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Qu'est-ce qu'une majorité politique ?

Publié le 13/10/2009

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Qu'est-ce qu'une majorité politique ?

Lorsqu’on entend dire qu’un pays a « changé de majorité politique «, cela veut dire qu’un autre parti ou groupe de partis politiques que celui au pouvoir jusque là a recueilli plus de vote lors d’une élection législative ou présidentielle et est devenu majoritaire, c’est-à-dire supérieure en nombre, au sein des institutions législatives et exécutives. La majorité politique d’un pays, conformément au sens du mot major qui désigne une supériorité quantitative, c’est apparemment cela : un parti politique qui a plus de 50% des élus au sein des institutions de l’Etat qui ont un pouvoir décisionnaire.

  Mais cette définition n’est pas si simple que cela. En effet, lors de certains votes, comme ceux concernant les réformes de la Constitution en France, il faut obtenir la « majorité des deux-tiers «, qui représente une majorité plus grande que celle exigée pour voter une loi au Parlement. A l’inverse, certains partis ont été majoritaires au sein de l’Assemblée en ayant obtenu moins de la moitié des sièges mais en étant tout de même les plus nombreux. Cette extension très large du terme de majorité politique pose le problème de savoir si la majorité « politique « est représentative de la majorité d’opinions au sein du peuple qui a voté pour désigner ses élus. On parle ainsi parfois de « majorité silencieuse « pour désigner la fraction de l’opinion publique qui ne s’exprime que par le vote et qui est ainsi à l’origine de surprises électorales. En outre, selon le mode de scrutin (à la proportionnelle ou par circonscription) les majorités peuvent changer du tout au tout. C’est ainsi que récemment en Italie l’ancien gouvernement a pu revenir au pouvoir après avoir fait passé une nouvelle loi électorale, sans que l’état de l’opinion ait changé foncièrement.

  Le problème est alors de savoir si la majorité politique représentante (les élus aussi bien locaux que nationaux) peut être considérée représentative de la majorité politique représentée (l’ensemble des votants). Si la politique est une activité de gouvernement d’une collectivité, il semble rationnel de suivre l’avis du plus grand nombre dans les choix qui concernent cette collectivité. Mais en élisant des représentants, ne risque-t-on pas de biaiser cette majorité politique au sein de l’opinion ? Cela veut-il dire que les minorités politiques n’ont pas le droit à la parole ? 

« majorité au sein de la communauté politique toute entière ? Cette majorité, comment doit-elle alors s'exprimer dansle vote ? II./ Les problèmes du vote et de la représentation politique.

A./ Si une majorité politique doit être issue d'un vote du peuple, il semble requis qu'il y ait d'abord un acte quiconstitue le peuple comme tel.

Et cet acte fondateur doit se faire à l'unanimité, car comme le remarque Rousseauau chapitre 2 du livre IV du Contrat social : « si lors du pacte social il s'y trouve des opposants, leur opposition n'invalide pas le contrat, elle empêche seulement qu'ils n'y soient compris.

» Or cet acte fondateur est le premieracte par lequel s'exprime une volonté générale du peuple : et la loi n'est autre chose qu'un acte de cette volontégénérale.

Mais alors, ne faudrait-il pas que toutes les lois soient votées à l'unanimité ? Non, car lorsqu'on soumetune proposition de loi à l'assemblée du peuple « ce qu'on leur demande n'est pas précisément s'ils approuvent laproposition mais si elle est conforme ou non à la volonté générale […].

Quand donc l'avis contraire au mienl'emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m'étais trompé, et que ce que j'estimais être la volonté généralene l'était pas.

» Le vote à la majorité ne confère donc pas la force du nombre à une série de représentant : il estjuste le signe de ce qu'est la réelle unanimité.

Il n'existe donc pas de réelle « majorité politique » mais uniquementde l'unanimité : car elle seule est volonté générale et donc loi.B./ Mais Rousseau est tout à fait conscient de ce que cette doctrine peut avoir d'artificiel : si une seule voixdépartage deux propositions ou deux programmes, peut-on réellement dire que l'un est révélateur de l'unanimitépolitique et l'autre non ? Non, et il propose deux « maximes générales » dans ce même chapitre : « l'une, que, plusles délibérations sont importantes et graves, plus l'avis qui l'emporte doit approcher de l'unanimité ; l'autre, que, plusl'affaire agitée exige de célérité, plus on doit resserrer la différence prescrite dans le partage des avis.

