Se conduire moralement, est-ce aller contre la nature ?
Publié le 27/02/2005
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"Premièrement si nous considérons combien il y a peu de différence entrela force et la sagesse des hommes faits et avec quelle facilité lemoindre, soit qu'il le soit en esprit ou en force, ou en toutes ces deuxchoses, peut entièrement abattre et détruire les puissants, puisqu'il nefaut pas beaucoup de force pour ôter la vie à un homme: de là nouspouvons conclure que les hommes, considérés dans l'état de nature,doivent s'estimer égaux et quiconque ne demande point davantage quecette égalité doit passer pour un homme modéré [...]
D'ailleurs, puisque nous voyons que les hommes sont portés par leurspassions naturelles à se choquer les uns les autres, chacun ayant bonneopinion de soi, et ne voulant pas voir ce qu'un autre a de bon, il s'ensuitde toute nécessité qu'ils doivent s'attaquer les uns les autres par desparoles injurieuses ou par quelque autre signe de mépris et de haine,laquelle est inséparable de toute comparaison, jusqu'à ce qu'à la fin ilsen viennent aux mains pour terminer leur différend, et savoir qui sera lemaître par les forces du corps.
Davantage, considérant que les appétits et les désirs de plusieurshommes les portent tous à vouloir et à souhaiter une même fin, laquellequelquefois ne peut être ni possédée en commun ni divisée, il s'ensuit que le plus fort en jouira tout seul, et qu'il faudra décider par le combat qui sera le plus fort.
Ainsi la plusgrande partie des hommes, sans aucune assurance d'avoir le dessus, néanmoins soit par vanité, soit par descomparaisons, soit par passion, attaque ceux qui sans cela seraient contents d'être dans l'égalité de nature[...]
Nous voyons donc qu'à cette inclination naturelle qu'un chacun a d'offenser un autre, on doit encore ajouter ledroit d'un chacun sur toutes choses, lequel fait qu'un homme attaque avec le même droit avec lequel un autrelui résiste, et que par ce moyen les hommes vivent dans une perpétuelle méfiance, tâchant de se prévenir etde se surprendre.
L'état des hommes dans cette liberté naturelle est l'état de guerre: car la guerre n'est autrechose que le temps dans lequel la volonté et l'effort d'attaquer et de résister par force est par paroles ou paractions suffisamment déclaré.
Le temps qui n'est pas la guerre, c'est ce qu'on appelle la paix.”
Hobbes , "Du corps politique ”.
Ce texte se situe à l'opposé, par exemple, de la thèse des stoïciens.
En effet, pour Cicéron , les conflits interindividuels exigeaient le retour aux principes d'une concorde inscrite dans la nature des choses.
Enrevanche, pour Hobbes , la guerre des hommes à l'état de nature provoque le recours à cet artifice pacifiant qu'est L'Etat.
Dans un premier temps, Hobbes mous montre comment, dans l'état de nature où les hommes vivent dispersés et sans lois pour les gouverner, les inégalités physiques et intellectuelles sont réduites à rien :la mort constituant pour tous la grande peine, la possibilité donnée à chacun de tuer l'autre établit entre leshommes une égalité rigoureuse.
Une fois posée l'égalité dans l'état de nature, Hobbes va montrer comment le jeu naturel des passions entraîne la nécessité d'une guerre incessante.
Première passion : l'orgueil.
Chacun vaaffirmant sa supériorité sur l'autre ; pour en décider, il viendra vite le moment de l'affrontement.
Deuxièmepassion : le désir.
Quand deux désirs portent sur le même objet, seul le combat départagera celui qui en jouira.Les occasions de conflit sont donc multiples et créent un état d'insécurité permanent.
Mais la lutte à mort peut surgir entre deux êtres sans qu'il y ait matière à se battre : la nature donne àl'individu le droit, pour sauver sa vie, d'employer tous les moyens qu'il jugera bons.
Qui me dira que cet hommeque je rencontre n'a pas l'intention de me tuer.
Je m'en protégerai en attaquant le premier : l'état de natureest un état de guerre généralisée où l'homme est un loup pour l'homme.
Les observations des anthropologues montrent combien l'idée d'une nature brute est artificielle : Lévi-Straussindique notamment que les micro-sociétés sont toutes régies par des codes et que ces groupes dits « primitifs »sont tous organisés autour de certains tabous, de certains interdits qui entraînent notamment punition quand ceux-ci ne sont pas respectés.
Le bannissement du groupe est un des exemples de cette sévérité.
Il ne faut donc pas seprendre au piège de l'idée de civilisation et considérer que la « morale » est le résultat d'un état « avancé » dudéveloppement et de la connaissance.
Troisième partie : Une morale anti-naturelle
Rousseau déplore cependant que la société conduise insensiblement vers un état de rupture avec la nature et quel'homme perde peu à peu les attaches évidentes qu'il avait avec celle-ci.
« J'ose presque assurer que l'état deréflexion est un état contre-nature, et que l'homme qui médite est un animal dépravé.
» Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.
Les avantages consignés précédemment se retournent en leur contraire en faisant apparaître un type d'homme dont les exigences font de lui un tyran un être qui sedépouille de la possibilité d'une harmonie avec le monde..
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