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Les hommes peuvent-ils se passer de toute religion ?

Publié le 30/01/2012

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Le sacré, c'est tout ce qui maîtrise l'homme d'autant plus sûrement que l'homme se croit plus capable de le maîtriser.

Qu'à titre individuel les hommes puissent se passer de religion, cela semble en Occident, et depuis longtemps, une évidence criante, même si quelques esprits forts, et non des moindres, se montrent plus circonspects. On raconte que Hume, reçu chez le baron d'Holbach, lui confia avec malice n'avoir peut-être encore jamais rencontré un seul homme parfaitement athée, et que son hôte crut le déniaiser en lui répondant : « Mais, cher ami, vous en voyez ici une vingtaine autour de cette table ! « Admettons, pour le moment, le point de vue du baron ou plutôt constatons que, sous nos cieux au moins, il tend à devenir majoritaire. Mais, à supposer que les individus puissent facilement se soustraire à toute obédience religieuse, qu'en est-il des sociétés humaines ?

Les phénomènes religieux étant, par nature, des phénomènes publics, c'est en effet d'abord sous un angle collectif que la question doit être abordée. Il n'y a pas, à proprement parler, de religion privée. C'est un point essentiel que même un auteur aussi réducteur que Freud avait bien compris lorsque, au lieu de décrire la religion comme une névrose universelle, c'est-à-dire un trouble individuel agrandi à la dimension de l'humanité, il définissait la névrose obsessionnelle comme une « religion déformée «, c'est-à-dire une « formation asociale « qui cherche « à réaliser avec des moyens particuliers ce que la société réalise par le travail collectif2 «. On ne saurait mieux reconnaître que la religion est avant tout une institution. L'auteur de Totem et tabou avait, on le sait, de bonnes lectures — Tylor, Robertson Smith, Frazer, Durkheim, entre autres — auxquelles il est toujours bon de se reporter, ne serait-ce que pour baliser le champ de notre enquête.

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« monde religieux non plus comme une réalité propre, ou une simple fiction, mais comme une illusion nécessaire dont la disparition exigera un « long et douloureux développement » des sociétés humaines.

Enfin, on peut concevoir la coercition religieuse comme due à un processus d'auto -constitution et d'autorégulation des sociétés humaines, échappant en grande partie aux individus qui en sont les acteurs.

C'est la thèse de Durkheim, que des travaux plus récents sont venus renforcer et préciser, selon laquelle le religieux serait, parmi les hommes, le systè me générateur et peut -être aussi le noyau constitutif de toute entité collective stable, à défaut de quoi elle se réduirait à un agrégat erratique d'individus ou de groupuscules.

Nous allons regarder d'un peu plus près chacun de ces points de vue, en essay ant de montrer que le dernier est celui pour lequel on possède les arguments les plus probants.

La religion des Lumières ou la naïveté des démystificateurs Comme nous abordons d'entrée de jeu la question dans une perspective anthropologique, nous ne nous a ttarderons pas sur le premier point de vue, celui de l'origine transcendante du religieux.

Remarquons toutefois que ce point de vue est bien loin d'être méprisable.

C'est, pourrait -on dire en termes pascaliens, celui du peuple qui « a les opinions saines » , quoiqu'il mette souvent la vérité « où elle n'est pas5 ».

Les hommes se sont presque toujours et partout sentis liés à des puissances extérieures.

Le discours religieux traditionnel décrit bien ce sentiment universel, il a seulement tort d'ériger en abso lu la forme particulière qu'il revêt ici ou là.

Mais cette erreur est vénielle.

La variété des manifestations religieuses et même l'étrangeté de certaines d'entre elles — par exemple, la divinisation de la fièvre, de la peste ou de la guerre —, loin de les discréditer toutes, sont plutôt le signe d'un ancrage nécessaire de l'humain dans le supra humain6.

Chacune d'elles témoigne d'une pareille exigence, quoique de façon obscure, comme la conscience religieuse a souv ent la sagesse de le confesser.

Il est dou x de dominer ses semblables ; les prêtres surent mettre à profit la haute opinion qu'ils avaient fait naître [de leurs pouvoirs] dans l'esprit de leurs concitoyens ; ils prétendirent que les dieux se manifestaient à eux ; ils annoncèrent leurs décrets ; il s prescrivirent ce qu'il fallait croire et ce qu'il fallait rejeter ; ils fixèrent ce qui plaisait ou déplaisait à la divinité ; ils rendirent des oracles ; ils prédirent l'avenir à l'homme inquiet et curieux, ils le firent trembler par la crainte des chât iments dont les dieux irrités menaçaient les téméraires qui osaient douter de leur mission ou discuter leur doctrine.

Pour établir plus sûrement leur empire, ils peignirent les dieux comme cruels, vindicatifs, implacables : ils introduisirent des cérémonies, des initiations, des mystères, dont l'atrocité pût nourrir dans les hommes cette sombre mélancolie, si favorable à l'empire du fanatisme ; alors le sang humain coule à grands flots sur les autels, les peuples subjugués par la crainte et enivrés de super stition ne crurent jamais payer trop chèrement la bienveillance céleste : les mères livrèrent d'un oeil sec leurs tendres enfants aux flammes dévorantes ; des milliers de victimes humaines tombèrent sous le couteau des sacrificateurs ; on se soumit à une m ultitude de pratiques et les superstitions les plus absurdes achevèrent d'étendre et d'affermir leur puissance.

Ce réquisitoire repose sur des observations très justes.

L'existence d'un lien étroit entre le pouvoir et le sacré, la place de choix occupée pa r les rites sacrificiels, et leur ressemblance troublante avec des meurtres, sont des faits dont l'anthropologie reconnaîtra plus tard l'importance.

La manipulation du sacré à des fins diverses est tout aussi indéniable, mais, loin d'expliquer la présence du religieux parmi les hommes, la suppose.

L'existence d'escroqueries ou d'abus de pouvoir commis par des policiers ne permet pas de conclure que la police est une association de malfaiteurs.

De même, les forfaits commis sous couvert de religion n'implique nt pas que le religieux soit, dans son principe, une imposture.

Le « philosophe » doutera de la pertinence de cette comparaison, car il croit savoir ce qui distingue l'institution religieuse de toutes les autres.

Il croit disposer d'une pierre de touche, q u'il nomme la raison, pour faire le tri entre la nature et la convention, entre conventions utiles et conventions nuisibles, et même pour reconstruire toute la société à partir de principes « naturels » et « rationnels ».

À cette aune, les religions instit uées apparaissent comme des montages artificiels et nocifs, ou au mieux insignifiants, que les lumières de la raison doivent faire disparaître, pour laisser place, soit à une « religion naturelle », sans dogmes ni rites, et dépouillée de tout culte extérieur, soit à l'agnosticisme ou à l'athéisme le plus franc.

La religion est ainsi réduite à une affaire d'opinion, de croyance subjective, et cette conception est devenue une idée rectrice de la conscience moderne.

Elle inspire aussi bien la politique agressi ve de déchristianisation conduite par la Révolution française que la pratique tolérante de la Cinquième République qui « respecte toutes les croyances », c'est -à-dire ne reconnaît en fait aucune religion , mais seulement la liberté d'opinion des individus.. »

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