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Montaigne: Qui est un Barbare ?!

Publié le 17/04/2009

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montaigne
«Chacun appelle barbarie, ce qui n'est pas de son usage. Comme de vrai nous n'avons autre mire de la vérité, et de la raison, que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages de même, que nous appelons sauvages les fruits, que nature de soi et de son progrès ordinaire a produits : là où à la vérité ce sont ceux que nous avons altéré par notre artifice, et détourné de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux là sont vives et vigoureuses, les vraies, et plus utiles et naturelles, vertus et propriétés ; lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, les accommodant au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût même excellente à l'envie des nôtres, en divers fruits de ces contrées là, sans culture : ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que par tout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. Et veniunt hederæ sponte sua melius, Surgit et in solis formosior arbutus antris,Et volucres a dulcius arte canunt(1). Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté, et l'utilité de son usage : non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites ou par la nature, ou par la fortune, ou par l'art. Les plus grandes et plus belles par l'une ou l'autre des deux premières : les moindres et imparfaites par la dernière.» (1) Vois quelles couleurs la terre splendide fait jaillir ; Comme le lierre sauvage pousse seul avec plus de force ; Vois l'arbousier dans les antres solitaires plus beau se dresser ; et l'eau vive sans nul maître courir son chemin (Elégies) Montaigne, Les Essais , Livre I Chapitre 31

HTML clipboardDans le 1er §, Montaigne commence par établir que la signification du terme barbare est relative. Le jugement qui dénonce la barbarie de l’autre n’est que la projection des « opinions et usances du pays où nous sommes «, de la culture dans laquelle nous vivons. L’appellation barbare ne dit rien d’autrui, elle ne fait que traduire notre intolérance, notre ethnocentrisme, c'est-à-dire le fait que nous croyons que la nation (ethnos en grec) dont nous faisons partie possède la vérité, la justice et les bonnes mœurs.    Dans le 2nd §, Montaigne vide le terme « sauvage « de sa signification négative, pour lui faire désigner positivement une proximité encore préservée avec la nature. Les fruits sauvages sont riches de vertus que les fruits cultivés ont perdues. Par analogie, on peut supposer que les vertus des peuples « sauvages « sont restées intactes. La civilisation apparaît ainsi comme un processus de dégénérescence, un éloignement par rapport aux vertus naturelles, une perte progressive d’énergie.  

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« Montaigne se veut l'apôtre de la tolérance, non seulement, pour lui, il n'y a pas de vérité absolue, mais le rôle duphilosophe est de tout comprendre, la diversité des mondes, des cultures, des peuples, des individus, et desopinions.

Dans l'esprit montanien, la caricature du noir imbécile mangeur de blancs civilisés dispense de penser.

PourMontaigne le cannibalisme est avant tout un fait de culture.

Souvent en mangeant le défunt on lui assure une surviedans la tribu, car on donne chacun de ses organes à celui qui en a le plus besoin (cerveau pour l(intelligence,muscles pour la force, sexe pour la fécondité).

Dans nos civilisations modernes on éloigne le plus possible la mort,ainsi non seulement on ne meurt plus chez soi mais à l'hôpital, mais on traite de surcroît les corps humains commeceux des animaux, par décomposition ou incinération. Intérêt philosophique L'intérêt philosophique de ce texte est tout d'abord de montrer que Montaigne est hostile à toute forme dedogmatisme.

Son scepticisme, illustré par sa devise « Que sais-je ? », n'est toutefois pas l'expression d'un désespoirintellectuel, mais la recherche d'une philosophie adaptée à la vie.

Si Montaigne rejette les jugements qui prétendentà une valeur générale et conçoit la vérité de façon relative, c'est pour rendre à la vie sa diversité, son inquiétude,sa complexité.

De la même façon Nietzsche jugera nécessaire de mettre la vérité en perspective.

Pour lui notrevalorisation de la vérité est absurde parce que la vie a besoin du mensonge et de l'illusion pour se développer.Qu'une idée soit fausse n'a aucune importance, si elle est utile à la vie.

La vérité n'est que la projection des «opinions et usances du pays où nous sommes ».

Elle est singulière et non universelle, relative et non absolue,particulière et non générale, datée et non hors de l'histoire et du temps.

D'où la validité du perspectivisme.

La véritérenvoie à la perception subjective (en relation avec un sujet) d'un objet.

Or cette perception n'est jamais totale,englobante et générale.

Là où je suis-je ne vois qu'une partie de ce qui apparaît.

La vérité absolue supposerait, à lamanière des portraits cubistes, une saisie globale, intégrale du monde et de sa constitution dans le détail. Ensuite, en mettant en question la supériorité de la civilisation européenne sur celles des peuples dits « sauvages »,ce texte rompt avec l'idée stoïcienne selon laquelle la culture perfectionne la nature et fonde l'anthropologie etl'ethnologie.

Pour Montaigne, la connaissance de l'étranger peut nous faire reconnaître notre propre corruption.

Lessauvages sont le miroir des européens comme le rapport à autrui, l'ami, est, selon Aristote ce qui permet desatisfaire l'impératif socratique de la connaissance de soi.

Montaigne qualifiait d'ailleurs son ami La Boétie de « miroirfidèle ».

Ce faisant, il donne naissance au mythe du bon sauvage, dont la fonction première est d'instituer un regardneuf.

Au siècle des Lumières, le procédé qui consiste à critiquer la civilisation au nom d'une nature oubliée,corrompue ou détruite, sera repris par Montesquieu (les Lettres Persanes), Diderot (Supplément au voyage deBougainville) et Rousseau (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes).

Si Montesquieus'amuse à imaginer des touristes persans à Paris, Diderot dénonce lui les ravages causé par l'introduction de lacivilisation européenne chez les peuplades primitives d'Océanie, et Rousseau va jusqu'à considérer globalement lacivilisation comme un critère négatif, un âge malheureux, par opposition à l'état de nature avant l'introduction de lapropriété. Enfin ce texte rapelle que l'éducation de Montaigne s'est faite jusqu'à l'âge de 13 ans exclusivement en latin et aucontact permanent des grands auteurs grecs et latins, dont il a d'ailleurs plus tard retranscrit les plus bellescitations sur les murs de sa « librairie ».

Comme Platon il célèbre un âge d'or sans lois, ni commerce, ni écriture, etcomme lui il critique l'art qui ne serait qu'imitation de la nature.

Pour Platon en effet l'art n'a pas les moyens demanifester un absolu, étant donné qu'il est assujetti au sensible et que l'absolu se situe par définition au-delà dumonde sensible.

L'œuvre d'art n'est donc qu'imitation de la nature sensible.

Elle consiste à recopier les phénomènessensibles.

Pour Platon, il y a une irréparable perte d'être entre chaque original et sa copie, aussi grave quand onpasse de l'Idée de lit au lit réel que quand on passe du lit réel à l'image du lit.

De la même façon, Platon considèreque l'écriture favorise l'absence de réflexion et la déformation du savoir.. »

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