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Spinoza, Traité politique, chapitre VI, paragraphe 4

Publié le 11/04/2012

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spinoza

«L'expérience parait enseigner que, dans l'intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout le pouvoir appartienne à un seul. Nul État en effet n'est demeuré aussi longtemps sans aucun changement que celui des Turcs et en revanche nulles cités n'ont été moins durables que les cités populaires ou démocratiques, et il n'en est pas où se soient élevées plus de séditions. Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n'est rien de si lamentable que la paix. Entre les parents et les enfants, il y a certes p lus de querelles et des discussions plus âpres qu'entre maîtres et esclaves, et cependant il n'est pas de l'intérêt de la famille ni de son gouvernement que l'autorité paternelle se change en domination et que les enfants soient tels que des esclaves. C'est donc la servitude, non la paix, qui demande que tout le pouvoir soit aux mains d'un seul: [ ... ] la paix ne consiste pas dans l'absence de guerre, mais dans l'union des âmes, c'est-à-dire dans la concorde. «

spinoza

« Spinoza explicite ici, pour les critiquer, les présupposés d'une certaine conception du pouvoir et de sa justification.

Ce qui est dit de toute communauté politique vaut ainsi pour tout groupe humain, comme le montrent l'analogie entre famille et cité et les exemples historiques invoqués.

La dernière phrase du texte, en proposant une conception positive de la paix (définie comme « union » effective et pas seulement comme «absence de guerre»), parachève la critique de l'opinion commune évoquée au début.

Remarques sur l'intérêt philosophique du texte En réfléchissant sur la finalité effective du pouvoir politique, Spinoza propose une approche critique très efficace, d' une part de certaines pra­ tiques politiques répressives et sans légitimité, d'autre part des idéologies de justification dont elles se parent : • Le premier point d'impact de cette critique est une certaine interprétation de l'expérience passée, à la fois supe rficielle et partielle.

Certes, les «cités populaires ou démocratiques» semblent avoir été moins durables que les autres.

Mais peut-on faire d'un argument de fait un argument de droit? De même, l'État des Turcs semble avoir été très durable, mais à quel prix? La durée est-elle une valeur, un argument de droit? ·Le second point d'impact est l'apologie du maintien de l'ordre.

Celui-ci, appelé abusivement «paix», ne peut pas constituer une fin en soi, pas plus que la perpétuation d'un pouvoir établi n 'en constitue une si celui-ci n'est pas légitime.

Les concepts de paix et de servitude doivent être saisis dans leur dimension sociale et on ne peut confondre la paix fondée sur la terreur et la domination avec la paix résultant d'un accord librement consenti des citoyens («concorde»).

Ainsi Spinoza introduit dans les catégories politiques des distinctions critiques dont l'effet immédiat est de récuser l'habituelle justification que se donnent les pouvoirs oppressifs et les dictatures.

Le «maintien de l'ordre » est toujours le maintien d'un certain ordre social.

Il ne peut donc être une fin en soi que si l' on considère cet ordre social particulier comme le meilleur possible, ce qui dépend des appréciations que chacun a intérêt à porter.

De fait, toute w1e idéologie politique joue sur l'ambivale nce du mot «ordre » pour assurer le maintien des rapports de forces existants.

Le chantage au chaos, à la peur, relève d'une attitude conservatrice dont les enjeux économiques et sociaux sont régulièrement travestis en motifs plus ou moins hypocrites («désir de paix », de «sécurité », de « stabilité », etc.) .

On remarquera que la «stabilité » d'un pouvoir n'e st pas, selon Spinoza, le critère suffisant et décisif pour le présenter comme un modèle.

La précarité des cités populaires et démocratiques passées n'est pas non plus le signe de leur absence de valeur, sauf si l'on confond le droit et le fait, la légitimité et la force.

Spinoza, partisan du réalisme en politique, ne confondait pas celui-ci avec une justification de ce qui est.

Le pouvoir n'est. »

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