissance aveugle, régie par le hasard, qui. »

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