Moll Flanders
Publié le 09/04/2013
Extrait du document
Si la fiction prend l'apparence de la réalité, c'est d'abord parce que Defoe s'inspire d'une histoire vraie, celle de Mary Frith, appelée Moll la coupeuse de bourses, mais aussi parce qu'il nourrit la fiction de son expérience personnelle : comme son héroïne, il est sans cesse aux prises avec des problèmes d'argent. Comme elle, encore, pour avoir défié le pouvoir religieux, il a connu la prison de Newgate où il l'a fait naître.
«
Elle découvre que sa
belle-mère est en réalité
sa propre mère.
EXTRAITS
Le point de vue moral de l'auteur
La plume quis' est donné pour tâche de par
faire son récit et
d'en faire ce que vous le
voyez à présent a eu quelque peine à le
re
vêtir d'un habit
convenable et à lui
prêter une langue
apte à être lue.
Quand
une femme débauchée
dès l'enfance, que dis
j e
? une femme issue
de la débauche et du
vice mêmes, en vient à
rendre compte de
toutes ses coupables
pratiques et même à
remonter
jusqu'aux
occasions et aux
circonstances parti
culières qui
l'ont
amenée au péché,
ainsi
qu'à toutes ses
progressions dans le
vice au cours de
soixante années, c'est
une tâche difficile
pour un auteur que d'envelopper le récit
de
telle façon qu'il ne prête aucunement à être
tourné à son désavantage , spécialement par
des lecteurs vicieux.
On a toutefois pris tout le soin possible pour
ne point susciter d'idées paillard és et pour
ne donner aucun tour immodeste à la nou
velle présentation de l'histoire ; non ,
pas
même pour les pires manifestations de la
dame.
Des difficultés du mariage
J'acquis bientôt par expérience cette notion
que l'état des choses était modifié quant au
mariage ,
(.
..
) que les mariages étaient ici la
conséquence de plans politiques, en vue de
la formation d'intérêts ou de la poursuite
d'affaires, et que
l'amour n'avait rien ou
bien peu à voir dans la question .
(.
..
)la beauté, l'esprit, les bonnes manières,
la raison, la bonne humeur, la bonne
conduite, l'éducation , la vertu, la piété, ni
nulle autre qualité, que ce
fût du corps ou
de l'esprit, ne servaient aucunement à vous
recommander ; que l'argent seul rendait
une femme agréable ; que, si les hommes
choisissaient, en vérité, leurs maîtresses
selon que les poussait leur affection et
s'il
était requis d'une catin d'être belle et bien
tournée , d'avoir belle mine et un comporte
ment gracieux, pour une épouse, aucune dif
formité ne heurterait le goût, aucune
mauvaise qualité
le jugement; l'argent était
tout ;
la dot n'était ni tortue ni monstrueuse,
mais l'argent était toujours agréable, quelle
que
fût lafemme.
Le bilan d'une vie
(.
..
) le juge, sans plus
attendre , ordonna de
me mettre en prison,
et on
m'emporta à
Newgate, dans cet hor
rible lieu.
Mon sang
même se glace à la
seule pensée de ce
nom :
le lieu où tant de
mes camarades avaient
été enfermées sous les
verrous, et
d'où elles
avaient été tirées pour
marcher à
r arbre fatal;
le lieu où ma mère avait
si profondément souf
fert,
oùj' avais été mise
au monde , et d'où
je
n'espérais point de ré
demption que
par une
mort infâme ; pour
conclure, le lieu qui m'avait si longtemps
attendue, et qu'avec tant d'art et
de succès
j'avais si longtemps évité.
Traduit de l'américain
par Marcel Schwob.
Gallimard, 1969
Repentie, elle rentre en
Angleterre et décide de
raconter ses souvenirs.
NO TE S DE L' ÉDITE U R
«L'argent, celui qu'elle possède ou celui
dont elle manque, est le véritable protago
niste du roman ;
c'est lui qui détermine les
sentiments de Moll ; ( ...
) lui qui inspire à la
narratrice ce sens aigu des détails, cette pas
sion dans l'énumération et la description
des objets (
...
)
« Moll Flanders, tout autant que Robinson
Crusoé, mérite de figurer parmi les grands classiques
de la solitude, à côté de
Don
Quichotte,
de L' Idiot.
Comme le dit encore
Pavese : "Defoe a réduit à sa forme la plus
élémentaire le tragique de l'existence.
"Donnez-nous aujourd'hui · notre pain quoti
dien" est bien la plus insistante prière qui se
lève de chaque page de ces autobiogra
phies."
Que le personnage chargé d'in
carner cette situation limite de la condition
humaine soit une femme, qu'une femme
ait à porter sur ses épaules le poids de la solitude
universelle, voilà qui hausse le
roman de la voleuse à une place unique
parmi les chefs-d'œuvre.
Épopée de l'ar
gent et de la loi économique ; mais aussi
voyage au bout de la nuit intérieure : et
tout cela à travers un être de chair et de
sang, qui respire, marche, mange, s'agite,
souffre .'et vieillit devant nous, avec une
présence, une couleur, une palpitation
merveilleuses.» -Dominique Femandez,
introduction, op.
cit.
(a) Po rtrait de Dani el D efoe /© coll.
Viollet ; ( b, c, d , e) i l!.
de W.
Murr ay, A r andar Book s, 1947 DEFOE 02.
»
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