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On lit dans L'Ecclésiaste : "Qui accroît sa connaissance accroît sa douleur." Expliquez et dites ce que vous en pensez. ?

Publié le 16/06/2009

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Ce choix d'un texte biblique comme thème de dissertation est tout à fait exceptionnel. Maint candidat a dû se demander ce que pouvait être cet Ecclésiaste. D'autres, qui assistent à la messe avec leur missel, ont eu l'occasion de lire quelques passages de L'Ecclésiastique et ont pu croire que la réflexion proposée à leur examen, était tirée de ce livre. A vrai dire, l'ignorance sur ce point leur était permise. Cependant, les professeurs feront bien de profiter de l'occasion pour donner à leurs élèves les renseignements essentiels sur le contenu de l'Ancien Testament : le Pentateuque (cinq livres), les livres historiques, le livre des Psaumes, les livres sapientiaux, les livres prophétiques. Les livres proprement sapientiaux sont : Job, les Proverbes, l'Ecclésiaste, la Sagesse et l'Ecclésiastique. C'est à cette classe d'ouvrages que dans la Bible est rattaché le Cantique des Cantiques. L'Ecclésiaste est un opuscule en onze petits chapitres ne totalisant guère plus de 200 versets et qui, dans sa brièveté, pose pas mal de problèmes. On en trouvera l'essentiel dans une Introduction biblique. On pourra aussi se référer à un intéressant petit volume qui lui est consacré : J. STEINMANN, Ainsi parlait Qohèlèt. « Ecclésiaste « traduit littéralement l'hébreu Qohèlèt dont le sens est discuté. Les deux premiers versets du livre, dont le second nous est familier, nous fournissent de précieuses indications : Ce livre est fait de « propos « : il appartient au genre sententiaire avec ses lois propres. Son titre nous insinue également que ces propos ont été recueillis et publiés par un autre que leur auteur. L'épilogue le confirme. « Vanité des vanités, dit Qohèlèt, et tout est vanité. Sans compter que Qohèlèt fut un sage, il a encore enseigné au peuple le savoir «. Ce Qohèlèt est présenté comme « fils de David, roi de Jérusalem «. Aussi, jusqu'au me siècle L'Ecclésiaste était-il attribué à Salomon, dont la sagesse était légendaire. Mais cette attribution n'est plus admise. Le contenu du livre aussi bien que sa langue dénotent une époque beaucoup plus récente (IIIe siècle au lieu du IXe siècle av. J.-C.). Bien que l'auteur n'ait pas connu directement les philosophes grecs, il fut influencé par eux. La grande question qui le préoccupe est celle qui était au centre de la problématique épicurienne et stoïcienne : comment parvenir au bonheur ? Sa réponse, que résume son refrain « vanité des vanités, et tout est vanité! « porte le grand nombre de ses interprètes à en faire un pessimiste. Son état d'âme est celui d'un vieillard, né dans un vieux pays, participant d'une très vieille civilisation, usée et désabusée (...). Sa théologie et sa morale sont celles d'un vieillard. Il oppose un refus grincheux et obstiné aux idées nouvelles qui se font jour peu à peu. Il regarde vers le passé pour le trouver aussi morose que le présent, et s'il jette un coup d'oeil furtif vers l'avenir, c'est pour y discerner la même grisaille monotone. C'est un réactionnaire typique, avec toutes les manies de l'espèce, tendance à rabâcher, amertume de l'esprit critique, subtile indifférence à tout. Certes, en bon conservateur, il est sincèrement croyant, comme le seront la plupart des futurs Sadducéens, mais d'une foi teintée de méfiance, de souplesse et d'ironie. (STEINMANN, Ainsi parlait Qohèlèt, p. 16-17.) L'expérience le montre, dit Qohèlèt. on ne trouve le bonheur ni dans le plaisir, ni dans la richesse, ni dans la moralité, ni dans la sagesse, comme le dit le texte à apprécier. Il est vrai que d'autres affirmations contredisent celles que nous venons de citer, si bien qu'on a émis l'hypothèse de plusieurs auteurs différents : assez couramment trois ou quatre, mais on est allé jusqu'à huit. « Et pourtant, observe le P. PAUTREL dans son Introduction à L'Ecclésiaste de la Bible de Jérusalem, si l'on met à part l'appendice (XII, 9-14), il est vraiment possible d'attribuer à un seul esprit les trois voix (...) dès que l'on accepte de prendre l'ensemble comme une discussion d'un penseur avec lui-même. « C'est la discussion à laquelle nous sommes conviés à propos de l'affirmation relative à la connaissance identifiée à la sagesse. La voici dans son contexte d'après la traduction de la Bible de Jérusalem (l'auteur fait parler SALOMON) : Je me suis tenu le discours suivant : j'ai une somme considérable de sagesse, supérieure à quiconque m'a précédé à Jérusalem; j'ai examiné beaucoup de sagesse et de savoir. Et j'ai étudié avec soin la sagesse et le savoir, la sottise et la folie. Je comprends que cela même est du temps perdu. Beaucoup de sagesse, beaucoup de chagrin, plus de savoir, plus de peine. (Eccl., I, 16-18.) INTRODUCTION. — « Tous les hommes désirent naturellement savoir «, remarquait déjà ARISTOTE tout au début de sa Métaphysique, mais c'est surtout de nos jours que nous constatons un désir général de s'instruire. II est à croire que ce n'est pas un culte désintéressé de la science qui pousse l'homme vers les écoles : la science n'est pour la masse qu'un moyen d'obtenir un peu plus de bonheur. Mais, si nous en croyons L'Ecclésiaste, ce serait là un mauvais calcul : « qui accroît sa connaissance accroît sa douleur «, affirme ce pessimiste. Nous tâcherons d'abord de comprendre la pensée de l'Ecclésiaste; nous verrons ensuite si nous pouvons souscrire à son affirmation.

