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QUI SOMMES-NOUS ?

Publié le 19/10/2016

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Pour une large part, la difficulté inhérente à l'identité humaine tient ainsi à cette manière de ne pouvoir penser et dire « je » qu'en pensant et en disant en même temps « nous » : difficulté que les contextes ou les cultures tantôt atténuent, tantôt exacerbent, mais qui reste structurelle, tant il est vrai que les deux moments ou les deux versants de cette expression de l'identité induisent des représentations, des valeurs et, pour ainsi dire, des éthiques d'orientations virtuellement opposées.

Par lui-même, le moment de la singularisation induirait en effet une éthique allant dans le sens d'une séparation ou d'un arrachement à tout ce qui est partagé. Considéré lui aussi isolément, le moment de reconnaissance d'une solidarité conduirait à promouvoir des valeurs d'intégration à une dimension de communauté. Pour l'essentiel, la problématique de l'identité tient à cette étrange tension, déjà structurellement inscrite en elle, et aux diverses accentuations auxquelles cette bipolarisation de l'identité (un pôle d'individualité, un pôle de communauté) peut donner lieu, selon les cultures et les sociétés où se trouve posée, aux individus et aux groupes, la question de savoir ce qu'ils sont.

« 0002000011C100000C2F essentialiste », qui s'est développé de la Renaissance à la philosophie des Lumières, l'humanité se définit par la possession d'une identité spécifique ou générique (par exemple, celle qui fait de l'homme un animal raisonnable).

À l'horizon de cette première exigence, s'affirment avec clarté les valeurs de ce qu'on entend par humanisme abstrait : humanisme qui valorise chez tous les hommes ce qu'ils ont de commun, abstraction faite de ce qui les différencie socialement, culturellement, génériquement.

Pour un tel humanisme, il existe une nature commune à tous les hommes, identique chez chacun d'eux.

En vertu de cette nature, il leur revient à tous les mêmes droits, quelles que puissent être leurs caractéristiques distinctives (d'âge, de sexe, d'ethnie, etc.).

Le premier article de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 constitue précisément pour nous l'expression la plus familière de cette exigence non négociable : proclamer que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », c'était dire qu'autrui, si grandes que soient les différences qui le distinguent de moi, est en matière d'humanité identique à moi.

Il a donc droit aux mêmes droits que moi. Une seconde exigence est cependant parvenue à se faire jour ensuite, dès la fin du XVIIIe siècle, à partir du moment où certains effets négatifs de la première exigence se laissèrent apercevoir.

La représentation de l'humanité en termes d'identité commune et indifférenciée pouvait aussi ouvrir sur la perspective d'une négation des particularités.

La référence à une essence de l'être humain risquait aussi de servir à discriminer du reste de l'humanité les individus ou les groupes d'individus ne correspondant pas à l'identité supposée commune à tous les hommes et à les exclure, en droit comme en fait, de l'humanité pleine et entière.

Virtualités inquiétantes que certains penseurs contre-révolutionnaires, comme Edmund Burke, ont fait valoir contre la politique inspirée par les droits de l'homme qui était accusée d'ouvrir la voie à un nouveau despotisme sacrifiant à une définition trop abstraite de l'humain la richesse et la diversité des traditions. Assurément une telle prise de position nous apparaît-elle excessive aujourd'hui : elle impliquait, à travers la défense des traditions, la condamnation pure et simple du projet même d'une politique fondée sur des principes rationnels.

En revanche, comment pourrions-nous nier, deux siècles plus tard, que certaines des dérives ainsi dénoncées comme inévitables par ces critiques contre-révolutionnaires se fussent parfois inscrites dans le réel ? De fait, la philosophie des Lumières n'a pas conduit d'emblée tous ses partisans, tant s'en faut, à dénoncer l'esclavage.

Au point que la même France, qui avait été l'une des terres de développement de cette philosophie des Lumières, a maintenu l'esclavage dans ses colonies jusqu'en 1848 : n'était-ce pas signifier au monde que les héritiers des Lumières n'avaient rien vu de choquant et d'inacceptable dans le Code noir qui faisait des Africains déportés aux Antilles des « biens meubles », avec le statut juridique d'objets que l'on peut acheter et vendre ? De même, comment ignorer que, si la 2. »

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