Devoir de Philosophie

« America under attack », en direct sur les écrans du monde entier

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

11 septembre 2001 LA PREMIÈRE FRAPPE - le premier avion - personne ou presque ne l'a vu, aucune caméra ne l'a montrée. A 8 h 48, heure de New York (14 h 48 à Paris), on entend une énorme explosion, très haut, au niveau des étages supérieurs de l'une des tours jumelles du World Trade Center, la tour nord. Les 92 personnes qui se trouvaient à bord du Boeing 767 de l'American Airlines, passagers, membres d'équipage et terroristes, sont déjà morts. Tout le haut de la tour est en feu, et un immense panache de fumée commence à salir le ciel jusque-là limpide. Les télévisions entrent en jeu, l'Amérique et déjà une bonne partie du monde, incrédules regardent le spectacle, tandis qu'à l'intérieur de la tour, des milliers de personnes tentent d'échapper à l'enfer. Dix-huit minutes plus tard, une seconde frappe fait basculer l'événement dans l'incompréhensible. Les New-Yorkais l'ont vu d'en bas, des millions de téléspectateurs au beau milieu de leur écran : un second avion, un Boeing lui aussi, avance tout droit, presque tranquillement, vers la seconde tour. L'explosion, l'énorme boule de feu, les torrents de fumée noire, les débris qui tombent, l'horreur, cette fois, est sur tous les écrans. Un peu plus de dix ans plus tôt, les Américains contemplaient, stupéfaits, le ciel nocturne de Bagdad attaquée par leurs propres missiles de croisière, à l'heure du prime time. Cette fois, dans la clarté du matin, c'est le coeur de l'Amérique, l'un de ses symboles, qui est frappé par un ennemi inconnu. « Je croyais que nous étions en sécurité », explique une femme entre deux sanglots. Aux fenêtres qui crachent toujours autant de fumée, à plusieurs centaines de mètres de hauteur, des gens agitent le bras, comme pour appeler des secours. D'autres se lancent dans le vide, et parmi eux un homme et une femme qui se tiennent par la main. Déjà, le monde réagit et la réaction la plus rapide est celle de l'argent : les cours du pétrole flambent, la Bourse de Londres vacille. Le New York Stock Exchange, Wall Street, à deux pas des tours en flammes, n'a pas ouvert, et n'ouvrira pas de la journée. A 9 h 30 locales, George W. Bush apparaît. Il est en Floride, à Sarasota. C'est la première fois, depuis qu'il est président, qu'il subit véritablement l'épreuve du feu. Le discours est bref, sobre. Il parle de « tragédie nationale », d'une « apparente attaque terroriste contre notre pays », et termine par un moment de silence en hommage aux victimes. Mais quelques minutes plus tard, tout bascule à nouveau. A Washington, une énorme explosion secoue un pan du colossal bâtiment du Pentagone. Un avion de ligne, à nouveau, détourné, comme les deux précédents. Après le temple du commerce, le sanctuaire de la guerre, après New York, Washington, le centre du pouvoir. C'est une offensive en règle contre le pays tout entier. CNN traduit, ou crée, le sentiment général : « America under attack », « L'Amérique attaquée » : c'est la manchette qui désormais barrera ses écrans, au dessous des images de fumée, de ruine et de désolation. Qui « attaque » l'Amérique ? On commence à parler de Ben Laden, du Proche-Orient, à se perdre en conjectures sur l'extraordinaire organisation, l'impressionnante logistique nécessaire pour réaliser ces trois frappes presque simultanées. Quelques heures plus tard, pourtant, on saura qu'une femme, Barbara Olson, a téléphoné à son mari, un juriste très connu à Washington, depuis l'avion qui allait s'écraser sur le Pentagone. Les terroristes, disait-elle avant de mourir, ne sont armés que de couteaux et de cutters, ils ont regroupé tous les passagers, mais aussi l'équipage, à l'arrière de l'appareil. Des couteaux et des cutters, pour attaquer le plus grand bâtiment du monde, d'où les Etats-Unis peuvent en principe lancer des frappes sur n'importe quel point du monde... A Washington, le Pentagone - où travaillent plus de 20 000 personnes - est en train d'être évacué (il semble qu'il ait commencé à l'être avant même l'impact