Devoir de Philosophie

PLATON et Anaxagore

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

platon
Or voici qu'un jour j'entendis faire une lecture dans un livre qui était, disait-on, d'Anaxagore et où était tenu ce langage : « C'est en définitive l'Esprit qui a tout mis en ordre, c'est lui qui est cause de toutes choses. » Une telle cause fit ma joie; il me sembla qu'il y avait, en un sens, avantage à faire de l'Esprit une cause universelle : s'il en est ainsi, pensai-je, cet Esprit ordonnateur, qui justement réalise l'ordre universel, doit aussi disposer chaque chose en particulier de la meilleure façon qui se puisse : voudrait-on donc, pour chacune, découvrir la cause selon laquelle elle naît, périt ou existe? ce qu'il y aurait à découvrir à son sujet, c'est selon quoi il est le meilleur pour elle, soit d'exister, soit de subir ou de produire quelque action que ce soit. (...) Eh bien! adieu la merveilleuse espérance! Avançant en effet dans ma lecture, je vois un homme qui ne fait rien de l'Esprit, qui ne lui impute non plus aucun rôle dans les causes particulières de l'ordre des choses, qui par contre allègue à ce propos des actions de l'air, de l'éther, de l'eau, et quantité d'autres explications déconcertantes. Or son cas, me sembla-t-il, était tout pareil à celui de quelqu'un qui, après avoir dit que dans tous ses actes Socrate agit avec son esprit, se proposant ensuite de dire les causes de chacun de mes actes, les présenterait ainsi : Pourquoi, d'abord, suis-je assis en ce lieu? C'est parce que mon corps est fait d'os et de muscles; que les os sont solides et ont des commissures qui les séparent les uns des autres, tandis que les muscles, dont la propriété est de se tendre et de se relâcher, enveloppent les os avec les chairs et avec la peau qui maintient l'ensemble; par suite donc de l'oscillation des os dans leurs emboîtements, la distension et la tension des muscles me rendent capable par exemple de fléchir à présent ces membres; et voilà la cause en vertu de laquelle, plié de la sorte, je suis assis en ce lieu! (...) Donner toutefois le nom de causes à des choses pareilles est un comble d'extravagance. Dit-on au contraire que, sans la possession d'os, de muscles, de tout ce qu'en plus j'ai à moi, je ne serais pas à même de réaliser mes desseins? Bon, ce serait la vérité. Mais dire que c'est à cause de cela que je fais ce que je fais, et qu'en le faisant j'agis avec mon esprit, non cependant en vertu du choix du meilleur, peut-être est-ce en prendre plus que largement à son aise avec le langage! Il y a là une distinction dont on est incapable : autre chose est en effet ce qui est cause réellement; autre chose, ce sans quoi la cause ne serait jamais cause. Or, voilà, à mes yeux, ce que la plupart, tâtonnant comme dans les ténèbres, désignent, d'un terme dont l'emploi est impropre, comme étant une cause. Phédon, 97b-c, 98b-d, 99a-b. Traduction L. Robin, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 1960.
platon

« proprement platonicienne qui s'y esquisse. a) L'expérience universelle dont nous parlions, c'est celle que tout un chacun peut faire : les choses naissent,périssent, existent.

Autrement dit : il y a de l'être et du changement, un mouvement de génération et decorruption (d'où la question de l'immortalité de l'âme) — et connaître leurs causes, c'est précisément leproblème de la physique (on voit qu'à l'origine la philosophie ne s'en distingue pas).

Savoir, c'est pouvoir expliquer le comment, mais peut-être surtout comprendre le pourquoi de l'action ou de la passion de chaque chose.

Le philosophe (physicien), c'est l'homme du sens, une notion que le texte incite à définir : de quoi s'agit-il, sinon de concevoir chaque chose par sa disposition (sa place et sa destination — seule façon de la fixer, donc de la saisir, en son « mouvement ») dans un ordre qui lui confère sa perfection, à concevoir lui- même comme un universel où s'unissent (ou s'unifient?) les particularités, ce qui exige un logos — un langage qui soit intégralement raison, c'est-à-dire présence constamment active du lien de l'universel et du particulier. Si les choses ne sont intelligibles que par leur(s) cause(s), seul un Esprit cause de tout peut rendre la causalité elle-même intelligible : c'est en poussant à ses dernières conséquences cette pensée d'Anaxagore, en la radicalisant, que Platon inaugure son propresystème philosophique.

Seul un esprit (en grec : un noûs, une intelligence capable de choisir et projeter en toute sagesse) peut vouloir l'ordre, et produire le principe à même de tout ordonner, à savoir : le principe du meilleur.

Ainsi s'annonce ce qui prendra, par la suite, de La République aux Lois, en se purifiant de ses aspects « psychologiques », la forme rigoureuse de l'idée du Bien.

Au fond — n'est- ce pas ce que Platon nous invite à méditer : une chose se comprend-elle vraiment tant qu'elle n'est pas justifiée? Qu'est-ce qui « est cause réellement » de quelque chose, sinon sa raison d'être ?Qu'est-ce qui rend raison d'une existence, d'une action, d'une passion, sinon sa fin ? Et qu'est-ce qui justifie toute fin, sinon le Bien ? En tout état de cause, la moindre des choses dès lors, pour un philosophe, c'est de ne pas confondre l'ordre de la cause et la nécessité de la condition (ce sans quoi la cause ne serait jamaiscause) — en l'occurrence, toute la machinerie du corps, si ironiquement démontée par Socrate, sans laquelle, assurément, il nesaurait y avoir d'action, mais qui ne saurait en fournir le sens. On mesure mieux, désormais, l'importance de ce texte (que Leibniz par exemple reproduira tout au long d'un chapitrede son Discours de Métaphysique).

Pour commencer, il nous fournit, au principe d'une histoire de la rationalité philosophique, un bon exemple de ce qu'est l'action du philosophe : elle consiste bien à conduire la pensée desténèbres à la clarté, en pratiquant, dans la critique de toutes les confusions, la distinction des concepts.

Cela étant, le gain théorique que constitue, à la fin du texte, l'opposition de la cause et de la condition s'inscrit dans uneproblématique plus large, dont Platon contribue à définir les termes : impossible de s'interroger sur la causalité sanss'interroger sur la finalité (surtout s'il s'agit de penser l'action); impossible de ne pas opposer la téléologie(l'intelligence des fins) et le mécanisme (l'intelligence des effets), sans que celle-là exclue pour autant la nécessitéde celui-ci (et pour des siècles de philosophie, concevoir la Nature, ce sera tenter de concevoir leur juste rapport);impossible, enfin, de ne pas pressentir, sous la mention de l'Esprit Cause de Tout, une possible définition de Dieu, et de ne pas se poser la question, par-delà la distinction de la philosophie et de la physique, du lien de la philosophie etde la théologie.

Mais comment ne pas souligner, pour conclure, que l'histoire de la philosophie se présente ici commeun authentique conflit entre deux points de vue antagoniques, qu'Anaxagore paraît contenir en puissance : celui dutenant des causes idéales (porté par sa logique vers le ciel de la théologie), celui du tenant des causes matérielles(ancré, à l'évidence, dans le champ de la physique).

Avant qu'ils ne se nomment l'idéaliste et le matérialiste, Platon lui-même les mettra en scène, dans Le Sophiste, par l'affrontement en un combat de géants (une « gigantomachie ») des Amis des Formes et des Fils de la Terre.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles