Titien
Publié le 26/02/2010
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Parler de Tiziano Vecellio ou Vecelli, c'est poser le problème même de la peinture. Titien, par sa conscience artistique, l'assiduité de son travail, sa longue vie, imposa ce que Giorgione avait atteint dans un cercle restreint et raffiné, non seulement parce que la chance lui permit de surpasser ses condisciples, mais parce que son génie viril l'imposa comme le seul qui fût digne d'hériter de l'atelier du maître, emporté par la peste en 1510. Plus nous avançons dans la connaissance de l'histoire de l'Europe occidentale, plus nous apercevons que chacune des grandes conquêtes spirituelles est le fait, non d'un petit nombre, mais de tous. Même la position privilégiée de l'Italie à la Renaissance, époque où l'art atteignit l'une de ses cimes classiques, n'a pas été seulement son propre fruit, mais aussi le fruit des nations nées de l'Empire de Charlemagne. Un Polonais, Copernic, pour l'astronomie, un Allemand, Nicolas de Cuse, pour la philosophie, un Portugais, Vasco de Gama, pour la géographie, ont eu la même importance pour l'art que le prélude gothique français et la peinture flamande. Celle-ci, bien que ne surpassant pas l'art gothique, où l'indéfini se confond avec l'infini, avait trouvé, dans la découverte du "ton", la manière de s'exprimer au moyen de la seule couleur. Il lui manquait toutefois, pour devenir universelle, l'optique coordinatrice de la perspective, sans laquelle, ne serait-ce que comme point de comparaison, il n'est pas possible de concevoir l'art, ni même de comprendre l'art moderne d'avant-garde. Antonello de Messine, dans l'une des plus solitaires victoires dont l'art s'honore, avait uni la perspective à ce "ton" flamand ; mais il subsistait, dans son oeuvre, quelque chose de théorique qui s'ajoute à la couleur sans la dominer. C'est à Venise qu'après la réforme d'Antonello, la fusion s'opéra enfin grâce à la "perspective atmosphérique". Depuis lors, l'expression de la profondeur dans la peinture et la substance picturale même furent le résultat des modulations de la couleur qui, de "décorative", devenait "constructive".

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maître.
L'inévitable voyage à Rome, qui n'eu lieu que tardivement en 1546-1547, exerça peu d'influence sur Titien.Celui-ci, d'ailleurs, n'avait pas attendu jusque-là pour prêter attention aux antiquités, comme en témoigne sapremière œuvre (à Anvers), bien que la date de 1511 ne puisse être adoptée sans réserve pour la magnifique suitedes gravures représentant le Triomphe de la Foi, qui sont beaucoup plus proches de l'exécution de Gregorio deGregoriis en 1517, début de toute une série de gravures sans lesquelles il n'est pas possible de comprendre à fond legraphisme rapide de Titien ; gravures d'ailleurs inconcevables sans une rencontre avec le Pordenone et sans laconnaissance de certaines inventions de Raphaël et de Michel-Ange.
Par ailleurs, dire que Titien a été contaminé parun maniérisme peu fructueux pour Venise quand il se borne à l'exaltation de la couleur, ne signifie rien pour unartiste comme Vecelli.
Cela dit, il ne nous reste plus qu'à suivre d'étape en étape l'activité merveilleuse du maître.
Lapremière consiste en une utilisation, véritablement triomphale, des formes chères à l'art romain, que le Pordenone,son seul concurrent, qui mourut prématurément en 1539, avait déjà "vénitianisées" ; d'où, l'amour de Titien pour lessujets audacieux et la solidité monumentale.
Il suffit de rappeler, comme prototype, la gigantesque Assomptiondestinée au grand autel des Frari.
Terminé en 1518, ce tableau fut conçu d'après l'idée qu'eut Mantegna pourl'abside de la chapelle Ovetari ; toutefois, cette joie de vivre, exprimée d'une manière presque orgiaque par la"gloire" des anges soutenant la Vierge, est propre à Titien ; de sorte que nous soupçonnons comme nécessaire, dèscette époque, la rencontre de Vecelli et de Corrège qui fut, de tous les peintres, le plus candidement sensuel.
Lesavoir de Titien apaise cette sensualité par la fermeté de sa manière, dont la dignité est égale à celle des Grecsantiques toujours préférés à Venise ; et les œuvres qui se rapprochent de l'Assomption, qu'il s'agisse desBacchanales, de toiles idylliques comme l'Amour sacré et l'amour profane, de toiles tourmentées comme le Noli metangere de Londres, sont présentées avec le naturel qui convient aux choses saines et légitimes.
C'est à cette époque que Vecelli inaugure la série de portraits psychologiques, qui ne sont pas des rêves comme lespremiers qu'il peignit à la manière de Giorgione et qui représentent chacun une race, une volonté, un pouvoir, unmystère.
