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Article de presse: L'assassinat de l'amiral Darlan

Publié le 17/01/2022

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darlan
24 décembre 1942 - Le jeune homme au manteau marron attendait dans l'antichambre. Il s'appelait Morand et voulait rencontrer, disait-il, M. Louis Joxe, chargé des relations avec la presse. M. Joxe était absent il l'attendait. En cet après-midi du 24 décembre 1942 à Alger, le siège du haut-commissariat était presque vide. L'amiral Darlan descendit de voiture devant le perron, accompagné de son aide de camp, le commandant Hourcade. Il arrivait à la porte de son bureau, lorsque Morand le blessa de deux coups de pistolet. Hourcade se précipita sur le meurtrier, tenta de l'empoigner et tomba, une balle dans la cuisse. La jeune homme se rua vers la fenêtre ouverte. Deux spahis le ceinturèrent. L'amiral mourut une demi-heure plus tard à l'hôpital. Morand déclara qu'il avait agi seul. Il fut vite identifié : il s'appelait en réalité Fernand Bonnier de la Chapelle et avait vingt ans. Il appartenait à une formation militaire fraîchement créée : le corps franc d'Afrique. Le garçon fut jugé le jour de Noël dans le plus grand secret par un tribunal militaire, condamné à mort et fusillé à l'aube du 26 décembre. Jusqu'au bout, il avait cru que " ses amis " viendraient le délivrer. Le général Giraud, qui avait succédé à Darlan avec le titre étonnant de commandant en chef civil et militaire en Afrique, avait hâté le jugement et l'exécution. Il n'apparut qu'ensuite que parmi les " amis " de Bonnier se trouvaient quelques-uns de ceux qui avaient conspiré pour l'amener au pouvoir a Alger au moment du débarquement anglo-américain. François Darlan avait soixante et un ans. Né à Nérac (Lot-et-Garonne), fils d'un ancien ministre de la justice, il passait dans la marine pour un officier républicain. Un député du Lot-et-Garonne, Georges Leygues, éminent homme politique de la IIIe République, le parraina et fit de lui le plus jeune amiral de France. Lorsque Georges Leygues devint ministre de la marine, Darlan fut, à ses côtés, le promoteur et le constructeur d'une flotte moderne. Devenu chef d'état-major de la marine, Darlan plaça ceux qu'on baptisait dans les carrés les ADD (amis de Darlan) à presque tous les postes-clés. Lors de l'offensive allemande de mai 1940, les Britanniques évacuent Dunkerque encerclée, leurs troupes et une partie des nôtres. Darlan estime que l'Angleterre n'a pas fait tout ce qu'elle pouvait faire. Son anglophobie, jusqu'alors discrète, s'exprime bruyamment. Il parle d'appareiller avec toute la flotte pour continuer le combat. Mais il en reste là : Pétain lui a proposé d'entrer dans son gouvernement comme ministre de la marine tout en conservant le commandement en chef. Après avoir donné l'ordre, signé Xavier, de saborder tous les navires français s'ils risquaient de tomber aux mains de l'étranger-ordre qu'exécutera deux ans plus tard Jean de Laborde,-il entre dans le gouvernement de Bordeaux puis dans celui de Vichy. Pétain, en décembre 1940, se débarrasse de Laval. Après le court interrègne de Pierre-Etienne Flandin, Darlan accède au pouvoir. Il est vice-président du conseil, ministre de l'intérieur et des affaires étrangères, successeur désigné du chef de l'Etat. Et il garde le contrôle de " sa " flotte. Comme toujours, il navigue à l'estime. Ce " réaliste " croit alors à la victoire de l'Allemagne et s'engage, avec son secrétaire d'Etat aux affaires allemandes, Jacques Benoist-Méchin, dans la collaboration active. Il en attend de fructueuses contreparties. Mais ce marin madré n'est pas de taille. Tirer des bordées ne l'avance à rien. Il est reçu par Hitler : rencontre sans résultat entre un visionnaire délirant et un tacticien à la petite semaine. Les Allemands, d'ailleurs, veulent que Laval revienne au pouvoir. Ils l'imposent à Pétain. Resté " dauphin ", Darlan se retrouve commandant en chef des armées. Il cherche le vent, lance quelques coups de sonde du côté des Américains. L'amiral Leahy, ambassadeur des etats-unis à Vichy, ami de Pétain, ne prend pas au sérieux ce personnage impopulaire et mal élevé. Mais Robert Murphy, consul général à Alger et représentant personnel de Roosevelt, engage des contacts. Le 5 novembre 1942, Darlan arrive à Alger. Visite secrète : son fils, qui lui a servi d'intermédiaire auprès de Murphy, y est à l'article de la mort. L'amiral sait-il que le grand convoi naval allié qui traverse la Méditerranée occidentale d'ouest en est est destiné à l'invasion de l'Afrique du Nord? Mystère. Selon certains témoignages, il est persuadé qu'en pareil cas les Américains le préviendraient. Ils ne l'ont pas fait. Le débarquement américain en Afrique du Nord Dans la nuit du 7 au 8 novembre, c'est le débarquement. Darlan et le général Juin, commandant en chef en Afrique du Nord, sont retenus prisonniers dans leur résidence par de jeunes conjurés français, puis délivrés par la garde mobile. Robert Murphy demande à Darlan d'ordonner un cessez-le-feu. L'amiral n'accepte qu'après bien des tergiversations. Il se dit lié par la nécessité d'obtenir l'accord de Pétain. Lorsqu'il signe enfin, il refuse d'étendre la suspension d'armes à l'ensemble de l'Afrique du Nord. D'une part, il craint, non sans raison, que les Allemands ripostent en envahissant la zone libre, d'autre part, il ne veut traiter qu'en position de force et montrer qu'il est indispensable. On s'entretue au Maroc et à Oran-1 319 morts français, 1 500 tués ou blessés américains. En Tunisie, où les Allemands ont aussitôt lancé un pont aérien, les amiraux Esteva et Derrien ne savent s'ils doivent se rallier à eux ou les combattre. Les forces ennemies ont le temps de s'installer. Lorsque Darlan, se prévalant d'un message ultra-secret l'assurant de " l'intime accord du maréchal et du gouvernement pour la négociation en cours ", se décide enfin, il est devenu l'homme-clé. Baptisé haut commissaire, il prend le pouvoir au nom du maréchal Pétain. Eisenhower et le général Mark Clark, son représentant à Alger, excédés des arguties des français et pressés d'en finir, sont d'accord. Roosevelt qui déteste de Gaulle, aussi. Les alliés ont donc laissé en place, en Afrique du Nord et en Afrique occidentale, un régime qu'ils combattent et un personnage qui a incarné la collaboration. Indignation en Angleterre. Roosevelt lâche du lest : il s'agit, dit-il, d'un " expédient provisoire ". Dénoncé par Vichy comme traître, sa flotte au fond de la rade de Toulon, attaqué en Algérie par ceux qui, involontairement, l'on amené au pourvoir, honni par la presse américaine, Darlan est, fin décembre, politiquement condamné. Il le sait. Bonnier de la Chapelle tue un homme qui encombre tout le monde. JEAN PLANCHAIS Le Monde du 28 décembre 1986

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