de l'avion), mais aussi la Maison Blanche et le Congrès, et ensuite l'ensemble des bâtiments publics. La panique commence à gagner. On parle d'une explosion au Congrès (ce sera démenti), d'une voiture piègée qui saute devant le département d'Etat (également démenti), quelques personnes affirment même avoir vu de la fumée sortir de la Maison Blanche. Mais entretemps, c'est à New York qu'un nouveau pas dans l'inimaginable a été franchi : à 10 h 05, la tour sud du World Trade Center, celle qui avait été frappée par le second avion s'est effondrée sur elle-même, après qu'on l'a presque vue s'ouvrir du haut en bas. Un colossal nuage de poussière, de débris, de fumée, noie New York et ses gratte-ciel, qui semblent soudain petits et fragiles. Des dizaines, sans doute des centaines de pompiers et de policiers sont tués. L'autre « twin », la tour nord s'écroulera 23 minutes plus tard, dans une nouvelle éruption de débris. « L'ennemi », toujours invisible, toujours inconnu, a changé, définitivement peut-être, la face de New York. A Washington aussi, une portion du Pentagone s'est effondrée. Le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, qui se trouvait dans un autre secteur du bâtiment, veut aider à secourir des blessés, avant qu'on ne l'emmène vers les sous-sols du bâtiment, les postes de commandement sous-terrains. A Manhattan, l'immeuble des Nations unies est évacué, et tous les gens qui se trouvent à la pointe de l'île sont invités à « marcher vers le nord ». Tous les vols vers l'Amérique du Nord, et aussi, pour la première fois dans l'histoire, tous les vols à l'intérieur du pays, (plusieurs dizaines de milliers) sont suspendus. Mais - on l'apprend avec un grand retard - il y a eu entre-temps une quatrième attaque. Un quatrième avion, un quatrième Boeing, appartenant, comme les autres, à une compagnie américaine, a été détourné. Mais celui-ci s'est écrasé dans la région de Pittsburgh, en Pennsylvanie, presque exactement au moment où le troisième avion s'abattait sur le Pentagone. Se dirigeait-il vers Camp David, 135 km plus au sud, ou bien vers la Maison Blanche ou le Capitole, comme le supposeront plus tard des sénateurs ? Que s'est-il passé à bord. Là encore, un passager, réfugié dans les toilettes, a lancé un appel sur son téléphone portable « nous sommes détournés, nous sommes détournés ». Un autre a parlé à sa mère, expliqué que « trois hommes ont pris le contrôle », qu'ils « disent qu'ils ont une bombe ». Et ensuite : une hypothèse, forcément, se fait jour, même si elle n'est guère évoquée ouvertement : l'avion n'aurait-il pas été abattu préventivement, pour éviter un plus grand désastre ? Les informations officielles sont rares, quasi inexistantes. On ne sait rien sur le nombre des victimes - sinon celles qui sont mortes dans les quatre avions : 266. Le maire de New York, Rudy Giuliani, se refuse à « spéculer » sur le sujet, ajoutant simplement : « Il y en a plus qu'aucun de nous ne peut le supporter ». Peu après une heure de l'après-midi, le président Bush, qui a quitté Sarasota, non pour Washington, mais pour la base militaire de Barksdale, dans le Nebraska, prend à nouveau la parole. Le ton, cette fois, a changé. « les forces armées américaines dans le monde entier ont été mises en état d'alerte ». « les Etats-Unis vont pourchasser et punir ceux qui sont responsables de ces lâches actions ». Quelques heures plus tard, des explosions dans un ciel noir se substituent sur les écrans de télévision aux images des « twin towers » qui n'en finissent pas de brûler. C'est Kaboul. Les Etats-Unis auraient-ils, déjà, attaqué, entrepris de se venger ? Non, indiqueront plus tard des officiels. Mais quand, au soir de cette invraisemblable journée, George Bush, enfin rentré à la Maison Blanche, s'adressera officiellement à la nation américaine, il parlera des « milliers de vies interrompues soudain par le mal », mais aussi de « la résolution d'acier » et de la « colère » de l'Amérique : nous ne ferons « aucune distinction entre les terroristes qui ont commis ces actes et ceux qui les abritent ». La peur va changer de camp.

Liens utiles