Les derniers hommes de F. NIETZSCHE
Publié le 05/01/2020
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Les derniers hommes
F. NIETZSCHE (1844-1900)
Nietzsche voit dans la croyance au progrès une manifestation du « besoin de certitude » qui se développe dans le nihilisme européen. Il décrit avec férocité (mais avec lucidité) les « derniers hommes », nos contemporains.
« Nous avons inventé le bonheur », - disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.
Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
« Autrefois tout le monde était fou », - disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.
On est prudent et Ton sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l'on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt ! - car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
« Nous avons inventé le bonheur », - disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1883), Prologue, 5, trad. H. Albert, Mercure de France, 1901, p. 19.

«
POUR MIEUX ÇOMPRENDRE LE TEXTE
Le nihilisme européen ne cesse pas de s'accentuer au
cours du x1xe siècle et Nietzsche prédit que le xxe siècle
sera « l'âge classique des grandes guerres ».
Le paradoxe
est que les derniers hommes non seulement n'en sont pas
conscients, mais que, même, ils croient avoir « inventé le
bonheur», c'est-à-dire la paix, la prospérité, une société
égalitaire.
Or ce « petit » bonheur résulte d'un instinct de
faiblesse, d'une incapacité à supporter la solitude (vie en
troupeau).
les souffrances causées par les choses et les
hommes (usage de la drogue) ou la pensée de la mort
(recours à l'euthanasie).
Comme chez tous les êtres faibles
et malades, le souci de la santé devient dominant, obsé
dant.
Le type moyen, c'est-à-dire médiocre, s'impose, au
point que les individus qui s'en écartent sont considérés et
se considèrent eux-mêmes comme malades mentaux
(selon des normes fixées par enquête statistique).
Ce petit bonheur attire les foules ; et pourtant, les der
niers hommes sont des nihilistes, mais ils ne le savent pas,
ou plutôt ne veulent pas le savoir.
Refusant toute autorité,
sans doute sont-ils athées, mais ils n'accèdent pas au pes
simisme lucide et tragique des philosophes (voir texte 4).
Nietzsche a été accusé d'exalter une volonté de puis
sance violente et dominatrice.
C'est un contresens car;
pour lui, la volonté de puissance est présente partout et
toujours, qu'elle soit affirmative, ou, comme dans le nihi
lisme, négative, retournée contre elle-même.
Les derniers
hommes sont « petits » et veulent tout rapetisser, mais,
par là même, ils pullulent (développement démogra
phique), et ce sont eux qui vivent le plus longtemps, satis
faisant ainsi leur propre volonté de puissance..
»
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