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L'idéologie comme figure paradoxale du monde

Publié le 20/01/2013

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volonté, et à faire de la volonté le nouveau maître du réel. Mais une fois opéré ce trucage par lequel la

réalité est aux mains de la volonté du chef, décriptant les lois éternelles de l’histoire des races ou de

l’histoire des classes, reste à rendre compte des démentis que les faits pourraient venir opposer à ce

montage. Le régime totalitaire se sort de ce mauvais pas de trois façons.

D’une part, il actualise autant que faire se peut l’idéologie de la race ou de la société sans classes et

lorsque l’infériorité de la race juive s’atteste à travers la réalité concentrationnaire, tout prétendu démenti

n’est plus qu’un vain discours ou une idéologie manifestement pernicieuse.

D’autre part, jusqu’à temps que le processus parvienne à son point d’achèvement, tous les faits qui

viendraient contredire la vérité de l’idéologie sont systématiquement rapportés, par avance, à une contrevolonté

terroriste qui agit dans l’ombre et qu’il s’agit alors d’éradiquer. Tel est l’origine des théories de la

conspiration juive des Protocoles des sages de Sion ou celle du complot ourdi par les trotskistes ou les

200 familles en Union Soviétique. Le caractère infaillible des prédictions du chef qu’inspire sa

connaissance des lois de l’histoire permet d’établir par anticipation l’existence d’un ennemi objectif qui

distingue encore une fois, selon l’auteur, le totalitarisme de toute autre forme de régime despotique

ou tyrannique.

« idées aberrantes par une forme de contrainte plus ou moins dure.

Ceci supposerait une nouvelle fois la liberté et le désastre encouru par la réalité dans cette opération serait alors largement dépendant du contenu véhiculé par l’idéologie.

Cette vision des choses méconnaît et minimise grandement selon Arendt, à la fois la nature des régimes totalitaires, mais aussi la dimension et la portée profondes de l’idéologie totalitaire.

En réalité, l’idéologie est un substitut de ce monde perdu par les masses atomisées : ceci veut dire qu’elle n’a de sens qu’en tant qu’un mode d’organisation totale de la société, consécutif à l’effondrement de l’ancienne structure de classes et de partis.

Elle constitue une littérale mise en ordre d’un monde privé de sens, l’acte dune volonté ordonnatrice et non pas exclusivement ni essentiellement un discours tenu par de faux spécialistes.

Dès lors, elle est avant tout pour Arendt la logique d’une idée par laquelle les événements sont traités comme s’ils obéissaient à la même loi que l’exposition de cette idée.

Mieux : elle est la logique d’une idée mise en acte comme le nouveau cadre de la vie des hommes.

Ainsi le racisme traite tous les événements du monde comme s’ils obéissaient dans leur ensemble à un mouvement inhérent à l’idée de race, celui selon lequel les races inférieures sont destinées à disparaître au profit des races supérieures, de même que l’idée de classe obéirait à un mouvement conduisant à sa propre suppression dans la société sans classes.

Ceci implique une double rupture avec une conception encore naïve de l’idéologie.

En un premier sens elle exclut la liberté du penser et signifie plutôt cette défaite de la pensée par quoi Arendt désigna le mode de fonctionnement psychologique d’un Eichmann et la banalité du mal lors de son procès.

Elle exclut tout autant l’idée d’une application ultérieure de l’idéologie à mettre en oeuvre, que ce soit à travers la propagande, la terreur ou d’autres formes de coercition.

L’idéologie est déjà en soi une forme de coercition qui tente de s’imposer à la réalité et dans laquelle les hommes ne sont pas des acteurs mais de simples exécuteurs ou victimes.

L’idéologie est ce substitut d’un principe d’action politique pour des individus privés de tout intérêt et de toute conviction, elle est la puissance en acte d’un mouvement qui emporte tout le monde sur son passage au nom des lois supérieures de la nature ou de l’histoire.

C’est en ce sens qu’elle détruit toute forme de légalité au sens où la loi est encore conçue dans un corps politique comme ce qui peut être désobéi sous couvert de sanction ou châtiment.

Le régime totalitaire, nous le verrons, abolit également à la fois la notion de culpabilité subjective et celle de châtiment proportionné.

La terreur comme essence du mouvement : Cette conception non-instrumentale de l’idéologie conduit à un troisième postulat et à la troisième figure de ce principe d’action sous-jacent au régime totalitaire.

Là encore, la position d’Arendt se distingue par sa radicalité : le régime totalitaire est un « corps politique qui, loin d’utiliser la terreur comme moyen d’intimidation, est essentiellement terreur ».

Ceci permet à Arendt de prévenir une autre confusion courante entre peur et terreur : pas plus qu’il n’y a de place pour une forme de soutien ou de sympathie pour le régime au sens classique d’une adhésion libre et volontaire, il n’y a de place pour l’expérience de la peur en tant que la peur présuppose encore la possibilité d’une conduite adaptée, destinée à éviter le danger, et une liberté simplement limitée ou réduite comme dans une tyrannie où celle-ci subsiste dans la sphère privée.

La terreur au contraire est ce qui régit la conduite des hommes lorsque a été éradiquée la possibilité même d’un agir et d’une liberté.

Elle est l’idéologie mise en acte, réalisée et l’on voit à quel point la fonction de l’idéologie comme mode d’organisation du monde prime sur son contenu dans la philosophie d’Arendt.

Hitler et Staline n’ont rien inventé d’original et de novateur selon Arendt, et les idéologies de la race et de la lutte des classes ne sont pas en soi totalitaires.

Ce qu’ont inventé Hitler et Staline qui constitue la marque signalétique du totalitarisme, c’est l ‘idéologie comme processus réel, l’idéologie comme monde, idée actualisée de part en part.

Cette perception aiguë chez Arendt de la signification extrême que prennent dans le totalitarisme d’anciennes. »

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