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Article de presse: La faillite du système monétaire international

Publié le 22/02/2012

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15 août 1971 - L'histoire retiendra que les Alliés voulurent, à la conférence de Bretton-Woods, tenue en 1944, restaurer pour l'après-guerre un système de paiements basé sur les deux principes de base de l'étalon-or, auquel le monde avait plus ou moins renoncé depuis la grande crise économique et monétaire de 1930: fixité des parités et libre convertibilité des monnaies entre elles, le rattachement à l'étalon commun se faisant par l'intermédiaire du dollar, seule monnaie assez forte en 1944 pour supporter une confrontation avec l'or. On écrit communément que le système de Bretton-Woods, qui vient de s'effondrer, aura duré vingt-cinq ans. C'est inexact il n'a été véritablement mis en vigueur qu'à la fin de 1958, quand les monnaies européennes sont devenues convertibles à leur tour. Son agonie a commencé dès novembre 1967, avec la dévaluation de la livre sterling et les troubles graves qui s'ensuivirent: abolition du " pool " de l'or, démantèlement progressif du " pôle de stabilité " que constituait l'Europe des Six avec la dévaluation du deutschemark, etc. La clé de voûte de tout le système, c'était la libre convertibilité en or du dollar. De 1960 à 1968, pendant toute la période où fonctionna le " pool " de l'or, les Etats occidentaux allèrent même plus loin dans la voie d'une restauration de l'étalon-or qu'il n'avait été prévu : durant cette époque, l'ensemble des grandes monnaies furent convertibles à taux fixe en or sur le marché libre le dollar, lui, était en outre convertible directement pour les banques centrales auprès de la trésorerie des Etats-Unis. Ce n'est pas un hasard si cette période fut aussi celle du grand essor des échanges. En fait, cette " restauration " était plus apparente que réelle, pour une raison plus subtile que celle admise. On note souvent que le dollar était resté convertible parce que les créanciers des Etats-Unis avaient accepté, sous la pression de Washington, de ne pas user ou de n'user qu'avec une extrême modération de leur droit. C'est vrai, mais il faut ajouter, pour expliquer le rôle prééminent du dollar par rapport au métal précieux, qu'il y a belle lurette que l'émission monétaire aux Etats-Unis n'était plus fonction des entrées et des sorties d'or le dollar n'est plus, depuis longtemps, défini en or, mais plutôt l'or en dollar. La nature d'un système monétaire est finalement déterminée non pas par des statuts ou des schémas abstraits, mais par le rapport des forces politiques et économiques en présence. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous vivons sous un régime d'étalon-dollar, c'est-à-dire, pour reprendre l'expression de Sir Dennis Robertson, sous un système d'étalon arbitraire, puisque la valeur du dollar n'est que l'expression de la gestion de ceux qui en ont la garde. La logique des faits ne se ramène pourtant pas entièrement au poids des Etats. Si le dollar en vient à perdre trop vite de sa valeur, ce phénomène entraîne ses propres conséquences : la fuite devant ce dollar déprécié, qui oblige un président des Etats-Unis, au beau milieu de l'été, à couper les liens que le dollar entretenait encore avec l'or, liens plus symboliques que réels certes, mais enfin pas tout à fait sans importance, comme l'ont montré les secousses crées par la décision de M. Nixon de " suspendre " la convertibilité. Désormais, donc, la prétendue " loi " de l'offre et de la demande règne en maîtresse sur les marchés des changes, et l'on peut craindre que cela ne signifie le désordre, sinon le chaos. Qu'ont fait les autres ? Du début de l'année 1970 jusqu'au 10 mai dernier, jour où elle décida de laisser " flotter " le deutschemark, la République fédérale a acquis plus de 12 milliards de dollars elle n'a pas encore aujourd'hui réussi à s'en débarrasser, fût-ce pour une faible part. Au contraire, elle a dû récemment intervenir à nouveau pour essayer d'enrayer la hausse du deutschemark, préjudiciable aux intérêts des exportateurs allemands. La méthode d'intervention choisie - achats de dollars à terme - était couramment employée avant le 10 mai; mais c'est une politique de Gribouille, puisqu'elle alimente la spéculation en fournissant au marché des marks livrables dans trois mois à des cours alléchants. Soutenir le cours du dollar à terme, c'est en effet empêcher le mark de monter. Quant à l'autre plus importante détentrice de dollars, la Banque du Japon, il semble bien qu'elle continue à intervenir sur le marché " libre " des changes, pour éviter une trop forte valorisation du yen, rendu " flottant " par Tokyo douze jours après le discours du président Nixon. On peut penser qu'actuellement la République fédérale se trouve en possession de quelque 12 ou 13 milliards de dollars et que l'Empire du Soleil Levant en a autant. Ces deux pays n'ont pas été les seuls, depuis le début de 1970, à acquérir de fortes quantités de dollars : la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, la Belgique, etc., en ont également acheté, quoique dans des proportions moins considérables. Le résultat global de cette évolution a été qu'au cours de la seule année 1970 le total des réserves en devises du monde occidental a augmenté de 48,6 %, passant de 29,1 milliards de dollars à 43,2 milliards. Depuis lors, ce chiffre n'a cessé d'augmenter, s'établissant à 48,5 à la fin de mai 1971, juste avant que n'éclate la crise que nous continuons à traverser. " Les Etats-Unis sont fauchés " John Connally, secrétaire au Trésor, n'a pas caché la situation à ses interlocuteurs européens et japonais, lors de la récente conférence du groupe des Dix à Londres : " Les Etats-Unis sont fauchés ", leur a-t-il dit sans ambages. Cette affirmation ne manquera pas de surprendre certains, car les actifs des Etats-Unis sont considérables de par le monde; aucun pays ne possède actuellement autant de biens à l'extérieur de ses frontières. Washington connaît les déboires d'une société industrielle dont le bilan fait état de magnifiques actifs (immobilisés), mais qui a eu l'imprudence de contracter des dettes exigibles (les " balances dollar " détenues par les banques centrales ainsi que par les banques et entreprises étrangères) d'un montant bien supérieur à ses actifs réalisables (ses réserves de change). Mais si les Etats-Unis sont " fauchés ", leur état de faillite virtuelle est le résultat d'une politique qui les a considérablement enrichis, puisque leurs énormes investissements à l'étranger leur resteront sans doute définitivement acquis-sauf confiscation à la suite d'imprévisibles révolutions... On peut craindre de n'avoir pas encore vu le pire. D'une certaine façon, le déficit extérieur des Etats-Unis n'est qu'une excroissance de l'énorme dette intérieure de ce pays. La dette publique fédérale se monte actuellement à 340 milliards de dollars, soit un montant très largement supérieur à celui du budget annuel (200 milliards). Chaque année, elle s'accroît encore, à cause du déficit des finances publiques, qui s'élevait au cours de l'exercice précédent à quelque 27 milliards de dollars, et qui pourrait bien atteindre, selon certaines estimations, près de 35 milliards durant l'année commencée le 1er juillet. Une partie importante des fonds que doit se procurer le Trésor américain sur le marché pour financer cette brèche est, en réalité, fournie par les banques centrales étrangères, qui replacent sur le marché de New-York les créances qu'elle accumulent. Le discours qu'a prononcé dans la soirée du 15 août le président Nixon, pour annoncer la suspension de la convertibilité et l'institution de la surtaxe, avait des accents d'un chauvinisme quasi insupportable. Mais on peut voir aussi là une nouvelle illustration de l'idée selon laquelle la principale tâche des hommes politiques est de faire accepter l'inacceptable par l'opinion publique et, pour y parvenir, de lui présenter quasiment comme une victoire ce qui est une défaite. Suspendre la convertibilité en or, cela revient à laisser " flotter " le dollar; instituer une surtaxe de 10 % sur les importations et aider les exportateurs, c'est purement et simplement procéder à une dévaluation du dollar commercial personne ne s'y est trompé, du reste. Le discours du 15 août pourrait bien avoir débloqué une situation qui apparaissait sans issue. Au début de l'été, parler d'une dévaluation du dollar, c'était encore aborder un sujet tabou. PAUL FABRA Le Monde du 25 septembre 1971

