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ROUSSEAU: le meilleur gouvernement

Publié le 27/04/2005

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rousseau
Quand donc on demande absolument quel est le meilleur gouvernement, on fait une question insoluble comme indéterminée; ou, si l'on veut, elle a autant de bonnes solutions qu'il y a de combinaisons possibles dans les positions absolues et relatives des peuples. Mais si l'on demandait à quel signe on peut reconnaître qu'un peuple donné est bien ou mal gouverné, ce serait autre chose, et la question de fait pourrait se résoudre. Cependant on ne la résout point, parce que chacun veut la résoudre à sa manière. Les sujets vantent la tranquillité publique, les citoyens la liberté des particuliers; l'un préfère la sûreté des possessions, et l'autre celle des personnes; l'un veut que le meilleur gouvernement soit le plus sévère, l'autre soutient que c'est le plus doux; celui-ci veut qu'on punisse les crimes et celui-là qu'on les prévienne; l'un trouve beau qu'on soit craint des voisins, l'autre aime mieux qu'on en soit ignoré; l'un est content quand l'argent circule, l'autre exige que le peuple ait du pain. Quand même on conviendrait sur ces points et d'autres semblables, en serait-on plus avancé? Les qualités morales manquant de mesure précise, fût-on d'accord sur le signe, comment l'être sur l'estimation? Pour moi, je m'étonne toujours qu'on méconnaisse un signe aussi simple, ou qu'on ait la mauvaise foi de n'en pas convenir. Quelle est la fin de l'association politique? C'est la conservation et la prospérité de ses membres. Et quel est le signe le plus sûr qu'ils se conservent et prospèrent? C'est leur nombre et leur population. N'allez donc pas chercher ailleurs ce signe si disputé. Toutes choses d'ailleurs égales, le gouvernement sous lequel, sans moyens étrangers, sans naturalisation, sans colonies, les citoyens peuplent et multiplient davantage, est infailliblement le meilleur. Celui sous lequel un peuple diminue et dépérit est le pire. Calculateurs, c'est maintenant votre affaire; comptez, mesurez, comparez. ROUSSEAU

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« à Rousseau, non pas de dire quel est le meilleur gouvernement pour lui, mais de dire, plus simplement, si legouvernement qu'il a est bon ou mauvais, si ce peuple est bien ou mal gouverné.

Autrement dit, Rousseau croitpossible de définir un critère, de reconnaître un signe permettant de juger de la valeur d'un gouvernement donné.

Lechangement de terrain qu'effectue Rousseau est fondamental : il refuse la question de l'essence éternelle dumeilleur gouvernement pour revenir à l'analyse empirique d'une situation donnée et précise.

Rousseau ne juge plusau niveau des idées mais au niveau des faits : en d'autres termes, Rousseau va se demander si la constatation d'uncertain nombre de faits précis peut permettre de juger de la qualité d'un gouvernement donné. « Cependant on ne la résout point, parce que chacun veut la résoudre à sa manière.

Les sujets vantent latranquillité publique, les citoyens la liberté des particuliers...

l'un est content quand l'argent circule, l'autre exige quele peuple ait du pain.

»Avant de suggérer sa propre « opinion » sur cette question et d'énoncer le critère qui lui semble adéquat, Rousseautient à analyser la raison pour laquelle ce critère, ou ce signe, est si mal connu et si peu retenu.

Alors qu'il s'agit dedéfinir un critère objectif, dépassant les intérêts particuliers de chaque individu, chacun juge son propregouvernement en fonction de ses seuls intérêts, de ses seules passions et de ses seules inquiétudes.

Autrement dit,on se contente, le plus souvent, de donner son opinion sur le gouvernement en fonction de soi-même, au lieud'apprécier la valeur du gouvernement en fonction d'un critère incontestable, et d'une certaine manièreimpersonnelle.

C'est dans cette perspective que Rousseau reprend la distinction entre le sujet et le citoyen qu'ilavait proposée au chapitre 6 du Livre I du Contrat social : « A l'égard des associés, ils prennent collectivement lenom de peuple, et s'appellent en particulier Citoyens comme participants à l'autorité souveraine, et, Sujets commesoumis aux lois de l'État.

» Certes, chaque associé est à la fois sujet et citoyen mais on peut noter que son point devue peut changer selon qu'il pense plutôt en sujet ou plutôt en citoyen : ainsi comme sujet soumis, quelque peupassivement, aux lois, il attendra du gouvernement qu'il fasse respecter l'ordre et qu'il sauvegarde la « tranquillitépublique »; alors que, comme citoyen, il aura tendance à demander au gouvernement d'intervenir le moins possiblede telle sorte qu'il n'y ait pas aliénation ou diminution des libertés individuelles.