» Ainsi pourles lois fondamentales qui touchent à la constitution on exigera une majorité politique qui sera supérieure à la simplemoitié des voix plus une : c'est ce qui est en vigueur actuellement dans les institutions de la République françaisepuisqu'il faut plus des deux tiers des votes du Sénat et de l'Assemblée réunies pour modifier la Constitution.

Parcontre, lorsqu'on traite les affaires actuelles, exigeant de se presser, on opte pour une majorité plus réduite,demandant moins de délibérations pour obtenir un accord.

La majorité révélatrice de l'unanimité est donc à grandeurvariable, selon la temporalité dans laquelle s'inscrit le vote politique.C./ Néanmoins, de telles majorités politiques ne peuvent exister que lorsqu'il s'agit de votes de lois, et nond'élections de représentants.

En effet, comme Rousseau l'écrit dans le chapitre 15 du livre III qu'il leur consacre :« la souveraineté [c'est-à-dire le pouvoir de faire et défaire la loi] ne peut être représentée, par la même raisonqu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représentepoint : elle est la même, ou elle est autre ; il n'y a point de milieu.

Les députés du peuple ne sont donc ni nepeuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement.Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi.

» Les élus peuvent êtremandatés par le peuple, c'est-à-dire aller porter sa voix, mais non parler pour lui.

Sinon on retombe dans la situationdécrite par Dewey dans laquelle une portion d'hommes politiques règle seule toutes les affaires politiques.

Laformation d'un corps intermédiaire entre le Peuple et la loi fait que la liberté n'existe plus que dans ce corpsintermédiaire, celui des partis politiques ou de l'assemblée des représentants.

Ainsi, ce que nous entendonsactuellement par « majorité politique », un parti ou groupe de partis ayant une supériorité numérique dans lesinstances législatives décisionnaires, est en réalité dénué de toute légitimité : la seule majorité politique qui peutexister et faire acte de loi dans un régime politique véritable est l'unanimité du peuple.

Mais dans un tel système, où la majorité n'est que le signe de l'unanimité, ne risque-t-on pas, en gommant lanotion de majorité politique, de gommer aussi celle de minorité politique ? Or, le vrai problème pour savoir ce qu'estune majorité politique, n'est-ce pas précisément de savoir ce que sont les minorités et comment celles-ci peuventse constituer comme majorités lors d'un changement politique ? III./ Le destin des minorités politiques. A./ Le risque qu'il y a à conférer un pouvoir à la majorité est que ceux qui ont une opinion minoritaire ne peuventaccéder au pouvoir.

Or d'une part cela ne les empêche pas d'avoir leur mot à dire sur le destin de la communauté àlaquelle ils font partie, et d'autre part il existe de nombreux exemples historiques de minorités écrasées par lepouvoir de la minorité.

Ce qu'il faut élucider lorsqu'on parle de majorité politique, ce n'est pas seulement en quoi elleest majoritaire et si cela est légitime, mais quel pouvoir politique on peut attribuer à un groupe parce qu'il estmajoritaire.B./ Or ce dont on s'aperçoit alors en s'intéressant aux minorités auxquelles on dénie le pouvoir politique, c'est que lamajorité n'est pas forcément une affaire de nombre.

Les femmes par exemple, sont majoritaires quantitativement(puisqu'il naît pour chaque génération quelques femmes en plus que d'hommes) et pourtant elles ont longtemps étéconsidérées comme des mineurs par les pouvoirs politiques – et le sont encore sur beaucoup de point.

Comme l'écritDeleuze dans un article intitulé "Philosophie et minorité" paru en 1978 dans la revue Critique : « Minorité et majorité ne s'opposent pas d'une manière seulement quantitative.

Majorité implique une constante idéale, comme un mètre- étalon par rapport auquel elle s'évalue, se comptabilise.

Supposons que la constante ou l'étalon soit Homme-blanc- occidental-mâle-adulte-raisonnable-hétérosexuel-habitant des villes-parlant une langue standard […].

Il est évident que « l'homme » a la majorité, même s'il est moins nombreux que les moustiques, les enfants, les femmes, les noirs,les paysans, les homosexuels… etc.» La majorité n'est pas une affaire de nombre, mais d'étalon, de perspectiveavec laquelle on norme les individus.

Cette norme a un pouvoir car tous ceux qui s'en écartent sont menacés de sevoir priver de droits politiques, d'être considérés comme des mineurs, par exemple en leur déniant le droit de vote.C./ Mais si la minorité n'est qu'une affaire de perspective, même " l'Homme-blanc-occidental-mâle-adulte-. »

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