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Article de presse: Helmut Kohl, la force d'un père tranquille

Publié le 22/02/2012

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15 juin 1996 - Le chancelier, qui s'est maintenu au pouvoir pendant quatorze ans (aussi longtemps que Konrad Adenauer), sait, après des débuts " provinciaux ", trouver aujourd'hui le mot juste pour parler du passé de son pays. Après avoir réunifié l'Allemagne, il oeuvre en faveur de l'unité européenne Lundi 21 octobre 1996, dans la salle des congrès de Hanovre, les orateurs se succèdent à la tribune. Le chancelier Kohl, assis non loin du micro, écoute d'une oreille distraite. Il vient d'être réélu avec un score triomphal (95,5 %) président de la CDU, qu'il dirige depuis vingt-trois ans. Il dédicace à la chaîne des exemplaires de son dernier livre, ses souvenirs sur la réunification allemande. Le bonheur se lit sur son visage, en dépit de quelques signes d'inquiétude : la coalition de Bonn est, une fois de plus, ébranlée par les considérables difficultés budgétaires du pays. Qu'à cela ne tienne : actuellement, aucun dirigeant occidental, sauf peut-être Bill Clinton, ne dispose comme lui d'un appareil tout entier dévoué à sa cause, ni d'une emprise aussi grande sur le destin de son pays. Dans une Europe minée par la crise de la représentation politique, il est à la tête du dernier grand parti chrétien-démocrate. Il est vrai que l'opposition sociale-démocrate, affaiblie par les querelles de personnes et le manque d'unité de son discours, lui facilite grandement la tâche. Il savoure, lui le passionné d'histoire, les multiples témoignages de respect qui lui sont adressés alors qu'il s'apprête à réaliser un record : le 31 octobre, il dépassera la longévité politique de Konrad Adenauer. " Otto von Kohl ", écrivent déjà certains commentateurs, qui voient l'actuel chancelier atteindre en 2001 le " score " de Bismarck le Reichskanzler avait gouverné pendant dix- neuf ans. Pour y parvenir, et du même coup être le premier dirigeant allemand de l'après- guerre à exercer le pouvoir de Berlin, Helmut Kohl devra se représenter en 1998 et être élu à nouveau pour quatre ans. Tout autorise à penser que la première des deux conditions, au moins, sera remplie. Ce n'est pas la limite d'âge qui l'empêchera de continuer : à soixante-six ans, Helmut Kohl est plus jeune que ne l'était Konrad Adenauer en 1949. L'homme affiche des manières simples et a toujours aimé communiquer avec le pays profond. Mais, et c'est nouveau, les médias allemands prêtent à présent leur concours à cette offensive de charme. Pendant très longtemps, Helmut Kohl a été considéré comme un médiocre petit politicien de province, l'archétype du petit-bourgeois sans envergure. Lui, qui longtemps a rêvé de devenir paysan, a été jadis comparé à une " poire ". Oublié tout cela : il est aujourd'hui fort civilement traité de " bouddha " par ses adversaires politiques. Le Spiegel, après l'avoir si longtemps combattu, constatait, dès 1990, qu' " on ne pourrait plus le supprimer de la vie politique allemande ". Interrogé sur la pertinence du parallèle historique Kohl-Bismarck, il répond : " Plutôt que Bismarck, les figures de l'histoire que j'apprécie le plus sont Harry Truman et le pape Jean XXIII. " La culture politique de Kohl, autrement dit, est marquée par la double influence des Etats-Unis et de l'Eglise (dans son aggiornamento). Fini les " gaffes " célèbres qui firent de lui la risée des médias pendant une bonne partie des années 80. Il sait notamment, désormais, trouver les mots justes pour parler du passé allemand, qu'il s'exprime en terre d'Israël ou bien aux Pays-Bas. Une évolution qui lui vaut des coups de chapeau des médias libéraux allemands. Un respect qui n'est pas pour rien dans l'évolution de son style de plus en plus " présidentiel " (on est passé, disent certains, de la Kanzlerdemokratie à la Präsidialdemokratie). Même les ennemis intimes de Kohl constatent aujourd'hui qu'il est digne, notamment grâce à la réunification, de figurer au panthéon des grands chanceliers de l'après-guerre (avec Adenauer, l'homme de l'intégration à l'Ouest, et Willy Brandt, l'homme de l'Ostpolitik). " La ténacité, le refus du Zeitgeist (l'esprit du temps) et le sens de l'histoire " : telles sont les qualités qui permettent à Helmut Kohl de " tenir bon " depuis si longtemps, selon Wolfgang Bergsdorf, un de ses plus proches collaborateurs. Le " sens de l'histoire ", c'est la volonté de donner à la construction européenne un caractère définitif et irréversible. Par " refus de l'esprit du temps ", Wolfgang Bergsdorf entend sans doute le caractère foncièrement anti-idéologique de l'approche " kohlienne ". Chrétien-démocrate plutôt " de gauche ", c'est-à-dire social, Helmut Kohl est ainsi l'un des derniers au sein de son parti à défendre dans ses grandes lignes le maintien d'un modèle social allemand tel qu'il a été mis en place après la seconde guerre mondiale. Après lui, la CDU devrait prendre parti de manière plus nette en faveur des intérêts du patronat. La ténacité : c'est elle qui a permis à Helmut Kohl de démontrer, au fil de toutes ces années, combien il était capable de tirer efficacement les ficelles du pouvoir. " Il est comme une araignée au milieu de la toile ", dit un de ses proches. Il suffit d'assister à un congrès de la CDU pour le constater : rares sont les dirigeants politiques qui ont, comme Kohl, réussi à éliminer de manière aussi systématique ses concurrents potentiels. Une certaine inquiétude sur l' " après-Kohl " est perceptible. " Après Kohl, la CDU pourrait se décomposer ", estime l'historien Joseph Rovan. " La CDU a tort de se livrer au rituel de la grand-messe derrière son chef. Cela se retournera contre elle ", selon Klaus Escher, président de la Junge Union, l'organisation de jeunesse de la CDU. Mais cette forte assise intérieure permet au chancelier fédéral d'être aujourd'hui, de tous les chefs d'Etat et de gouvernement européens, celui qui se trouve depuis le plus longtemps en exercice. Un statut qui, ajouté à la forte présence physique du personnage ainsi qu'à l'importance démographique et économique de son pays, en impose tout naturellement à ses partenaires. Bill Clinton ne l'a-t-il pas comparé un jour à un " lutteur de sumo " japonais ? " Kohl, le poids lourd de l'Europe ", titrait ces jours-ci l'hebdomadaire The Economist. Devenu l'un des grands de ce monde, le chancelier incarne une Allemagne fermement ancrée à l'Ouest, mais également pôle de stabilité sur le continent et trait d'union avec l'Est. Pour résumer sa relation privilégiée avec Moscou, il qualifie le peuple russe de " grand voisin " en paraissant oublier au passage l'existence de la Pologne... Son objectif : contenir la puissance allemande grâce au projet européen, avec deux idées forces : permettre à l'Allemagne d'être acceptée durablement par ses voisins et empêcher le retour du " cauchemar des alliances ", comme le disait Bismarck. Affectionnant les métaphores religieuses, il explique que " l'Allemagne peut prétendre au titre d'évêque, mais pas à celui de cardinal ". La marche vers l'union monétaire renforce les chances de réussite de l'entreprise, qui n'ont jamais paru aussi grandes. En privé, il lui arrive de résumer sa vision des choses sur le ton de l'ironie : " Au XXe siècle, les Allemands ont d'abord rêvé de bottes militaires, et puis se sont passionnés pour le deutschemark. Je veux faire évoluer les esprits. " Après avoir été le chancelier de l'unification allemande, Kohl voudrait devenir celui de l'unification européenne : les deux phénomènes, ne se lasse-t-il pas de dire, " sont les deux faces d'une même médaille " (une phrase qu'il prononce en règle générale plusieurs fois par jour). La relation avec la France, dans ce contexte, est toujours aussi primordiale pour lui, même si certaines voix isolées, proches de l'ancien ministre-président de Bavière Franz-Josef Strauss, reprochent au chancelier Kohl d'être le " proconsul des Etats-Unis " en Europe. " Helmut Kohl privilégie de plus en plus la stratégie européenne " : c'est Jacques Chirac, ici, qui s'exprime. " Il m'a depuis longtemps classé parmi ses amis ", dit le président français à propos d'Helmut Kohl, avant d'ajouter : " C'est un homme simple, réaliste, plein de bonhomie mais aussi de finesse. Un cerveau penché sur un coeur. " Confiant, le président français ajoute : " Nous avons globalement une conception identique de l'Europe. Sur les grandes options extérieures Bosnie, OTAN, Russie, aide au développement... l'Allemagne pense comme la France. " Il est tout à fait certain que l'Allemagne d'Helmut Kohl pense comme la France : c'est même une des lignes directrices de sa politique étrangère. Mais elle aimerait, souvent, que la France pense aussi comme l'Allemagne... Si bien qu'elle est gênée chaque fois que Paris fait preuve d'initiative solitaire (ainsi des essais nucléaires ou du récent voyage de Jacques Chirac au Proche-Orient). Vue de Bonn, la relation personnelle entre Helmut Kohl et Jacques Chirac n'est pas aussi intense qu'avec François Mitterrand. Le chancelier ne vient-il pas de rendre un nouvel hommage posthume à l'ancien président français ? Il a publié un long communiqué à l'occasion du 26 octobre, date qui aurait été celle de son quatre-vingtième anniversaire. LUCAS DELATTRE Le Monde du 30 octobre 1996

« Une certaine inquiétude sur l' " après-Kohl " est perceptible.