« parle de ce qu'il ignore : sa maxime est trop bien, frappée pour ne pas être l'oeuvre d'un esprit cultivé.

Mais ce n'estpas non plus un savant au sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot.

C'est un sage : un penseur qui s'estassimilé la culture de son époque et a réfléchi sur la vie humaine.De là le caractère particulier de la connaissance dont il parle : il ne s'agit évidemment pas de la connaissancescientifique, ni seulement de la connaissance vulgaire que donne par exemple la pratique d'un métier.

Ce mot est icià peu près synonyme de sagesse : or, la sagesse consiste à se connaître soi-même et à connaître le sens de la vie;on, peut la concevoir comme une philosophie pratique systématisée en quelques grands principes fondamentaux.Voilà le genre de connaissance dont l'accroissement entraîne un accroissement de douleur.

Comment cela se fait-il ?Tout d'abord, à la différence du vulgaire qui se contente de vivre son existence avec tout ce qu'elle comporte dedouloureux, le sage la pense, et la conscience réfléchie de la douleur la renforce et l'aiguise.Ensuite, le sage a devant les yeux un magnifique idéal dont le commun n'a pas l'idée; or, à mesure qu'il s'élève, cetidéal accroît lui aussi la douleur : en effet, avec le désir de l'atteindre augmente la déception d'en rester toujoursaussi loin; d'autre part, les satisfactions dont se contente le vulgaire semblent tout à fait dérisoires à qui vise sihaut.

Il en est d'ailleurs de même des connaissances des réalités terrestres : tel paysan satisfait de son sort dansun village coupé du monde en vient, lorsqu'il connaît les conditions de l'existence urbaine, à se sentir défavorisé.Il semble bien enfin que l'extension des connaissances et de la culture sensibilise et par là même rend plussusceptible de souffrir.Voilà comment nous pouvons comprendre, avec l'Ecclésiaste, que « qui accroît sa connaissance accroît sa douleur». II.

— DISCUSSION Après cet effort pour entrer dans les vues de l'Ecclésiaste, reprenons sa pensée et apprécions-là suivant les normesde l'homme contemporain..

