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PANORAMA DE LA PHILOSOPHIE ARABE AU MOYEN-AGE

Publié le 14/07/2011

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Averroès et la lumière de la raison

Originaire de Cordoue, en Espagne occupée par les Arabes, Averroès fait des études de droit musulman, mais s'intéresse aussi à la philosophie et à la médecine. Il exerce, à partir de 1184, les fonctions de qâdî (cadi), haut magistrat chargé de dire le droit, toujours à Cordoue. Toutefois, ses opinions philosophiques attirent sur lui les soupçons des docteurs de la loi. Après avoir joui, de 1182 à 1193, de conditions parfaitement propices au travail philosophique — il écrit, durant cette période, son Grand commentaire sur Aristote —, il tombe en disgrâce et se trouve banni dans les environs de Cordoue, à Lucena, où il subit les affronts, non seulement des théologiens, mais de toute la populace. Appelé au Maroc, où il avait vécu une partie de son existence, il meurt, en 1198, à Marrakech.

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« technique (invention du zéro, chiffres dits «arabes», etc.). Elle est aussi à mettre au crédit de cettepostulationde loiséternelles, préfigurant l'affirmation cartésiennesuivant laquelle l'Univers est écrit en langage mathématique.Dans un contexte musulman, la raisonmathématiqueest la forme que prend l'«intellect agent» pour animer la nature. • Ledieu des musulmans a perdu une bonne part de l'arbitrairequ'il avait dans les formules précédentes du monothéisme : ilintervient peu, ce n'est pas un dieu de miracles etd'intercessions, mais lecréateur et lerévélateur d'un ordre immuable. •Cette formule religieuse estriche de promesses pour le développement des sciences. Comprendre lanature, décrypterson ordre, c'est en effetrejoindre Dieu. Lacosmologie, la médecine, laphysique des corps inanimésapparaissent ainsi comme desdisciplines non pas contrairesà la religion (comme c'est le cas dans le christianisme médiéval), mais dont la pratique est conçue comme une formeparticulière de la recherche de Dieu. LENEOPLATONISMED'AVICENNE • Nédans une région correspondantà l'Ouzbékistan actuel, le médecin et philosophe Ibn Sina,dit en français Avicenne (980- 1037), sesignale très vite par unecultureencyclopédique qui l'amène à la cour du calife, où il remplit des charges politiques importantes. • Ses principaux livres, La Cuérison et Le Canon demédecine, en partant de connaissancesmédicales,entreprennent unevaste synthèsephilosophique des grands systèmes  depensée de l'Antiquité :Platon, Aristote, et même Plotin - que l'on confond alors avec Aristote.•L'intérêt marqué d'Avicenne pour la matière, le monde de la nature et descorps ne doit pas faire illusion : le cœur de sa philosophie est profondément idéaliste.

Le monde sensible, comme chez Platon et Plotin, renvoie à celui des âmes,qui reflète lui-même celui des idées éternelles. Lahiérarchie des mondes • Une stricte hiérarchie des mondes se révèleainsiau philosophe(mais aussiau médecin), dont la tâche est alors decomprendre etd'expliciter cet ordre divin du monde. • Ausommetde la pyramide est la figure deDieu, pressenti à travers les essences. Avicenne parle peu de Dieu, mais on a pu qualifier sa philosophie de mystique, dans la mesureoù sa parole s'aventurejusqu'aux alentours deDieu, jusqu'aux essences les plus proches de l'essencedivine, qui ne saurait être vue et exige lesilence.•Leséchelons inférieurs peuvent en revancheêtre parcourus par l'espritagile du philosophe: à l'ombre des essences éternelles, les âmes cosmiques règlent les mouvements de l'Univers, et dans lemonde sublunaire les âmes végétales, animales ethumaines sedistinguent par leur plus oumoins grande vigueur. Si les corps qui leur sont associés sontabsolument périssables et égauxdans leur contingence (par oppositionaux corps éternels des objets célestes),les âmes connaissent toute une série de gradations, d'un règne à l'autre bien sûr,mais aussi d'un humain àl'autre.

Le philosophe prend conscience de l'ordre dumonde ets'unit ainsi à l'« intellect agent» dans une forme d'illumination qui n'exclut pas l'exercicede la réflexion, maisapparaîtcomme une expérience religieuse.• Cettemétaphysique se montreextrêmement sensible à ladifférence entre le monde des corpset celui des essences. Ces dernières pourraient fort bien ne jamais s'incarnerdans des corps, ne pas «exister» en somme; etAvicenne tire de cette intuitionde leur contingenceune preuve de l'existence deDieu : car ilfaut bien qu'une essence au moinsne soit pas logiquement contingente, maisau contraire soit nécessaire en elle-même, afin de permettre aux autres essences de venir à l'existence.

