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Sujet : Peut-on ne pas être soi-même ?

Publié le 12/06/2012

Extrait du document

L’homme est authentiquement ce qu’il n’a pas été parce que ce qu’il a été le détermine négativement à être ce qu’il va (doit) être. Car une alternative se présente à l’homme, « romancier de lui-même «, inventeur de soi, constructeur de sa propre identité : il peut être soit original et vivre authentiquement sa vie, soit plagiaire et vivre sa vie dans l’inauthenticité. En effet, l’individu peut concrètement reproduire ce qu’il a été par le passé. Il le peut mais ne le doit pas. Ainsi, l’homme doit faire le choix à chaque instant entre, d’une part, une existence authentique, qui s’intègre adéquatement dans le cours de son histoire, de la construction de sa propre identité, et, d’autre part, une existence inauthentique marquée par l’anachronisme. Je ne vis pas ma vie si, ignorant superbement les circonstances qui sont les miennes (professeur de philosophie du XXI° siècle vivant en France, pays démocratique, républicain, etc.), je choisir de vivre comme un habitant de Sparte au V° siècle avant notre ère ou comme un libertin du XVII° siècle… Notre liberté d’être ceci ou cela ne nous affranchit donc pas de la nécessité. Nous devons être un individu bien déterminé, nous sommes voués à être cet individu-là et pas un autre. Cependant, nous pouvons décider d’être autre que ce que nous devons être au risque de ne pas être authentiquement. Ainsi compris, il est possible de ne pas être soi-même. Cela est même assuré si nous choisissons d’être autre que ce que nous devons être, en faisant le choix soit d’être de nouveau ce que nous avons déjà été (cf. aliénation dans son propre regard) soit de vivre la vie d’un autre, mais dans tous les cas en prenant le parti de « falsifier « notre 

« spécifiquement ce que nous sommes puisque c’est elle qui fait d’un homme un homme.

Peut-on renoncer à sa qualité d’homme ? La liberté n’est-elle pasradicale, c’est-à-dire inaliénable ?o Refuser d’être de « mauvaise foi » au sens où Sartre entend cette expression (cf.

L’Etre et le néant), refuser les échappatoires, mais assumer sa « libertéradicale » : « Tout homme qui se réfugie derrière l’excuse de ses passions, tout homme qui invente un déterminisme est un homme de mauvaise foi »(L’existentialisme est un humanisme).• L’impératif d’ « authenticité » : pour une conception historique, « héraclitéenne » (= mouvante, dynamique : devenir soi-même) de l’identité opposée à saconception logique, « éléatique » (= statique : A = A, je suis ce que je suis, ce que j’ai été et ce que je serai toujours).

Je proposerai ici un développement de cetroisième point : L’individu humain ne peut plus être ce qu’il a été.

La vie humaine, c’est-à-dire l’histoire (car la vie humaine n’est pas seulement et pas essentiellementorganique_ zoé en grec_, elle a encore et surtout le sens d’une histoire_ bios), doit se concevoir comme une perpétuelle avancée sur elle-même.

Le conflit quioppose la sincérité et la fidélité trouve une résolution : la vraie fidélité est la fidélité à son « cœur », à son Moi intérieur, c’est-à-dire à soi-même.

En d’autrestermes, la vraie fidélité, c’est la sincérité… « L’être de l’homme est irréversible et est ontologiquement forcé d’avancer toujours sur soi-même, non parce que tel instant du temps ne peut revenir, mais aucontraire : le temps ne revient pas parce que l’homme ne peut revenir en arrière, être de nouveau ce qu’il a été » (José Ortega y Gasset, L’histoire commesystème, VIII). La vie humaine est un gérondif et non pas un participe, un faciendum et non un factum, un « se faisant » et non un « fait »… La dimension temporelle del’humanité n’est pas le passé, mais le futur.

« L’homme, déclare Pascal, n’est produit que pour l’infinité » (Pensées).

Il est ce qu’il n’a pas encore été et il n’estpas ce qu’il a été, c’est-à-dire qu’il devient, et ce ou celui qu’il devient c’est ce ou celui qu’il est authentiquement, autrement dit ce pourquoi il est voué(« Deviens ce que tu es » !).

L’unique « nature » de l’homme, être de culture et d’histoire, la seule chose qui lui est inexorablement donnée, c’est ce qu’il a été,autrement dit son passé qui est l’élément de stabilité de l’existence humaine ou, comme le dit le philosophe madrilène du XX° siècle, José Ortega y Gasset(1883-1955), « le moment d’identité en l’homme » (L’histoire comme système, VIII).

Mais l’être de l’être qui évolue à travers le temps réside dans l’instabilitéplutôt que dans la stabilité, dans le devenir et la métamorphose plutôt que dans l’identité logique (A= A).

