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Article de presse: L'affaire Siniavski-Daniel

Publié le 22/02/2012

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10-14 février 1966 - Après la chute de Khrouchtchev, la direction collective commença par donner quelques apaisements aux intellectuels. D'une part, ceux-ci avaient quelques raisons de se plaindre des foucades de l'ancien premier secrétaire, d'autre part, ils lui savaient gré d'avoir permis le " dégel ". Pendant plusieurs mois, on laissa donc entendre que ce dégel allait se poursuivre mais qu'il serait, comme toute la politique soviétique, mené de façon " scientifique ". On fit par exemple courir le bruit que le poète Brodski, condamné sous Khrouchtchev au travail correctif pour " parasitisme ", avait été remis en liberté. Dans la Pravda, le rédacteur M. Roumantsiev, publia à diverses reprises des articles favorables à la tolérance. Le réalisme socialiste, écrivait-il, a besoin de la diversité des écoles. De son côté, M. Demitchev, secrétaire du comité central chargé des affaires culturelles, conseillait aux critiques de faire preuve de largesse d'esprit et de compréhension lorsqu'ils appréciaient un ouvrage. Pourtant, dès ce moment, la tendance générale était au raidissement. Plusieurs facteurs se conjuguaient. D'abord, la volonté de l'appareil du parti de reprendre en main les affaires-et les esprits-après le tohu-bohu khrouchtchévien. Ensuite, le regain d'influence de l'armée, dont les chefs entendaient inculquer à la population et singulièrement à la jeunesse ses valeurs morales et patriotiques. Enfin, un nouveau slavophilisme était sensible dans le parti et hors du parti. Au mois de septembre 1965, on s'aperçut que la saison du regel était arrivée, lorsque fut annoncée l'arrestation du critique Siniavski et celle du traducteur Daniel. Ils allaient être condamnés respectivement à sept ans et à cinq ans de réclusion. (Depuis lors, Siniavski a émigré en France). Les deux hommes étaient accusés d'avoir envoyé des manuscrits à l'étranger sous les pseudonymes de Terz et Arjak... Il fallait remonter à la période stalinienne pour trouver une campagne aussi grave que celle qui fut alors menée contre ces deux intellectuels. Siniavski, l'accusé principal, collaborait à la revue Novy Mir. Quelques mois avant son arrestation, il avait publié une préface très remarquée à l'oeuvre poétique de Pasternak. A la différence de beaucoup de ses confrères, il attachait une grande importance à la forme de l'oeuvre sans pour autant tomber dans le défaut que les autorités soviétiques qualifient de " formalisme ". Spécialiste de littérature, il poursuivait en même temps des recherches passionnées sur l'art russe au Moyen Age. Ce n'était pas ce qu'on appelle à Moscou un " moderniste " ou " un cosmopolite ". Pourquoi l'affaire Siniavski-Daniel ? Les dirigeants soviétiques qui n'acceptaient pas la libéralisation avaient le vent en poupe et ils étaient décidés à faire un exemple. Leur porte-parole était alors M. Pavlov, premier secrétaire du Komsomol. Déjà en août 1965, il avait condamné dans la Pravda tous les auteurs qui selon lui, " pervertissaient " la jeunesse en critiquant l'armée ou même en peignant en couleurs sombres la période du " culte de la personnalité ". Il revint à la charge devant le comité central de son organisation. Il reprochait notamment à Novy Mir et à d'autres revues de trop s'intéresser