« japonais, lors de la récente conférence du groupe des Dix à Londres : " Les Etats-Unis sont fauchés ", leur a-t-il dit sansambages.

Cette affirmation ne manquera pas de surprendre certains, car les actifs des Etats-Unis sont considérables de par lemonde; aucun pays ne possède actuellement autant de biens à l'extérieur de ses frontières. Washington connaît les déboires d'une société industrielle dont le bilan fait état de magnifiques actifs (immobilisés), mais qui aeu l'imprudence de contracter des dettes exigibles (les " balances dollar " détenues par les banques centrales ainsi que par lesbanques et entreprises étrangères) d'un montant bien supérieur à ses actifs réalisables (ses réserves de change).

Mais si les Etats-Unis sont " fauchés ", leur état de faillite virtuelle est le résultat d'une politique qui les a considérablement enrichis, puisque leursénormes investissements à l'étranger leur resteront sans doute définitivement acquis-sauf confiscation à la suite d'imprévisiblesrévolutions... On peut craindre de n'avoir pas encore vu le pire.

D'une certaine façon, le déficit extérieur des Etats-Unis n'est qu'uneexcroissance de l'énorme dette intérieure de ce pays.

La dette publique fédérale se monte actuellement à 340 milliards de dollars,soit un montant très largement supérieur à celui du budget annuel (200 milliards).

Chaque année, elle s'accroît encore, à cause dudéficit des finances publiques, qui s'élevait au cours de l'exercice précédent à quelque 27 milliards de dollars, et qui pourrait bienatteindre, selon certaines estimations, près de 35 milliards durant l'année commencée le 1 er juillet.

Une partie importante des fonds que doit se procurer le Trésor américain sur le marché pour financer cette brèche est, en réalité, fournie par les banquescentrales étrangères, qui replacent sur le marché de New-York les créances qu'elle accumulent. Le discours qu'a prononcé dans la soirée du 15 août le président Nixon, pour annoncer la suspension de la convertibilité etl'institution de la surtaxe, avait des accents d'un chauvinisme quasi insupportable.

Mais on peut voir aussi là une nouvelleillustration de l'idée selon laquelle la principale tâche des hommes politiques est de faire accepter l'inacceptable par l'opinionpublique et, pour y parvenir, de lui présenter quasiment comme une victoire ce qui est une défaite. Suspendre la convertibilité en or, cela revient à laisser " flotter " le dollar; instituer une surtaxe de 10 % sur les importations etaider les exportateurs, c'est purement et simplement procéder à une dévaluation du dollar commercial personne ne s'y esttrompé, du reste.

Le discours du 15 août pourrait bien avoir débloqué une situation qui apparaissait sans issue.

Au début de l'été,parler d'une dévaluation du dollar, c'était encore aborder un sujet tabou. PAUL FABRA Le Monde du 25 septembre 1971. »

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