" Après Kohl, la CDU pourrait se décomposer ", estime l'historienJoseph Rovan.

" La CDU a tort de se livrer au rituel de la grand-messe derrière son chef.

Cela se retournera contre elle ", selonKlaus Escher, président de la Junge Union, l'organisation de jeunesse de la CDU. Mais cette forte assise intérieure permet au chancelier fédéral d'être aujourd'hui, de tous les chefs d'Etat et de gouvernementeuropéens, celui qui se trouve depuis le plus longtemps en exercice.

Un statut qui, ajouté à la forte présence physique dupersonnage ainsi qu'à l'importance démographique et économique de son pays, en impose tout naturellement à ses partenaires.Bill Clinton ne l'a-t-il pas comparé un jour à un " lutteur de sumo " japonais ? " Kohl, le poids lourd de l'Europe ", titrait ces jours-ci l'hebdomadaire The Economist.

Devenu l'un des grands de ce monde, le chancelier incarne une Allemagne fermement ancrée àl'Ouest, mais également pôle de stabilité sur le continent et trait d'union avec l'Est.

Pour résumer sa relation privilégiée avecMoscou, il qualifie le peuple russe de " grand voisin " en paraissant oublier au passage l'existence de la Pologne... Son objectif : contenir la puissance allemande grâce au projet européen, avec deux idées forces : permettre à l'Allemagne d'êtreacceptée durablement par ses voisins et empêcher le retour du " cauchemar des alliances ", comme le disait Bismarck.Affectionnant les métaphores religieuses, il explique que " l'Allemagne peut prétendre au titre d'évêque, mais pas à celui decardinal ". La marche vers l'union monétaire renforce les chances de réussite de l'entreprise, qui n'ont jamais paru aussi grandes.

En privé,il lui arrive de résumer sa vision des choses sur le ton de l'ironie : " Au XX e siècle, les Allemands ont d'abord rêvé de bottes militaires, et puis se sont passionnés pour le deutschemark.

Je veux faire évoluer les esprits.

" Après avoir été le chancelier de l'unification allemande, Kohl voudrait devenir celui de l'unification européenne : les deuxphénomènes, ne se lasse-t-il pas de dire, " sont les deux faces d'une même médaille " (une phrase qu'il prononce en règle généraleplusieurs fois par jour).

La relation avec la France, dans ce contexte, est toujours aussi primordiale pour lui, même si certainesvoix isolées, proches de l'ancien ministre-président de Bavière Franz-Josef Strauss, reprochent au chancelier Kohl d'être le" proconsul des Etats-Unis " en Europe. " Helmut Kohl privilégie de plus en plus la stratégie européenne " : c'est Jacques Chirac, ici, qui s'exprime.

" Il m'a depuislongtemps classé parmi ses amis ", dit le président français à propos d'Helmut Kohl, avant d'ajouter : " C'est un homme simple,réaliste, plein de bonhomie mais aussi de finesse.

Un cerveau penché sur un coeur.

" Confiant, le président français ajoute :" Nous avons globalement une conception identique de l'Europe.

Sur les grandes options extérieures Bosnie, OTAN, Russie,aide au développement...

l'Allemagne pense comme la France.

" Il est tout à fait certain que l'Allemagne d'Helmut Kohl pense comme la France : c'est même une des lignes directrices de sapolitique étrangère.

Mais elle aimerait, souvent, que la France pense aussi comme l'Allemagne...

Si bien qu'elle est gênée chaquefois que Paris fait preuve d'initiative solitaire (ainsi des essais nucléaires ou du récent voyage de Jacques Chirac au Proche-Orient).

Vue de Bonn, la relation personnelle entre Helmut Kohl et Jacques Chirac n'est pas aussi intense qu'avec FrançoisMitterrand.

Le chancelier ne vient-il pas de rendre un nouvel hommage posthume à l'ancien président français ? Il a publié un longcommuniqué à l'occasion du 26 octobre, date qui aurait été celle de son quatre-vingtième anniversaire. LUCAS DELATTRE Le Monde du 30 octobre 1996. »

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