Donc, l’être de l’homme réside dans ce qu’il n’a pasété, ce qui revient à dire que l’être de l’homme n’est pas mais qu’il est à venir.

A proprement parler, l’homme n’est pas, mais il vit ; sa vie est une tension versl’être, un geste en direction de l’être.« L’homme n’est pas une nature mais un drame », déclare Ortega y Gasset.

L’existence, nécessairement humaine, prend le sens d’un drame, au sens théâtraldu terme, un drame dont nous sommes les héros...

Nous retrouvons ici le thème du « théâtre du monde ».

Mais, l’idée d’un monde où chacun est enreprésentation devant ou avec les autres n’est plus du tout connotée péjorativement.

La dimension théâtrale ou dramatique de la vie humaine ne constitue plusun obstacle à l’identité et à l’authenticité, mais, au contraire, un moyen efficace pour parvenir à être soi-même.

L’impératif que doit suivre l’homme est un« impératif d’invention ».

« Toute vie humaine doit s’inventer sa propre forme ».

L’homme est « le romancier de lui-même » (José Ortega y Gasset, Le thème denotre temps, Prologue aux Allemands).

Chaque homme s’invente en choisissant entre les diverses possibilités d’être ou de faire qui s’offrent à lui à tout instant,et il choisit en fonction de ses circonstances particulières, de ce qu’il a été et de ce qu’il ne peut donc plus être, des « figures de vie » qu’il a déjà endossées,empruntées et épuisées.

Ce n’est pas qu’il s’agisse de faire de sa vie une œuvre d’art, mais c’est que la vie humaine est déjà par essence et comme fatalementune œuvre d’art ! L’individu humain se trouve toujours dans l’obligation d’écrire les nouvelles pages du roman de sa vie.

Pour lui, l’identité n’est pas donnéemais construite ; elle n’est pas un concept statique (A est A) mais dynamique (A devient A).

L’homme est contraint d’être libre, c’est-à-dire qu’il est contraint des’inventer un nouveau « programme vital », propre à lui seul.

Il s’invente alors une nouvelle figure statique d’être, un nouveau personnage à interpréter, lequeldoit lui permettre, mieux que les anciennes « figures de vie » inventées soit par ses prédécesseurs soit par lui-même par le passé, de surmonter les obstaclesqu’il rencontre dans les circonstances inédites qui sont les siennes.

Autrement dit, il se taille un rôle sur mesure pour évoluer, pour marcher vers son être, versce qu’il se sent être…L’homme est authentiquement ce qu’il n’a pas été parce que ce qu’il a été le détermine négativement à être ce qu’il va (doit) être.

Car une alternative seprésente à l’homme, « romancier de lui-même », inventeur de soi, constructeur de sa propre identité : il peut être soit original et vivre authentiquement sa vie,soit plagiaire et vivre sa vie dans l’inauthenticité.

En effet, l’individu peut concrètement reproduire ce qu’il a été par le passé.

Il le peut mais ne le doit pas.

Ainsi,l’homme doit faire le choix à chaque instant entre, d’une part, une existence authentique, qui s’intègre adéquatement dans le cours de son histoire, de laconstruction de sa propre identité, et, d’autre part, une existence inauthentique marquée par l’anachronisme.

Je ne vis pas ma vie si, ignorant superbement lescirconstances qui sont les miennes (professeur de philosophie du XXI° siècle vivant en France, pays démocratique, républicain, etc.), je choisir de vivre commeun habitant de Sparte au V° siècle avant notre ère ou comme un libertin du XVII° siècle… Notre liberté d’être ceci ou cela ne nous affranchit donc pas de lanécessité.

Nous devons être un individu bien déterminé, nous sommes voués à être cet individu-là et pas un autre.

Cependant, nous pouvons décider d’êtreautre que ce que nous devons être au risque de ne pas être authentiquement.

Ainsi compris, il est possible de ne pas être soi-même.

Cela est même assuré sinous choisissons d’être autre que ce que nous devons être, en faisant le choix soit d’être de nouveau ce que nous avons déjà été (cf.

aliénation dans son propreregard) soit de vivre la vie d’un autre, mais dans tous les cas en prenant le parti de « falsifier » notre vie.

La liberté humaine a donc le sens d’un acquiescementdevant sa propre nécessité historique, celle de devenir celui qu’on est.

Ainsi, être soi-même n’est pas un acquis mais une conquête sur soi-même.

Cela désigneun effort pour se rejoindre, une tension vers soi, une « ascèse » au sens étymologique du terme (en grec, askesis signifie « exercice », « entraînement »,« autodiscipline »).

On n’est pas d’abord et originellement ce qu’on est, mais on choisit d’être ce qu’on est.

Au départ, l’homme n’est qu’une page blanche, unetabula rasa (« table rase »).

Il n’est rien, il est un pur néant, donc il n’est pas soi-même.

