Devoir de Philosophie

Pourquoi Commémorer ?

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

La commémoration est décision de la raison. Commémorer un événement inique est toujours un hommage aux victimes à titre posthume, certes, mais posthume du traumatisme lui-même. La « Shoa » (l'extermination du peuple Juif) fut commémorée parce que reconnue ensuite, par l'Histoire, dans son entière réalité mortifère et abominable. A ce moment, un coup fatal est porté aux conceptions positives de l'Histoire de l'humanité. D'autres faits historiques ont, paradoxalement, fini d'enterrer cette thèse d'une Histoire sensée, progressiste. Ainsi l'esclavage avéré et dénoncé qui, sur le plan politique, exigeait des signes forts de reconnaissance amenant, par la Commémoration, à affirmer l'existence et les droits de ces citoyens trop longtemps déniés, dénaturés ou bafoués : Rapport au Premier ministre du Comité pour la mémoire de l'esclavage du 12 avril 2005 : « la très grande majorité de nos concitoyens du monde issu de l?esclavage sont convaincus que, malgré la loi du 21 mai 2001, l?histoire de la traite négrière, de l?esclavage et de leurs abolitions continue d?être largement ignorée, négligée, marginalisée. Ces concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration dans la République. » Commémorer signifie donc reconnaître le plus souvent les crimes mais également vouloir ne pas les oublier. Un devoir de mémoire qui, moralement et politiquement, est la décision de ne pas oublier le crime du pays commémorateur, est également un devoir de ne pas le réitérer. C'est l'aveu d'une Histoire de la violence faite par une civilisation qui s'avoue fautive, certes, mais perfectible.

« Parler de devoir, c'est supposer que la mémoire peut dépendre d'une décision volontaire, ou du moins d'un effort quel'homme peut faire ou ne pas faire.

La mémoire est donc envisagée ici comme processus que l'on cultive, et noncomme simple mémoire mécanique ou mémorisation passive.

En cherchant à acquérir, ou à reconstituer, la mémoired'un certain passé, l'homme ne se donne-t-il pas des références utiles pour la conduite de ses pensées comme deson existence ? Et n'est-il pas nécessaire qu'il se les donne ? Enjeux de lucidité et de liberté que l'on peut saisirnotamment dans le champ historique et politique: la connaissance du passé, au-delà de sa seule remémoration, nenourrit-elle pas la lucidité et la vigilance à l'égard du présent ? L'élucidation des fondements du devoir de mémoire appelle aussi une analyse critique et différentielle de ce quidistingue la mémoire requise de la mémoire néfaste.

Tournant à l'obsession, à l'impossibilité de saisir la nouveautéradicale, lorsque celle-ci advient, la mémoire ne peut faire l'objet d'aucun devoir.

Peut-être même y a-t-il, en aucuncas, un véritable devoir d'oubli, pour libérer la conscience des pesanteurs inutiles ou des analogies trompeuses.Nietzsche mettait en garde contre le ressassement et le ressentiment.

Dans son Par-delà Bien et Mal , il retrace – pour mieux les dénoncer – les fondements biologiques, affectifs et instinctuels des valeurs traditionnelles quiprésident au choix du devoir de mémoire. Seront valorisées les formes sacrificielles, humbles et victimisantes de la vie.

Les faibles sont devenus les héros d'une histoire « décadente ».

Ce qui se cache sous la Commémoration, auraitdit Nietzsche, c'est la faiblesse, le ressassement et le ressentiment.

Une morale du sacrifice et du renoncementprésidera alors.

Commémorer serait, en ce sens, dire non à l'avenir, à la vie dans sa réalité naturellement etéternellement exubérante et violente.

Nietzsche y distingue une illusion (religieuse, morale, politique) reposant surun renversement des valeurs premières, naturelles pour imposer une « morale de troupeau ». Valéry, à propos de l'Histoire humaine, attirait l'attention sur le danger des analogies qui constituent à interpréter leprésent à partir du passé, c'est-à-dire à plaquer le passé sur le présent. Pour la culture de chaque homme, la référence au passé est constitutive.

Pascal, dans la préface du Traité sur le vide , rappelait que tout nouveau progrès ne fait qu'enrichir un savoir qui se construit de génération en génération, y compris parfois à travers des remises en question radicales.

Le devoir de mémoire, la référence à la traditionn'excluent pas, bien au contraire, le dépassement critique et le progrès. Conclusion Vouloir se souvenir de ceux qui ont souffert c'est admettre que l'Histoire ne se dirige pas naturellement vers lebien et la paix.

C'est affirmer que ces valeurs ne seront appréhendées que par la conscience et la culture. Mais une civilisation qui cherche à se souvenir sans cesse risque de rester dans le traumatisme et doncs'empêcher d'agir pour créer de nouvelles valeurs.

Commémorer est l'indice d'une culture digne de ce nom,certes, mais l'oubli n'est-il pas alors constitutif d'une Histoire tournée vers un oui à l'acte créateur de nouvellesvaleurs ?. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles