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Par le langage, peut-on agir sur la réalité ?

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Mais Austin observe que certains énoncés ne sont ni vrais ni faux, car ils ne décrivent rien, mais sont les actions qu'ils énoncent: ils ne décrivent pas quelque chose, mais font quelque chose, sans donc être ni vrais ni faux, tout comme lorsque je bois un café, mon acte de boire un café n'est en lui-même ni vrai ni faux : il est ; c'est un fait. Si nous considérons par exemple l'énoncé : « Je promets de dire toute la vérité «, nous voyons qu'en prononçant ces mots, je ne décris rien mais j'accomplis un acte : je fais un serment. Ce serment n'est ni vrai ni faux, c'est un serment (je puis par la suite y être fidèle ou non, cela ne change rien au fait que c'est un serment). Aussi est-on conduit, avec Austin, à distinguer deux sortes d'énoncés: 

- Les énoncés constatifs qui décrivent un phénomène (ex.: « le ciel est bleu «, « je suis heureux «, « deux et deux font quatre «).- Les énoncés performatifs dont l'énonciation énonce une action du locuteur en même temps qu'elle l'accomplit (ex.: «je jure que... «, «j'exige que... «, «je parie que... «, «je te baptise.«

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« Agir «, c 'est « produire un effet sensible «. « Agir sur quelque chose «, c'est « exercer une action, une influence réelle« sur cette chose, la modifier. Il convient donc d'examiner quels effets, actions, influences le langage produit sur la réalité. Ce faisant on ne se contentera pas d'analyser une seule sorte de réalité, mais l'on se souviendra que le réel est l'ensemble des choses existantes - dans lequel est donc compris le langage lui-même -, et que tout acte est à la fois création de réalité et modification de la réalité précédente.

« Si toute société possède une langue qui lui est propre, le langage, pris comme la faculté de communiquer et d'exprimer les idées propres à un individupar des signes de nature diverses (paroles, gestes…) est universel.

Outil apparemment indispensable à la vie en communauté, le langage permet à l'hommede désigner et d'organiser les différents éléments du réel suivant un système de signes.

On peut dès lors se demander si le langage ne constitue pas unmoyen d'action pour l'homme.Mais alors que cet outil semble parfois incapable de correspondre de façon adéquate à la réalité que l'on veut exprimer, comment, à plus forte raison,pourrait-on dire que le langage nous permet de modifier le réel ?Si le langage peut apparaître comme le signe que la réalité nous échappe, il possède cependant un certain pouvoir d'action qui doit être mis en évidence,permettant non seulement une certaine maîtrise de la réalité, mais l'avènement de la liberté intellectuelle.

I) On ne peut agir sur la réalité par le langage 1) L'arbitraire du signe Tout homme qui tente d'exprimer ses pensées à ses semblables est confronté à l'apparente insuffisance des langues qu'il peut utiliser : il y a un fossésemble-t-il qui sépare le signe de ce qu'il désigne, et il apparaît difficile de ne pas trahir le réel en l'exprimant.

Voilà qui semble inévitable, car commel'explique Ferdinand Saussure dans son Cours de linguistique générale, le lieu entre le concept et la chose est établi de façon entièrement conventionnelle : il n'y a pas de relation intrinsèque entre les deux.

Distance entre le signifiant et le signifié, voile entre l'homme et la réalité.

2) D'où certaines réalités qui sont dites « ineffables » Quand le mot reste étranger à la chose, et que le sentiment d'étrangeté prend le dessus, l'homme est alors confronté à l'insuffisance du langage, et qualifiecertaines réalités d'ineffables, ou d'indicibles.

Il est vrai que nous ne percevons que confusément par les mots certains sentiments qui nous affectentprofondément (peut-être trop pour que nous puissions les exprimer), ou encore l'idée de Dieu peut exister dans notre esprit, sans que nous puissions la dire.Si des réalités comme celles-là échappent au langage, et si même il est justifié qu'elles lui échappent (comme le suggère la religion hébraïque d'aprèslaquelle le nom de Dieu ne doit pas être prononcé), alors quel genre d'action pourrait-on avoir sur elles ? 3) Le poète, par exemple, sait très bien cela Cette difficulté de l'homme, à retranscrire ses pensées ou ses émotions à travers les mots, sans les falsifier ni les trahir, l'écrivain et le poète en ont uneconscience aigüe.

Cette rigidité, ce manque de souplesse de l'écriture, Rousseau les a aussi ressenties, comme il en témoigne dans son Traité sur l'origine des langues : peut-on jamais exprimer fidèlement la réalité, et par là l'attendre ? Mais à cette angoissante interrogation, les hommes des lettres, par l'acharnement de leur travail et leurs efforts pour trouver des moyens toujours plus adaptés à l'expression de leurs idées, semblent répondre parl'affirmative, cherchant de nouveaux moyens d'expressions, adoptant le langage préexistant pour exprimer leurs pensées le plus fidèlement possible.