Ainsi, chez un même individu, lecritère permettant d'accorder le satisfecit au gouvernement peut varier suivant sa propre position sociale : lepauvre se moque de l'atteinte à la propriété puisqu'il ne possède rien; mais sitôt un bien acquis, le même hommeexigera du gouvernement qu'il protège sa possession.

Chaque individu pourra aussi juger le gouvernement selon sespropres critères de moralité : certains, par tempérament, répugneront à ce que le gouvernement recourt à la force,d'autres, au contraire, l'exigeront.

A travers la diversité des opinions, des tendances personnelles, des conduitesmorales, il paraît impossible de discerner un critère qui puisse réconcilier des points de vue aussi différents etdivergents.Et c'est sans doute pour cette raison qu'aucun gouvernement ne fait l'unanimité puisque chacun ne le juge qu'enfonction de sespropres positions, et que celles-ci sont diverses et variables.

Ce n'est donc pas du côté de l'opinion que chacun sefait quant à son propre gouvernement qu'il convient de rechercher le signe de sa qualité, car le résultat ne peutêtre que contradictoire.« Quand même on conviendrait sur ces points et d'autres semblables, en serait-on plus avancé? Les qualités moralesmanquant de mesure précise, fût-on d'accord sur le signe, comment l'être sur l'estimation? »En admettant même qu'il soit possible qu'un peuple entier s'accorde sur un critère à caractère moral (ce qui semblequasiment impossible d'après ce qui vient d'être dit), Rousseau considère que ce critère n'aurait pourtant aucuneutilité : ainsi, tous pourraient éventuellement juger souhaitable que le gouvernement soit « sévère mais juste ».

Maisun tel critère est impossible à appliquer, du point de vue de l'analyse empirique, car il est imprécis et impossible àmesurer : et d'ailleurs, là encore, l'appréciation subjective de chacun rendrait ce critère inopérant; certainsjugeraient le gouvernement trop sévère, donc injuste, d'autres pas assez, donc laxiste.

Ce n'est donc pas du côtédes qualités morales qu'il faut rechercher le signe du meilleur gouvernement; en fait, ce constat d'échec quant aucritère moral découle logiquement du point de vue empirique adopté par Rousseau ici : c'est sur des faits, sur desdonnées tangibles et quantifiables qu'il entend se déterminer et non sur des opinions ou des valeurs qui sont parnature imprécises et changeantes. «Quelle est la fin de l'association politique? ...

Calculateurs, c'est maintenant votre affaire; comptez, mesurez,comparez.

»L'empirisme adopté par Rousseau admet ici une sorte de parenthèse dans la mesure où il revient à la question de lafinalité de l'association politique, question centrale du Contrat social : si les individus épars et isolés ont décidé des'associer, c'est qu'ils ont été poussés à cette nécessité pour se conserver en vie et prospérer.

Autrement dit, sansl'association politique, le genre humain courrait à sa perte et à sa disparition.

C'est à ce fondement qu'il faut revenirpour juger de la qualité d'un gouvernement.

En effet, le bon gouvernement sera celui qui, en fonction d'un peupledonné, garantira par son action la conservation en vie des sujets et leur prospérité, c'est-à-dire leur accroissementnumérique.

Par conséquent, ce que nous appelons aujourd'hui la croissance démographique doit être considérécomme le signe le plus probant de la qualité d'un gouvernement.

Ceci dit, il convient d'éliminer tous les élémentsartificiels (colonisation, immigration, etc.) qui peuvent fausser l'appréciation de l'accroissement démographique.

Maisune fois cette restriction faite, Rousseau considère qu'un peuple qui se multiplie « naturellement » ne le fait quedans la mesure où son gouvernement est bon, tandis qu'un peuple qui décroît vit sous un mauvais gouvernement.Notons ici que ce critère serait particulièrement cruel pour l'ensemble des gouvernements des pays développésd'aujourd'hui puisque la baisse démographique y est systématique ! Comment apprécier, de manière sérieuse, lecritère démographique proposé ici par Rousseau? Il nous semble absolument nécessaire de le resituer dans soncontexte historique : Rousseau pense et écrit à une époque où les famines, les épidémies et les catastrophes entout genre provoquent de graves dépressions démographiques; la mortalité infantile fait des ravages; et parconséquent, tout ce qui encourage l'essor démographique va dans le sens d'un progrès politique.

Dans ces. »

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