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Article de presse: Des funérailles pour la reine dont le peuple rêvait

Publié le 22/02/2012

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6 septembre 1997 - " Adieu princesse "... Le petit morceau de drap usé, fiché à quelques mètres de l'embranchement de l'autoroute du Nord qu'emprunta le cercueil de Diana, flotte encore quelques heures après la cérémonie des obsèques. Non loin, dans une artère populeuse, au numéro 101 de Camden High Street, une Chinoise menue, tailleur marine, pousse la porte de l'officine où elle exerce son métier de médecin acupuncteur. Elle montre le programme officiel de la cérémonie mortuaire distribué dans l'abbaye de Westminster. Le docteur Lily Hua Yu est l'une des rares inconnues à avoir été invitées, par Buckingham Palace, à assister aux obsèques de la princesse. " Une personne simple " Le docteur Lily Hua Yu soignait la princesse de Galles depuis un an et demi. Elle montre d'un geste la banquette où s'allongeait sa patiente. " C'était une personne simple, en proie à des troubles dépressifs quand elle vint me consulter pour la première fois, sur recommandation d'une de ses amies. Les contraintes du Palais semblaient la source de ses malheurs. Elle prenait depuis cinq ans des somnifères et avait un rapport maladif à la nourriture. " Au cours des derniers mois, Lily Hua Yu n'eut jamais à se rendre à Kensington Palace; la princesse préférait venir à son cabinet. " Elle arrivait à peine escortée, bavardait avec la clientèle dans la salle d'attente. " Entre le médecin et sa patiente, l'amitié naquit. " On ne lui pardonnait guère son amour pour ``Dodi``, qui n'était pas British. Il y a du racisme ici et elle, justement, refusait ce racisme. " Dans ces heures qui suivent les obsèques, il y a là un couple immigré de New Delhi, une mère et ses enfants originaires de Hongkong, un vieux Londonien à la face couperosée, une Anglaise à la chevelure fatiguée par les teintures. Chacun se souvient. Certains sont allés, ce samedi matin, à Hyde Park " pour participer à l'Histoire "; d'autres ont préféré rester devant leur télévision. Quelques-uns racontent " comment Diana était là, dans ce cabinet, il y a quelques semaines encore ". Camden, quartier populaire où se côtoient toutes les minorités ethniques, a rouvert ses magasins samedi après 14 heures. Ils étaient restés clos le matin, " par respect pour la princesse de Galles ", comme l'indiquaient des panonceaux dans les vitrines sous de grands portraits. Carol et son amie Angie, deux rousses corpulentes accompagnées de leurs fils de dix ans sont rentrées à Camden où elles habitent. Manutentionnaires, elles s'étaient mises en congé pour passer deux jours à Marble Arch, où elles avaient réussi à apercevoir le cercueil, ses lys, les princes William et Harry. De retour à la maison, elles gardent leurs redingotes noires élimées et les enfants ont encore une rose blanche à la boutonnière. Elles vont porter le deuil quelques jours. Parler de Diana les fait encore pleurer : " C'est horrible ce qui est arrivé. Elle et ``Dodi`` s'aimaient. C'était enfin le bonheur, comme nous on peut en rêver. Simple, ouvert, à notre portée, loin des ``Royals`` qui ne savent que taire leurs secrets et ne s'intéressent pas à nous. " Carol et Angie ont du mal à joindre les deux bouts. " Diana était riche, cela ne nous gênait pas car elle savait nous parler. " L'hommage des " gays " Au Black Cap, un des cafés gays de Camden, ils sont nombreux à porter une tenue noire en signe de deuil. Bob et Tony étaient à Hyde Park parmi les centaines de milliers de jeunes qui firent le gros du public. La cérémonie de Westminster y était retransmise sur écran géant. La foule, assise sur les pelouses, se recueillait en silence. Comme tant d'autres, Bob et Tony se souviennent. Diana avait su prendre la défense des homosexuels comme celle d'autres minorités. Un chroniqueur l'avait même récemment comparée à une " icône des gays " ! Bob ricane à cette évocation. " Si la reine mourrait, nous irions jeter un coup d'oeil à son cortège, par curiosité. Pour Diana, c'est complètement différent. Nous nous devions d'assister à la cérémonie. Diana, c'est d'abord quelqu'un qui a contesté l'establishment. Elle a osé affronter la monarchie et l'establishment ". Fait-on remarquer à Bob et à Tony que des gens à Hyde Park ont salué l'hommage que prononça Tony Blair à Westminster Abbey ? " A peine l'a-t-on écouté ", concède Bob. " Tony Blair n'est qu'un politicien. Elton John nous a émus davantage. Mais, à Hyde Park, tout le monde s'est levé pour applaudir longuement le frère de Diana : il a osé dire crûment aux ``Royals`` ce que sa soeur avait combattu. " La vague d'applaudissements franchit le portail de l'abbaye, enflant jusqu'à déclencher sous ses voûtes gothiques, chez les mille neuf cents invités, la même ovation émue que celle enregistrée à l'extérieur. Scène sans précédent en pareille circonstance. Contre la tradition Plus au sud, dans les maisons délabrées de Brixton, où vit une forte communauté d'origine jamaïquaine, les mères de famille ne disent pas autre chose. Jenny, cinquante-trois ans, encore sur le coup de la colère : " La reine a parlé, mais trop tard. Cela ne change rien. Les ``Royals`` ont peur de leur ombre, tapis dans leurs palais. Du peuple, ils n'ont rien à faire. Et nous, d'eux, pas davantage. " Jenny cite à sa façon, pour faire bonne mesure, une chronique du quotidien The Independent parue la semaine passée, alors que la famille royale restait muette : " Les ``Royals`` se conduisent comme si la révolution grondait sous les murs de Buckingham. Tout de même pas ! Moi, je pense à Charles ", rétorque un voisin pakistanais qui vend des journaux et des provisions de bouche. " Je rêvais de voir la reine annoncer son départ en faveur de Charles. Elle ne l'a pas fait. Charles réalise dans la douleur à quel point il vient de perdre une reine. Diana n'a jamais eu ce titre. Mais elle était la reine telle que nous tous en rêvions, moderne, brillante, humaine, prête à communiquer avec tous. Les monarques belges, hollandais, danois, savent être près du peuple. La monarchie anglaise reste la seule à ne pas changer. " Le lendemain des obsèques, dans son édition dominicale, The Observer a choisi de titrer : " The nation unites against tradition " (La nation s'unit contre la tradition). Ainsi l'avait ressenti la foule de ceux qui, samedi, se serraient les uns contre les autres sur les pelouses d'Hyde Park, puis tout au long de la procession funèbre. Dimanche, toute la journée, jusqu'au soir, puis tard lorsque la nuit fut tombée, des milliers de gens attendaient encore devant Kensington Palace, qui fut la résidence de la princesse de Galles. Ils voulaient signer les livres de condoléances. Il y avait huit jours déjà que Diana avait trouvé la mort. DANIELLE ROUARD Le Monde du septembre 1997

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