Les raisins de Zeuxis
Publié le 18/03/2015
Extrait du document
Zeuxis peignait des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle que des
pigeons s'y trompaient et venaient les picorer, et Praxeas peignit un rideau qui
trompa un homme, le peintre lui-même. [ ... ]Au lieu de louer des oeuvres d'art,
parce qu'elles ont réussi à tromper des pigeons et des singes, on devrait plutôt
blâmer ceux qui croient exalter la valeur d'une oeuvre d'art en faisant ressortir ces
banales curiosités et en voyant dans celles-ci l'expression la plus élevée de l'art.
On peut dire d'une façon générale qu'en voulant rivaliser avec la nature par l'imitation,
l'art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver
faisant des efforts pour égaler un éléphant. Il y a des hommes qui savent imiter les
trilles du rossignol, et Kant a dit à ce propos que, dès que nous nous apercevons
que c'est un homme qui chante ainsi, et non un rossignol, nous trouvons ce chant
insipide. Nous y voyons un simple artifice, non une libre production de la nature
ou une oeuvre d'art.
Hegel, Introduction à l'Esthétique,
trad. S. Jankélévitch, Flammarion.
«
Les raisins de Z-euxis 109
à une simple reproduction, car elle reconstruit pour rendre
présent, comme dans la restitution de la perspective.
L'art ne
peut imiter la nature qu'en la créant à son tour, en la recréant.
La nature elle aussi semble imiter l'art, lorsque sa perfection
invite à la regarder comme si elle était l'œuvre d'une disposi
tion créatrice.
Platon s'en prend à ces illusionnistes qui modifient les
colonnes des temples, légèrement inclinées pour la perspec
tive, en amincissant leur partie haute afin qu'elles paraissent
droites à l'œil qui les perçoit d'en bas.
Il refuse le simulacre et
préfère la simple imitation de ce qui apparaît, car au moins
elle ne donne pas à saisir ce qui n'est pas, et ne dissimule pas
ce qui est.
Ainsi la peinture égyptienne n'aboutit pas à un
trompe-1' œil qui confond le modèle et la copie.
Il faut donner
à voir la représentation pour ce qu'elle est.
Le simple effet
d'illusion, quelle que soit l'habileté dont il relève, est alors mis
en cause, et l'on peut s'interroger sur sa raison d'être.
À quoi bon cependant reproduire les objets sensibles, et
faire de la peinture un miroir stérile du réel immédiat? Platon
ferait remarquer que les objets sensibles eux-mêmes ne sont
que des copies imparfaites des modèles idéaux où se resserre
l'essence des choses.
Tout mimétisme à leur égard serait donc
nécessairement voué à reproduire leur imperfection.
Il faut
rappeler ici la fameuse image des trois lits (Platon, La Répu
blique,
X, 597b-d) :
Ainsi, il y a trois sortes de lits ; l'une qui existe dans la nature des
choses,
et dont nous pouvons dire je pense, que Dieu est l'auteur -
autrement qui serait-ce ? ...
Personne d'autre, à mon avis.
Une seconde est celle du menuisier.
Oui.
Et une troisième, celle du peintre, n'est-ce pas?
Soit.
Ainsi, peintre, menuisier, Dieu, ils sont trois qui président à la façon
de ces trois espèces de lits.
Oui, trois.
[ ...
]
Veux-tu
donc que nous donnions à Dieu le nom de créateur naturel
de cet objet, ou quelque autre nom semblable ?
Ce sera juste, dit-il, puisqu'il a créé la nature de cet objet et de toutes
les autres choses.
Et le menuisier? Nous l'appellerons l'ouvrier du lit, n'est-ce pas?
Oui..
»
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