Sans Dieu, en somme, le monden'existerait que comme une idée. AL-GHAZALI,LE RETOURÀ L'ORTHODOXIE • Le théologien al-Ghazali (1058-1111) apparaîtcommela principale figure d'un mouvement deréaffirmation des principes de l'islamface à une falsafadont latentation hétérodoxe commence à se faire jour. •L'idéalisme d'Avicenne, voyanttoute chairdestinéeà périr, est pour al-Ghazali incompatible avecle dogme coranique de la résurrection des corps, et les visions du retour à Dieu développéesdans le Coran sont ellesaussimisesà mal par l'imaginaire très abstrait de lafusion de l'âme dans l'essence universelle rêvée par le néoplatonisme. • De la même façon, l'idée avicennienned'un dieu presque inaccessible, réfugié dans le monde des essences, sent unpeu le soufreaux yeuxdu théologien, quiréaffirme la présence d'Allah dans lemonde.• Soucieux de restaurer l'autoritéde la Tradition, al-Ghazali s'en prend égalementà un certainnombre d'idées «grecques», que l'on rencontre non seulementchez les néoplatoniciens, mais aussi chez certains scientifiques : lathèse de l'éternité du monde n'est passoutenable dès lorsque le Coran affirme qu'il a été créé. • S'il peut apparaîtrecomme un conservateur, al-Ghazali n'en marque pas moins une étapedécisive dans l'histoire de la philosophie arabe, car c'est à luiqu'il revient de poser le premier la questionde la contradiction portée par la philosophie à la religion. Il prépare ainsila voie à Averroès, dont l'œuvreest à la fois le lieule plus intense de cette contradiction et la première à tenter d'y répondre. LERATIONALISME D'AVERROES Né à Cordoue, en Andalousie,Averroès (Abual-Walid ibn Ruchd,1126-1198) apparaît comme le représentant parexcellence del'Espagne arabo- musulmane, creusetculturel où cohabitent différentes cultures sous l'égide del'islam. •Averroès se démarque de son illustre prédécesseurnon par la formation, car il est lui aussi médecin,mais par une passion sans limites pour l'œuvre d'Aristote, dont, avec Thomas d'Aquin,il reste leplusgrand exégète. Encoresaint Thomas a-t-il largementpuisé aux travauxd'Averroès, qui fut égalementjuristeet eutdes traducteurs et des disciples dans toute l'Europe. LES DISCIPLES EUROPEENS D'AVERROES L'un des momentsles plus polémiques de la vie intellectuelle occidentaleduMoyen Âge, en1268, estla controverse surAverroès. Sescommentaires d'Aristoteont été traduits, et certainsmaîtres ont repris sa doctrine de ladouble vérité. •Siger deBrabant (v.1235-1281 ?) est le principal défenseurde cette idée à l'université deParis. Levéritable enjeu pour les averroïstes est de «parlernaturellement des choses naturelles»;en d'autres termes, d'émanciperlascience enlibérant son discours de celui de la Révélation. •Face aux averroïstes, une frange conservatrice del'Université refuse de fairela moindre concession aulangage aristotélicien et entend ne parler que le langage de la Bible et de saint Augustin. •Thomas d'Aquin (1225-1274), même si sa positionreste pleinement orthodoxe (il réaffirme par exemple l'idée de la Providence), offre en fait une troisièmevoie, en acceptant de la philosophiece qui peut l'être sans pour autant renoncer à la suprématie de la théologie sur les autrestypesde discours.

C'est à la suitede cette discussion qu'il entreprend l'exégèse d'Aristote, qui se développedans les Commentaires avant detrouver son pleinachèvementdans la Sommethéologique. Laphilosophie estvraie, mais limitée; elle doit donc êtrecomplétée par la théologie. Par exemple, lesaverroïstes défendent la thèse de l'éternité du monde,conformément àl'ontologie aristotélicienne. Thomas admet la rationalité de cette proposition et considère doncqu'elleest crédible. Mais il ajoute ceci : la Bible expliquant que Dieua créé le Ciel et la Terre, le monde a donc un début, et il n'est pas éternel.

La Révélation, en somme, vientenaide à la Raison. • Onretrouvera la même logiquedans les Pensées de Biaise Pascal (1623- 1662) : laraison n'est efficace que jusqu'aupointoù elleadmetses limites, et elle doit passer le relais aux véritésrévélées, qui dépassent l'entendement humain. Lacompréhension• Le principal objet de son œuvre est de rétablir la doctrine du philosophe grec dans sa pureté originelle. La quête de l'intelligibleconstitue ainsi le centre de l'investigationphilosophique, l'âme humaine trouvant son épanouissement dans le sentiment non du divin ou du sacré,mais del'universel. Àla révélation qui constitue la clé de l'expérience philosophique chez les néoplatoniciens, s'oppose chezAverroès la compréhension. Une désacralisation radicale •L'aboutissement logique d'une tellepensée est une désacralisation radicaledel'exercice de la pensée, expérience presque impossible dans le cortextedel'islam :Averroès tente de minimiser la portée de son expérience encréant ladoctrine dela « double vérité» : la vérité révélée peut différerde la vérité rationnelle.