à la " littérature des camps ". Les préoccupations de M. Pavlov étaient certainement partagées par M. Semitchasny, qui avait été avant lui premier secrétaire du Komsomol et qui, en 1965, dirigeait la police politique. D'ailleurs, M. Semitchasny avait été à la fin de 1958 le plus violent des détracteurs de Pasternak. En tout cas, pour la première fois depuis une douzaine d'années, deux écrivains étaient emprisonnés en raison de leur activité littéraire. Et puis la presse se mit à énumérer avec de plus en plus de violence les fautes de ces " pervertis " encore en attente de jugement. A l'aide de citations isolées de leur contexte, les journaux " prouvaient " que Siniavski et Daniel insultaient les femmes, crachaient sur Tchekhov et blasphémaient Lénine... Ils ont répandu des oeuvres diffamatoires à l'étranger, écrivaient les Izvestia le 13 janvier 1966, parce que ce sont des agents de la guerre froide : " Toute leur oeuvre vise à semer la haine entre les peuples et les Etats, à accroître le danger de guerre. En réalité, ils tirent sur le dos de leur peuple, qui lutte pour la paix sur la terre et pour le bonheur universel. On ne peut considérer leurs activités que comme des actions hostiles à la patrie ". On était presque revenu à la glaciation stalinienne lorsque l'on dressait le catalogue de tous les crimes imaginables pour mieux accabler un accusé et pour donner à d'autres un avertissement. Un peu plus tard, la crise tchécoslovaque donnait une vigueur nouvelle aux dirigeants soviétiques, qui prônaient la plus grande rigueur idéologique. La session du comité central d'avril 1968 permit aux autorités de signifier à tous que le moment était venu de resserrer la discipline à tous les échelons et que le parti entendait bien conserver dans tous les secteurs sont rôle de souverain maître. Le comité central proclama donc urbi et orbi qu'aucun communiste ne devait s'écarter de la doctrine traditionnelle condensée et rabâchée par les fonctionnaires de l'idéologie. Avant même de rétablir le " vrai communisme " à Prague, il fallait reprendre la population, les militants soviétiques, signifier que les débats, tolérés, ne pouvaient porter que sur des sujets techniques, le magistère du parti se réservant le monopole de toutes les décisions fondamentales. Le printemps de Prague incitait donc les dirigeants du Kremlin à développer la campagne de rééducation par la répression commencée avec le procès Siniavski et aussi avec Guinzbourg. Pourtant, ces " avertissements " n'avaient pas suffi. Les condamnations judiciaires avaient même accru le mécontentement. Alors on se résolut à faire donner dans les journaux, dans les réunions locales, la grosse artillerie de la propagande. Les personnages officiels de la littérature et de la science étaient requis de rappeler à l'ordre leurs subordonnés faisant preuve d' " immaturité politique " dès lors qu'ils revendiquent la liberté. Il n'était pas impossible de briser nombre d'écrivains, d'artistes récalcitrants puisque le pouvoir avait les moyens de les mettre hors d'état de produire. Il était plus difficile d'imposer aux savants une discipline de fer car le régime avait besoin de leur concours. Les spécialistes les plus éminents ont moins de complexes que d'autres Soviétiques devant les fonctionnaires de l'appareil du parti. N'est-ce pas d'ailleurs dans les cités réservées aux scientifiques, par exemple à Akademgorodok, près de