Ils netarissent pas d'inventivité, comme en témoignent les fréquents néologismes, les figures de style, les variations de signes ou même les silences…Si l'homme peut, par ses efforts, tendre vers une meilleure adéquation des signes qu'il utilise aux choses ou pensées qu'il désigne, peut-être peut-on alorsconsidérer le langage comme une médiation efficace entre lui et le réel ? II) Le langage est un moyen d'action sur le réel 1) Dire, c'est déjà dominer Notons déjà que si l'on peut tout dire, c'est d'abord parce que l'on peut tout conceptualiser, et par là organiser, classifier la réalité dans notre esprit.

Lelangage constitue donc un moyen d'appropriation du réel par l'homme, car être capable de donner un nom aux choses ou de les regrouper sous une mêmeappellation, comme le fait l'enfant dès l'âge de deux ans, n'est-ce pas déjà avoir un certain pouvoir sur elles ? N'est-ce pas ce que suggère Freud à safaçon, quand il invite le patient à dire son mal au cours de la cure psychanalytique, façon pour lui d'agir sur ces pensées bien réelles quoique longtempscachées, et espérer en être soulagé ? Quoi de plus éloquent pour convaincre que dire, c'est déjà avoir une certaine maîtrise, et que ce que je ne dis pas, jene le possède pas vraiment ? 2) Mais des paroles toutes simples ont aussi valeur d'action L'expression de certaines idées et leur communication constituent déjà en elles-mêmes des actions.

Ainsi la promesse, qu'elle soit expriméesolennellement ou non, n'a-t-elle pas déjà quasiment valeur d'action ? Ne suggère-t-elle pas qu'au-delà des transformations, des changements qui pourrontsurvenir dans la réalité, l'homme se pense capable (par ses efforts, sa détermination) de demeurer fidèle à cette « parole donnée » ? Cette dernièreexpression l'expose d'ailleurs : cette parole n'est pas seulement « dite », elle est « donnée », est un véritable acte, déjà, le premier d'une série qui peut êtrelongue et difficile, mais que je me sens capable d'accomplir.

3) Le langage nous permet aussi d'agir sur la pensée de l'autre… Le langage nous permet aussi de modifier la perception qu'un autre individu a d'une réalité donnée.

Il semble en effet qu'un ne pense que grâce aux mots :une réalité n'existe pour nous que lorsque nous pouvons l'exprimer, et en particulier la faire exister pour un autre que nous.

On peut ainsi faire prendreconscience à autrui d'une réalité donnée, et donc agir sur sa subjectivité, qui est bel et bien une réalité.

Le pouvoir des mots est exploité par les orateurs,comme en témoigne le combat de Socrate et Platon contre les sophistes.

L'expression courante « choisir ses mots » prend ici tout son sens, puisquel'utilisation d'un champ lexical à connotation déterminée lors d'un discours ou dans un texte produit un effet calculé par l'auteur sur les auditeurs oulecteurs.

Notons que cet effet peut être conscient ou ne pas l'être, de sorte que le lecteur peut parfois ne pas maîtriser ce qui l'atteint malgré lui.

4) D'où la nécessité pour chacun de se l'approprier Le langage peut donc apparaître comme un moyen d'action et de contrôle relatif sur les pensées d'autrui ; plus qu'un moyen d'action, ne peut-il devenir unecondition de l'asservissement de l'être humain et de son enfermement dans une réalité illusoire imposée par d'autres ? Il semble nécessaire alors quechacun s'approprie réellement le langage, le maîtrise réellement pour lui permettre de penser plus librement, afin d'être moins aisément manipulable.

C arpeut-on encore être manipulé, lorsqu'on maîtrise soi-même l'outil de la manipulation ? Impossible alors de se laisser abuser par un discours fallacieux,captieux, comme celui des sophistes en tous genres.

Plus qu'un manque de maîtrise du réel et d'action, le langage pourrait nous permettre d'atteindre laliberté intellectuelle.

Mais n'est-ce pas l'agir par excellence, que celui qui contribue à faire de nous des hommes libres ? L'homme a donc besoin du langage pour désigner et penser le réel.

Par sa capacité à faire évaluer le langage, il peut lui-même trouver des moyensd'exprimer ses idées sans en trahir le sens ni les nuances.

Par sa maîtrise du langage, l'être humain peut dès lors atteindre le réel à travers ce « voile »qu'est certes le mot, mais le plus transparent possible, pour permettre une meilleure adéquation du signifiant au signifié.

Plus encore, l'homme qui use dulangage peut agir sur les pensées de ses semblables.

À chacun de faire de la parole un moyen d'action, de liberté et d'autonomie par rapport au mondeextérieur.

Par le langage, l'homme peut laisser son empreinte sur le réel.

Malgré les difficultés auxquelles il confronte l'individu, cet outil, une fois maîtrisé,est un moyen d'action libre.. »

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