Qu'est-ce qu'un mot ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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affirme aussi notre personnalité, nos désirs, nos choix politiques, nos idéaux ou notre hargne, notre aigreur.
Larudesse, la grossièreté, les termes connotés ou racistes témoignent d'un certain état d'esprit.
Ainsi, se servir dusystème de signes qu'est la langue n'est pas neutre.
Nous ne parlons pas de manière informelle.
Et lorsque nousnous exprimons de manière policée, sans sembler dévoiler quoique ce soit de nous, à la manière d'un diplomate, nousapportons encore des informations sur le contexte du dialogue ; les précautions du langage neutre sont encorel'indice qui éclaire une situation et apporte des éléments concernant les acteurs sociaux en présence.
En parlant d'une chose, on ne parle pas que d'une chose en transmettant des informations ; on parle aussi de nous,de notre éducation, de nos choix, de notre état d'esprit, de notre rigueur intellectuelle et morale.
La parole sedéfinit ainsi comme la manière singulière, particulière, dont l'individu ou un groupe social utilise, s'approprie, se créeun répertoire dans différents registres d'une même langue.
Un style caractérise la parole ; l'individu imprime samarque à la langue.
La parole est donc une initiative personnelle qui met en mouvement la langue d'une communauté linguistique.
Lalangage est un acte qui n'existe pas avant l'initiative personnelle qui consiste à prendre la parole dans un répertoirede possibilités d'expressions verbales qui est la langue.
Une phrase n'est donc pas faite que de mots ; au contraire,les mots se déposent sur la route d'une sorte de volonté d'expression qui définit le langage.
Mais qu'est-ce qu'un mot, exactement ?
Poser cette question, c'est interroger la nature d'éléments linguistiques que nous manions constamment, c'est soupçonner qu'ils ne sont pas d'aussi simples outils d'expression que ce que notre usage quotidien etinsouciant nous invite à le croire.
Si un mot n'est pas seulement un mot pour désigner une chose, alors qu'est-ceque notre répertoire personnel, où nous puisons nos formules, où nous nous approprions la langue ?
Poser la question "Qu'est-ce qu'un mot ?" implique que la nature du langage humain est ambiguë.
Cela suppose quelorsque nous employons des mots et que nous commettons l'acte anodin d'écrire ou de parler, nous ne faisons pasque cela.
En utilisant des mots, nous créons une réalité linguistique : nous enchaînons des syllabes, des sons, desnoms, des adverbes, des conjonctions de coordination, des adjectifs qualificatifs…Et souvent, nous croyonsspontanément que nous ne faisons que décrire la réalité physique qui nous environne et que nous traduisons nospensées.
Nous croyons que les mots servent simplement à nommer une réalité extérieure comme les objets, lesgroupes d'objets et leurs caractéristiques que nous pouvons décrire, ou une réalité intérieure, comme nos idées, nosraisonnements, nos conclusions, mais aussi nos sentiments et nos désirs.
Mais quand nous utilisons des mots, ne faisons-nous que faire état d'une réalité extérieure (le monde, la réalité quinous entoure) et intérieure ( la pensée, les sentiments) qui préexisterait à sa dénomination, qui attendrait d'êtrenommée ? Les mots ainsi viendraient se surajouter à une réalité toute faite, prête à être nommée.
Ou bien est-ceque nos mots ne sont pas plutôt des grilles à travers lesquelles nous voyons le monde et comprenons notre vécuintime ? Ils seraient ainsi les supports de notre découpage de la réalité et le moyen d'attribuer une significationclaire à ce que nous ressentons.
Sans eux, notre perception du monde serait un fouillis confus, et notre mondeintérieur serait un magma inclassable d'émotions toujours mouvantes.
Bref, les mots se surajoutent-ils à une réalité déjà ordonnée, déjà composée, ou bien sont-ils les vecteurs d'unordonnancement du réel qui ne devient cohérent que pris dans les rêts d'un langage qui introduit de l'ordre et dessignifications ? L'enjeu de ce sujet est de démêler les rapports entre langage et réalité.
Dans un premier temps, nous envisagerons l'hypothèse selon laquelle le mot remplace la chose.
Puis nousmontrerons que, plutôt que de l'envisager comme une simple étiquette, la réflexion qui le définit comme un signelinguistique rend compte d'une approche complexe de la réalité visée par les mots.
Enfin, il conviendra de défendrel'idée selon laquelle les mots sont des signes linguistiques qui organisent notre perception du réel, certes, mais aussiet surtout notre pensée.
I.
Le mot remplace la chose
A.
La conception classique : la langue comme nomenclature
Une nomenclature est une liste de termes correspondant à autant de choses.
Les langues seraient ainsi des inventaires linguistiques de ce qui existe déjà.
Dans Cent ans de solitude , Gabriel Garcia Marquez décrit le stratagème d'un village frappé d'amnésie : leur procédé pour se souvenir de la réalité, qui consiste à coller uneétiquette sur chaque chose, donne un exemple pertinent de la conception de la langue comme nomenclature :.
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