Novosibirsk, que l'on avait les conversations les plus libres en URSS? Donc il n'y eut pas que des écrivains parmi les " dissidents ". De plus, ce terme très approximatif recouvre des tendances diverses. On trouve aussi des croyants qui refusent de camoufler leur foi, des juifs qui veulent partir pour Israël, des intellectuels et des militants qui se réclament toujours du communisme mais expurgé de tout stalinisme : avec l'historien Medvedev, ils aspirent à un léninisme démocratique. Il y a des champions des nationalités, des défenseurs des droits de l'homme, dont le plus illustre est Sakharov. Mais le symbole de la contestation, celui qui, en ce temps, lui a donné la voix la plus puissante, c'est Soljenitsyne. En 1963, il était encore considéré non comme un anticommuniste mais comme une victime de Staline qui pouvait appuyer Khrouchtchev. En 1973, il est aux antipodes du communisme. D'ailleurs, il est à la veille d'être expulsé de son pays. Quand donc a commencé son " exil "? Il est impossible de le préciser. Une date importante apparaît toutefois : 1969, lorsqu'il est exclu de l'Union des écrivains soviétiques. C'est alors qu'il envoie à ses juges une lettre cinglante de protestation. Il écrit notamment : " Essuyez le cadre de l'horloge. Vos montres sont en retard par rapport à notre temps. Ecartez les lourds rideaux que vous aimez tant. Vous ne soupçonnez même pas que dehors il fait jour. Ce n'est plus le temps des sourds, l'époque sombre où il n'y avait pas d'issue, où il vous avait plu d'exclure Akhmatova. Et ce n'est plus, non plus, l'époque de la timidité et des temps frileux où vous aviez exclu Pasternak en poussant des hurlements cette honte ne vous a-t-elle pas suffi ? Voulez-vous l'épaissir ? Mais l'heure est proche où chacun d'entre vous cherchera à rayer sa signature apposée sous la résolution prise aujourd'hui ". " Aveugles, guides d'aveugles, vous ne remarquez même pas que vous allez dans la direction opposée à celle que vous aviez annoncée. En ce temps de crise, vous êtes incapables de proposer à notre société qui est gravement malade quoi que se soit de bon sinon votre haine, votre vigilance, votre " tenir et ne pas lâcher " ". " Vos articles épais tombent en lambeaux, votre stupidité s'anime mollement mais vous n'avez pas d'arguments. Il y a seulement le vote à l'unanimité et les mesures administratives "... " Vous ne pourriez pas vivre sans ennemis. La haine, la haine qui ne le cède en rien à la haine raciale est devenue votre atmosphère stérile. Mais c'est ainsi que l'on perd le sens de l'unanimité intégrale et unique et que sa perte se rapproche. Si demain les glaces de l'Antarctique fondaient, l'humanité tout entière coulerait. Et alors à qui enfonceriez-vous dans la tête l'idée de la " lutte des classes " " ? " Et je ne parle même pas de ce qui se passera lorsque les quelques bipèdes encore vivants erreront sur la terre devenue radioactive et mourront. Il est temps de se rappeler que nous appartenons à l'humanité, que l'homme s'est distingué de l'animal par la pensée et le langage. Et que si on les enchaîne nous reviendrons au stade animal ". C'est un symptôme que les seuls textes dont cette époque se souvienne sont ceux de contestataires. L'art officiel était à nouveau pris par le gel et entré dans une longue décadence. On eut parfois l'impression que la littérature de la seconde puissance du monde cessait d'exister. BERNARD FERON Mars 1986

