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L'outil est-il le prolongement de la main ?

Publié le 27/02/2008

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Si l'outil apparaît comme une aide précieuse, relative à une exigence d'efficacité technique maximale, peut-on pour autant affirmer qu'il est le prolongement, au sens strict de la main ? Une telle affirmation signifierait que la main serait elle-même un outil : la main n'est-elle vraiment qu'un outil ou a-t-elle une fonction symbolique qui dépasse la nécessité technique ?

« II.

Mais il n'y a pourtant pas une différence de degré entre l'outil et la main, mais une différence de nature Pourtant, cette différence de degré pourrait faire l'objet d'une remise en question.

peut-on vraiment affirmerque la main soit un simple outil, et que l'ensemble des instruments artificiels crées en vue de l'efficacitétechniques en seraient le prolongement ?La main, en réalité, imprime sa marque là où l'outil uniformise.

Avoir des mains pour l'homme signifie plus queposséder un simple outil.

La main apparaît ainsi comme la marque de la singularité de l'individu.

On peut ainsiaffirmer, avec Hegel (Phénoménologie de l'esprit) que la main, plus que l'outil qu'un simple outil naturel, estl'indice de ce qu'est l'homme entier et de la nature de son activité.

On pourrait connaître, voire prévoir lanature, la vie, voire le destin d'un homme d'après les « lignes de sa main ».

Si la lecture interprétative dudestin d'une vie humaine, à partir des lignes de la main, en astrologie, chiromancie et physiognomie, montre seslimites, elle témoigne de cette inscription du destin humain dans la main de l'homme et atteste que la mainreste par excellence l'organe de l'activité humaine, le lieu et l'instrument du processus humain d'opérer et detravailler.

En ce sens elle symbolise plus qu'un simple outil.En l'absence de vue, les aveugles s'orientent dans l'espace par le toucher et par les mains.

C'est par le tactqu'ils connaissent, dans les objets, le rapport des parties au tout.

Pour l'aveugle, sentir un objet exige deplacer convenablement sa main par rapport à lui.

L'aveugle-né qu'interroge Diderot décrivant le miroir affirme :« C'est comme ma main, qu'il ne faut pas que je pose à côté d'un objet pour le sentir.

» (Lettres sur lesaveugles, in Supplément au voyage de Bougainville).

La main donne à connaître à l'aveugle la forme et le reliefde l'objet, mais aussi sa beauté, tout comme le miroir pour le voyant.

La main est ici un analogue de schème,une hypotypose symbolique, une représentation indirecte par analogie (au sens kantien) de toute connaissancevraie, certaine et adéquate.

On peut « voir avec les mains » (Descartes, Dioptrique, « Discours premier »).

Oncomprend alors que dire de l'outil qu'il est le prolongement de la main, c'est assigner à la main une fonctionréductrice relativement à ce qu'elle symbolise : la main n'ouvre pas seulement la possibilité d'agir et detransformer le monde, elle apparaît, encore plus fondamentalement peut-être, comme ce qui ouvre la possibilitéde connaître le monde.Dire que l'outil est le prolongement de la main, c'est faire de la main un simple outil.

C'est donc du même coupdonner du crédit à la distinction entre travail manuel et travail intellectuel.

Or, justement, ce que l'on vient demontrer c'est précisément que la main permet d'accéder à une dimension intellectuelle dont elle est le symbolecorporel. III. La main comme la marque de l'humanité d'un corps Pour Aristote, Métaphysique (D, 2 et H, 4), la main de l'artiste-sculpteur est la cause motrice ou efficiente quitransforme une cause matérielle (le marbre ou l'airain) en vue d'une cause formelle (le beau) et finale (lareprésentation du dieu Apollon).

La main du sculpteur est le « principe premier du changement ou du repos ».L'art manuel de statuaire est cause efficiente de la statue, c'est-à-dire principe du mouvement de fabricationqui aboutit à la statue.La main est ainsi l'organe par lequel l'Idée spirituelle, qui préside à toute création artistique (talent, habileté),passe dans la matière sous une forme sensible à même le bloc de marbre (Hegel, Leçons d'esthétiques, IIIepartie, 2 e section « la sculpture).

On comprend alors à quel point la main n'est pas de l'ordre d'un simple outil que l'on aurait besoin de prolonger par un outillage sophistiqué.Dans la lignée d'Aristote, Focillon fait un Eloge de la main (in La vie des formes), non pas tant comme main dutechnicien, de l'homo faber, de l'artisan, de l'ouvrier, que comme main de l'artiste.

La main de l'artiste est unorgane spirituel, qui arrache le toucher à sa passivité réceptrice et qui imprime partout dans la matière la belleœuvre d'art l'empreinte, l'impression de l'esprit humain, libre et créateur.

La main de l'artiste est, plus encoreque la main de l'artisan, le serviteur de l'esprit humain, le véhicule, moyen, instrument de l'esprit mais passeulement.

Elle libère et éduque en retour l'esprit.

En la modelant, la main impose une forme à la matière : elleest ce par quoi l'esprit informe une matière.

En même temps, par la belle œuvre d'art qu'elle réalise, la maincontribue à éduquer, à élever, à libérer l'homme.

La main de l'artiste n'est donc pas seulement la servantedocile de son esprit.

Elle est tout autant ce qui guide l'esprit, ce qui le fait avancer, ce qui lui suggère denouvelles idées (tant dans le domaine artistique que spéculatif).

De sorte qu'il existerait des idées d'originespirituelles et des idées d'origine manuelle, qui naissent des mains de l'artiste et font retour vers son esprit,pour le guider et le féconder.

La main humaine est la grande inspiratrice de l'esprit, en même temps que sacompagne la plus fidèle.

La main accompagne l'esprit partout et soutient constamment son effort.

Le lien étroitentre main et intelligence se retrouve ici, mais avec un rôle renforcé par la main elle-même, qui n'est plus iciseulement au service de l'esprit, mais le guide et la compagne de l'esprit humain en sa créativité.

Réduire lamain à l'outil en disant que celui-ci est un prolongement naturel, c'est du même coup manquer cette dimensionet ce rôle de guide et de compagne de l'esprit.La main éveille, sollicite, provoque l'esprit à la création.

Elle est à la source et non au résultat des créations del'esprit humain.

Elle n'est donc pas simple outil.

Elle n'est pas seulement l'organe qui exécute les créations del'esprit.

Elle n'exprime pas seulement le bloc de la matière, mais aussi le bloc de nos pensées.

La main n'est passeulement un instrument au service de la pensée ou un prolongement de la pensée : elle est pensée etcréatrice de pensée.

L'esprit fait moins la main que la main dans le corps humain ne fait l'esprit, en uneréciprocité d'émulation et d'engendrement.

La main sculpte et façonne l'esprit.En ce sens, la main est le symbole visible de la capacité proprement humaine à accomplir de libres mouvementsindéterminés, alors que le corps animal ne traduit que la capacité à de libres mouvements déterminés (par leslois naturelles).

Ce que Fichte dit (Fondement du droit naturel, II° section, chap.

5 à 7, §e et sqq.), du corpshumain articulé comme signe de la liberté de l'homme vaut par excellence de cette partie privilégiée de soncorps que sont les mains.

Ce serait le prolongement et le couronnement, le parachèvement et la radicalisation. »

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