Par l’éducation d’abord, il va devenir ce qu’il est génériquement etspécifiquement : un homme du genre des mammifères, etc.

Puis par la volonté, prenant le relais de l’éducation (c’est-à-dire de la volonté des autres), il vachoisir d’être celui qu’il est individuellement et personnellement, c’est-à-dire celui qu’il veut être et qu’il est voué à être : un individu singulier possédant uneaffectivité et une personnalité uniques, sa propre histoire, sa propre expérience, bref une identité à condition qu’on conçoive cette dernière de façon dynamique,« héraclitéenne » et non pas statique, « éléatique ».

Arrivé à ce stade de notre cheminement, on peut introduire un concept forgé au XX° siècle par lephilosophe français Paul Ricœur, à savoir le concept d’ « ipséité » permettant de penser adéquatement l’identité humaine, c’est-à-dire une identité évolutive,une « mêmeté » aux contours mouvants… [Transition II ( III] Si, pour reprendre la célèbre formule d’Arthur Rimbaud, « Je est un autre » (cf.

Lettre à Paul Demeny, dite la Lettre du Voyant), est-ce qu’ilest nécessaire que cela soit exclusivement sur le mode purement négatif de l’ « aliénation », c’est-à-dire de la perte de son identité et de son intégrité ? Ne pasêtre ce que l’on est et être ce que l’on n’est pas encore, n’est-ce pas là la condition de l’être qui évolue et se transforme, en un mot de l’être qui devient ? III/ La signification anthropologique et éthique de la perte (ou du renoncement à l’illusion) de l’identité L’homme qui ne possède pas une nature définie, à la différence de l’animal, mais une histoire et une culture, est par excellence cet être en devenir.

S’il n’est paslui-même, s’il n’est pas identique à soi, c’est au sens où il est dépourvu d’être stable et immuable puisqu’il change et devient, à travers le temps et au coursd’une histoire, non seulement ce qu’il est (identité générique et spécifique) mais encore celui qu’il est (identité personnelle).L’individu humain est essentiellement projet.

Il n’est pas sur le mode de l’ « en soi », c’est-à-dire sur le mode de la choséité de la chose qui est invariablementet sans nuance ce qu’elle est conformément au principe logique d’identité (A= A), mais il existe comme un être « pour soi ».

L’objet inanimé, la chose, est parnature de manière absolue ce qu’elle est, une et identique à travers le temps.

Au contraire, l’homme se distingue radicalement des objets inanimés et des bêtesen ce qu’il a conscience d’être.

Cette conscience de soi est le fondement de son existence, de son être « pour soi ».

Elle est, non pas ce qui assure à l’homme lapossibilité d’être soi-même, mais, tout au contraire, ce qui l’empêche d’être tout simplement soi-même, sans nuance et sans distance (cf.

l’œuvre d’Anaïs et deVictoria, L’identité, retour sur le mythe de Narcisse, Pont des Arts).

En effet, la distance qui se crée entre l’homme qui est et celui qui prend conscience qu’ilexiste marque l’homme du sceau de l’inachèvement.

« L’homme est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est », déclare Sartre dans L’Etre et le Néant.

Ainsi,l’individu humain, inachevé, essentiellement indéterminé, qui « n’est produit pour que l’infinité » (Pascal), en devenir ou, si l’on préfère, « en construction », setourne vers le monde et vers les autres pour se compléter et, au sens fort du terme, s’accomplir.Ainsi, pour nous résumer, nous dirons que, par essence, l’individu humain vit et habite en dehors de lui-même.

Cette idée d’une « fuite » hors de soi est,d’ailleurs, contenue dans le terme d’ « existence », qui, étymologiquement, signifie « sortir », « se tenir hors de » (ek-sistere en latin).

L’homme, en tant queson mode d’être spécifique est l’existence, est, à proprement parler, toujours « hors de lui », pro-jeté, c’est-à-dire jeté au-devant de lui-même par lui-même envue de sa propre construction et de son propre accomplissement.

C’est donc en fuyant hors de lui-même qu’il va vers lui-même, qu’il marche à sa rencontrepour se retrouver lui-même, se reconnaître et se connaître enfin.

C’est en cela que consiste tout le paradoxe de la vie humaine, une vie qui n’est donc passimplement vie organique (zoé) mais vie historique, digne d’être racontée, existence (bios)…La question posée « Peut-on ne pas être soi-même » nous invite donc à une authentique méditation sur l’homme, sur sa nature ou plutôt sur sa singulièreabsence originelle de nature… Conclusion : Etre ou ne pas être soi-même, telle nous est apparue être la question… Et au cours de notre cheminement, il nous est apparu aussi que l’homme, en raisond’une indétermination originelle, d’une absence d’instinct à sa naissance et donc d’une nature prédéfinie (cf.

le mythe grec de la création de l’homme par les. »

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