« maître. Le comité central proclama donc urbi et orbi qu'aucun communiste ne devait s'écarter de la doctrine traditionnelle condensée etrabâchée par les fonctionnaires de l'idéologie.

Avant même de rétablir le " vrai communisme " à Prague, il fallait reprendre lapopulation, les militants soviétiques, signifier que les débats, tolérés, ne pouvaient porter que sur des sujets techniques, lemagistère du parti se réservant le monopole de toutes les décisions fondamentales. Le printemps de Prague incitait donc les dirigeants du Kremlin à développer la campagne de rééducation par la répressioncommencée avec le procès Siniavski et aussi avec Guinzbourg.

Pourtant, ces " avertissements " n'avaient pas suffi.

Lescondamnations judiciaires avaient même accru le mécontentement.

Alors on se résolut à faire donner dans les journaux, dans lesréunions locales, la grosse artillerie de la propagande.

Les personnages officiels de la littérature et de la science étaient requis derappeler à l'ordre leurs subordonnés faisant preuve d' " immaturité politique " dès lors qu'ils revendiquent la liberté.

Il n'était pasimpossible de briser nombre d'écrivains, d'artistes récalcitrants puisque le pouvoir avait les moyens de les mettre hors d'état deproduire.

Il était plus difficile d'imposer aux savants une discipline de fer car le régime avait besoin de leur concours.

Lesspécialistes les plus éminents ont moins de complexes que d'autres Soviétiques devant les fonctionnaires de l'appareil du parti.N'est-ce pas d'ailleurs dans les cités réservées aux scientifiques, par exemple à Akademgorodok, près de Novosibirsk, que l'onavait les conversations les plus libres en URSS? Donc il n'y eut pas que des écrivains parmi les " dissidents ".

De plus, ce terme très approximatif recouvre des tendancesdiverses.

On trouve aussi des croyants qui refusent de camoufler leur foi, des juifs qui veulent partir pour Israël, des intellectuelset des militants qui se réclament toujours du communisme mais expurgé de tout stalinisme : avec l'historien Medvedev, ils aspirentà un léninisme démocratique. Il y a des champions des nationalités, des défenseurs des droits de l'homme, dont le plus illustre est Sakharov.

Mais le symbolede la contestation, celui qui, en ce temps, lui a donné la voix la plus puissante, c'est Soljenitsyne. En 1963, il était encore considéré non comme un anticommuniste mais comme une victime de Staline qui pouvait appuyerKhrouchtchev.

En 1973, il est aux antipodes du communisme.

D'ailleurs, il est à la veille d'être expulsé de son pays.

Quand donca commencé son " exil "? Il est impossible de le préciser.

Une date importante apparaît toutefois : 1969, lorsqu'il est exclu de l'Union des écrivainssoviétiques.

C'est alors qu'il envoie à ses juges une lettre cinglante de protestation.

Il écrit notamment : " Essuyez le cadre del'horloge.

Vos montres sont en retard par rapport à notre temps.

Ecartez les lourds rideaux que vous aimez tant.

Vous nesoupçonnez même pas que dehors il fait jour.

Ce n'est plus le temps des sourds, l'époque sombre où il n'y avait pas d'issue, où ilvous avait plu d'exclure Akhmatova.

Et ce n'est plus, non plus, l'époque de la timidité et des temps frileux où vous aviez excluPasternak en poussant des hurlements cette honte ne vous a-t-elle pas suffi ? Voulez-vous l'épaissir ? Mais l'heure est proche oùchacun d'entre vous cherchera à rayer sa signature apposée sous la résolution prise aujourd'hui ". " Aveugles, guides d'aveugles, vous ne remarquez même pas que vous allez dans la direction opposée à celle que vous aviezannoncée.

En ce temps de crise, vous êtes incapables de proposer à notre société qui est gravement malade quoi que se soit debon sinon votre haine, votre vigilance, votre " tenir et ne pas lâcher " ". " Vos articles épais tombent en lambeaux, votre stupidité s'anime mollement mais vous n'avez pas d'arguments.

Il y a seulementle vote à l'unanimité et les mesures administratives "... " Vous ne pourriez pas vivre sans ennemis.

La haine, la haine qui ne le cède en rien à la haine raciale est devenue votreatmosphère stérile.

Mais c'est ainsi que l'on perd le sens de l'unanimité intégrale et unique et que sa perte se rapproche.

Si demainles glaces de l'Antarctique fondaient, l'humanité tout entière coulerait.

Et alors à qui enfonceriez-vous dans la tête l'idée de la "lutte des classes " " ? " Et je ne parle même pas de ce qui se passera lorsque les quelques bipèdes encore vivants erreront sur la terre devenueradioactive et mourront.

Il est temps de se rappeler que nous appartenons à l'humanité, que l'homme s'est distingué de l'animalpar la pensée et le langage.

Et que si on les enchaîne nous reviendrons au stade animal ". C'est un symptôme que les seuls textes dont cette époque se souvienne sont ceux de contestataires.

L'art officiel était ànouveau pris par le gel et entré dans une longue décadence.

On eut parfois l'impression que la littérature de la seconde puissancedu monde cessait d'exister.. »

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