Avec Averroès,c'est le grand souffle de la modernitéqui se fait sentir dans le monde arabe,avant de s'épanouir en Occident.• On entrevoit chez Averroès l'amorce decette désacralisation dumonde qui constituesans doute le propre de l'expériencemoderne.

En effet, si l'objet suprême de la philosophieest bien pour lui l'union de l'âme evecledivin, cedivin se confond davantage avec la raison universellequ'avec la figure de Dieu.•Ilserait abusif de faire d'Averroès un philosophe des Lumières avant la lettre.

Mais ses contemporains comprirent très bien le pouvoir corrosifde sa pensée pour l'islam : inquiété par les autorités religieuses, il s'exile près de Cordoue dans les années 1190, avant d'être rappelé auprès du calife à Marrakech, où ilmeurt en1198. LA VOIE MYSTIQUE • Face au rationalisme des averroïstes, lavision religieuse du monde développée par al-Ghazali apparaît àbeaucoup comme la plus sage.

Si elle se méfie des pouvoirs illusoires de la raison, elle ouvreenrevanche la voieà d'autres formes d'exploration intellectuelle, qui ne relèvent plus de la philosophiemais s'aventurent du côté de la mystique : ce sera en particulierlesoufisme, qui recherche la sagesse par l'excellence de la foi et du comportement, la purification du cœur et la sincérité spirituelle.

Le soi.fi cherche à accueillir la Lumière divine,et pour ce faire doit se détacher de son ego.

C'est une voie spirituelle originale, mais on n'est plus ici dans une pratique philosophique telle que l'ont conduite lesGrecs etAverroès. •Al-Ghazali prône par exemple une lecture littéraliste du Coran.

Ilapparaîtainsi comme l'ancêtre ducourant wahhabite, né en Arabie au xvme siècle, et qui est à l'origine du fondamenta lisme actuel.

On est là en présence de traditions intellectuelles extrêmement fortes, mais qui s'écartent résolument de la tradition gréco-musulmane et, plus largement, de la philosophie,entendue comme une recherche dela sagesse et de la vérité par l'exercice delaraison humaine. • Après al-Ghazali, Muhylal-Dinibn Arabi (1165-1240) est sans doute celui qui fait prendre à la pensée arabe cetournant sans retour. Son œuvre est une lecture mystique de l'islam, posant la question centrale de la perfection. L'homme y est donné comme le plus haut reflet de la nature divine, et leProphète est l'homme le plus parfait.IbnArabi use encore des techniquesphilosophiques de raisonnement et d'analyse, mais dans ses conclusions il en vient àdénier à la raison tout pouvoir véritable. L'influence profonde qu'il eut sur la pensée arabo-persane fut déterminante pour éloigner celle-ci de la philosophie. L'IMPOSSIBLE PHILOSOPHIE DEL'HISTOIRE • Une sagesse aussi imprégnée de l'idée de perfection pouvait-elle nourrir une pensée de l'histoire? Lamodernité de l'islam semble ici se retourner contre les pensées qui ensont issues.

Car, par rapport au Dieudes juifs et à celui des chrétiens, leDieu des musulmans intervient fort peu dans un monde naturel et humainéternellement soumis aux lois qu'il acréées.• Si cette vision du monde a permis un remarquable essor des sciences, on a pu relever qu'en retour elle se prêtait peu au développement de la philosophie politique et de la philosophie de l'histoire.

La politique est inséparable de la religion,et au mieux unartde se bien conduire pourra aider les princes; quant à l'histoire, quel pourrait être son sens si la bonne formule politique,sociale, et morale a été révélée à jamais? • Une pensée de l'histoire peut en revanche se développer dans le monde persan, avec l'islam chiite, dont la dimension messianique s'appuie sur l'opposition entre forces de la connaissance et forces de l'ignorance, plus favorable à une distinction nette entre les domaines spirituelet temporel.

• La ruine du Califat, consommée par l'invasion mongole, donne un certain élan à cette relance de la prophétie, qui va retrouver une inspiration platonicienne en faisant du Guide à venir une manière de roi-philosophe. •L'œuvre gigantesque d'Abd al-Rahman IbnKhaldun (1332-1406) - ses Prolégomènes àl'histoire universelle en particulier- témoigne pourtant de l'attention portée à la dimension historique dans la pensée arabe de la finduMoyen Âge. Unâged'or semble s'achever; le temps des spéculationspourrait revenir. Mais l'impérialisme ottoman aura raison, et pour longtemps, de toute spéculationsurune alternative historique.En faisant pendant près de cinq siècles l'expériencedu colonialisme,ottoman puis occidental, le monde arabe perd de vue la philosophie pour se réfugier dans la poésie.. »

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