Tomaso Mosti, de Florence, L'homme au gant, du Louvre, en sont les prototypes.
La seconde période de l'activité du maître, qui va de 1520, date du tableau d'autel si pathétique d'Ancône, jusqu'auSaint Pierre martyr, est celle où il domine, avec une forme majestueuse, les différentes influences de la Renaissancede l'Italie centrale, arrivée à sa maturité.
A côté du groupe principal des tableaux de Titien, cent œuvres sepressent : la très charmante Vierge avec l'Enfant, le petit Saint Jean et Saint Antoine abbé, des Offices ; la Viergeau lapin du Louvre, et celle de Londres avec sainte Catherine dans un décor géorgique de plein air ; ce petit tableaude Buckingham Palace est probablement le premier exemple, en Italie, d'un vrai paysage.
La troisième époque de l'art de Titien marque la prépondérance naturelle du goût profane, accompagné deconquêtes techniques aussi pressantes que sa fantaisie.
C'est dire que sa manière fondue fait place à une manièreheurtée et fulgurante, très proche de notre sensibilité moderne.
C'est la période des premières commandes deCharles-Quint ; période mondaine, quoique jamais courtisane, où le peintre est réclamé de toutes parts : avant toutpar le duc d'Urbin, pour qui il exécute les grandioses portraits de parade de Francesco Maria della Rovere et de safemme Eléonore de Gonzague, ainsi que la Vénus au petit chien qui est aux Offices, l'une des pages les plussensuelles de l'art ancien.
La leçon de Gentile ne fut pas vaine pour Vecelli, ainsi que le démontre la grande toile del'Ecce Homo qui est à Vienne.
Toutes les œuvres de cette période, qu'il s'agisse des tableaux d'autel comme Raphaëlavec le jeune Tobie à l'église de San Marciliano de Venise, qu'il s'agisse de la fresque de la Bataille de Cadore, peinteen 1537 pour le palais ducal, dans la mesure où nous pouvons en juger, s'imposent par une manière fougueuse deplus en plus appropriée à son génie et à celui de la peinture.
Maintenant que le maître possède ce "langage", les chefs-d'œuvre se succèdent dans tous les domaines, et raressont les œuvres qui nous semblent pécher contre le goût.
Passons en revue, maintenant, ses étapes les plus mémorables.
L'époque qui va de 1540 à 1560 est comme lenoyau de l'œuvre de Titien.
Il semble annoncer sa rencontre avec Rome dans les trois scènes mouvementées duSacrifice d'Abraham, du Meurtre d'Abel, et du David triomphant de Goliath, aujourd'hui au plafond de la Salute,auxquelles feront suite le Prométhée et le Sisyphe de Madrid.
Le portrait aussi prend, grâce à lui, une valeurmusicale, tantôt comme dans la Harangue du général Vasto aux troupes de Madrid, tantôt lorsqu'il harmonise touteune série de personnages d'âges différents, comme dans cette étonnante symphonie familiale qu'est le portrait desCornaro à la National Gallery de Londres ; tantôt lorsqu'il se place dans une atmosphère de conspiration, commedans le Paul III et ses neveux Farnèse, de Naples.
Tout cela, bien entendu, ne fait pas oublier ces "a solo" que sontle jeune Anglais de la Galerie Pitti, aux yeux d'un bleu limpide, ou le Charles-Quint à cheval en armure de tournoi.
Bien entendu, je n'ai pas l'intention de revenir, sous le prétexte de groupements logiques, à ces "genres" quidessèchent le génie et la critique.
C'est l'artiste lui-même, d'ailleurs, qui montre le compte qu'il faut tenir du sujet,en commençant la célèbre production "en série", parallèle aux "thèmes" dans les sonates classiques.
Les variationsconvenaient tout à fait à une certaine paresse inventive propre à Titien, à ses mouvements lents, solennels,rythmés, parce qu'elles favorisaient l'éternelle fraîcheur de sa veine picturale.
Car personne ne savait mieux queTitien que l'art ne consiste pas à reproduire, mais à renouveler.
Et voici la série des Vénus, toutes faites de chair etde passion plutôt que de rêve.
Au contraire, les toiles surprenantes qui semblent reprendre les Bacchanales peintespour le duc de Ferrare dans un climat intense, presque électrisé, semblent plus rythmées que lices.
Généreux amourdu monde qui n'empêche pas le peintre de revenir, dans des pages solennelles, à la contemplation de la Sagesse,dans le magnifique octogone de la Bibliothèque de Saint-Marc, puis dans des tableaux religieux, riches d'une piétésimple, mais parfois non sans une signification politique, comme c'est le cas de la "gloire" de la Trinité du Prado, quiest aussi la gloire de la couronne d'Espagne.
Chaque composition a son centre pictural, parfois resplendissant.
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