Peut-on dire aujourd'hui que « qui accroît sa connaissance accroît sa douleur » ? Connaissance et douleur physique. — Au sens propre, la douleur est d'ordre physique, or il serait paradoxal de prétendre qu'elle s'accroît avec la connaissance : qu'on songe aux anesthésiques grâce auxquels la douleur a été sinotablement réduite.

La science en effet nous rend maîtres de la nature, y compris de notre propre corps.

Ellepermet de subjuguer les forces cosmiques pour les mettre au service de l'homme et de protéger contre les mauxqu'elles causaient autrefois.

Les famines ont presque disparu du globe.

Les facilités de protection contre le froids'étendent rapidement.

C'est le bien-être et non la douleur qui s'accroît dans la mesure même où s'accroît laconnaissance.On pourrait objecter que cet accroissement de bien-être, conditionné par la science, n'est pas l'oeuvre de lascience elle-même, mais des techniques qu'elle permet d'améliorer et de celles dont elle provoque la création.D'ailleurs il est bien des sciences, l'histoire, par exemple, ou la linguistique, qui n'ont aucune action appréciable sur lesort de l'homme.Du moins reste-t-il évident que la science n'accroît pas la douleur physique que, d'autre part, grâce à ses multiplesapplications, elle permet de réduire dans une grande mesure.

Pouvons-nous en dire autant de la douleur morale ? La douleur morale.

— Dans ce domaine la question se complique, car diverses sortes de connaissance interviennent. 1.

Si nous nous en tenons à la connaissance scientifique, seule considérée en ce qui concerne la douleur physique, ilest bien indiscutable que son accroissement n'accroît pas la douleur morale.

Au contraire, comme l'a ditmagnifiquement Pierre TERMIER, il y a une « joie de connaître » capable d'embellir l'existence et de compenser biendes peines. 2.

Il n'en est pas de même si nous prenons « connaissance » au sens large et dans son acception vulgaire.

Ladouleur morale résulte en somme de l'insatisfaction des désirs.

Or le désir est conditionné par la connaissance :ignoti nulla cupido, dit le proverbe.

Par suite, plus augmentent nos connaissances, plus se gonflent nos désirs et, laplupart de ces désirs ne pouvant pas être satisfaits, plus s'accroît la douleur morale : la ménagère, par exemple, nesouffrirait pas d'en être réduite aux travaux des siècles passés si elle ignorait l'existence des machines à laver etautres appareils que l'industrie moderne met à la disposition de ceux qui peuvent les acheter.

Sans doute, il en estqui peuvent ressentir une certaine joie désintéressée à voir les ingénieuses créations de la technique moderne.D'une façon générale cependant c'est la peine qui dominera. 3.

Il est enfin une autre sorte de connaissance dont les conséquences affectives sont plus délicates à déterminer :c'est la connaissance de soi ou conscience psychologique, en particulier la conscience de ce qu'on éprouved'heureux ou de malheureux.

Peut-on dire que, dans ce domaine, tout accroissement de connaissance entraîne unaccroissement de douleur ? En ce qui concerne les événements heureux, la réponse est fort simple : c'est au contraire la joie qu'augmente laconscience que nous en prenons : beaucoup traînent une existence effectivement neutre parce que, disent ceuxqui les observent, « ils ne connaissent pas leur bonheur ».Il devrait en être de même, semble-t-il, de la douleur et des déconvenues qui surviennent dans la vie : plus netteest la conscience qu'on en prend et plus on en souffre; aussi cherche-t-on à se distraire pour échapper à cetteobsession douloureuse.

Il y a cependant des exceptions.

Celui qui parvient à réfléchir sur son cas pour en faire enquelque sorte la philosophie parvient aussi à le dominer : il prend une certaine distance et une certaine hauteur pourle mieux observer, et par là même il se dégage de l'emprise qu'il subissait.

Marcel PROUST l'a noté avec pénétration :. »

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