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Article de presse: L'Assemblée consultative d'Alger

Publié le 17/01/2022

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3 novembre 1943 - " Il serait vain, dans les conditions sans exemple où se trouve actuellement le pays, de vouloir chercher un précédent historique à la création de l'Assemblée consultative, ou bien des textes qui puissent lui fournir une base littéralement légale. L'invasion et l'Occupation ont détruit les institutions que la France s'était données... C'est pourquoi, bien que la démocratie ne puisse être restaurée dans ses droits et dans ses formes que dans une France libérée, le Comité de la libération nationale a jugé nécessaire, dès que les événements le lui eurent permis, de donner aux pouvoirs publics provisoires un caractère aussi démocratique que possible en appelant à l'éclairer et à le soutenir une Assemblée consultative, où les représentants de la résistance nationale se trouvent côte à côte avec des élus du peuple, tous pourvus d'un mandat qualifié. " C'est en ces termes que, le 3 novembre 1943, le général de Gaulle ouvrit à Alger la séance inaugurale de l'Assemblée consultative provisoire. Sa réunion était la conséquence logique du rétablissement de la légalité républicaine. Il ne faut pas oublier que les Américains, débarquant en Afrique du Nord dont ils avaient systématiquement cherché à écarter le général de Gaulle, avaient soutenu le pouvoir de l'amiral Darlan, puis, après l'exécution de celui-ci par un jeune patriote, celui du général Giraud. Ce dernier, qui gouvernait sous l'étrange vocable de " commandant en chef civil et militaire " avec le concours des proconsuls nommés par Vichy, maintenait la fiction de son allégeance au maréchal Pétain en publiant dans un Journal officiel d'Afrique du Nord les décrets de celui-ci captés par la radio : par la grâce des Américains, le régime de Vichy survivait dans les territoires qu'ils avaient libérés et ses lois les plus odieuses, comme celles qui opprimaient les juifs, continuaient à y être appliquées. Cette étrange situation ne laissait pas de mécontenter les Français qui avaient risqué leur vie pour appuyer le débarquement américain. Elle étonnait les autres. De surcroît, les informations qui parvenaient de la France occupée témoignaient d'une hostilité croissante de l'opinion publique à une telle politique. Roosevelt ne l'ignorait pas. Après l'échec de l'entrevue d'Anfa entre de Gaulle et Giraud, les négociations continuèrent. Mais, le 23 février, le Comité national de Londres fit savoir que la condition indispensable à un accord était le rétablissement en Afrique du Nord de la légalité républicaine et la création d'une assemblée consultative susceptible de " fournir une expression aussi large que possible de la nation souffrante et militante ". Tandis que les conseils généraux des trois départements algériens adressaient, à l'ouverture de leur session, le 19 avril, leur hommage à de Gaulle, en France occupée, le Conseil national de la Résistance ne tarda pas à réclamer " l'installation rapide d'un gouvernement provisoire sous la présidence du général de Gaulle ". Les Américains et Giraud durent céder : le chef de la France libre débarqua à Alger le 30 mai et, le 3 juin, après d'ultimes et pénibles tractations, le Comité français de la libération nationale (CFLN) se constitua, avec les attributions d'un gouvernement provisoire, sous la double présidence des généraux de Gaulle et Giraud. Dès lors, la création d'une Assemblée consultative provisoire était dans la logique des choses. Le 17 septembre, l'Assemblée consultative était convoquée pour le 3 novembre. Le 3 octobre, le CFLN se dotait d'un président unique, de Gaulle, et cantonnait le général Giraud dans ses fonctions de commandant en chef. Au début de novembre, le Comité fut profondément remanié par le départ définitif du général Giraud et l'entrée de nombreux civils, mandatés par les divers mouvements de résistance ou parlementaires appartenant aux anciens partis politiques de droite et de gauche. Le mois d'octobre se passa à faire venir les représentants à l'Assemblée consultative. Ceux-ci étaient une centaine. Comme l'avait promis de Gaulle, " les représentants de la résistance nationale se trouvaient côte à côte avec les élus du peuple ", mais la proportion n'était pas égale. Les représentants de la Résistance métropolitaine étaient en principe quarante-neuf (en fait, ce chiffre ne fut jamais atteint parce que certains repartirent en mission pour la France occupée), auxquels il fallait ajouter vingt et un représentants de la résistance extra-métropolitaine. En face, les représentants du Sénat et de la Chambre des députés n'étaient que vingt, auxquels on avait ajouté douze délégués élus par les conseils généraux des départements et des colonies libérés. Les représentants de la résistance métropolitaine avaient été désignés par le Conseil national de la Résistance parmi les délégués de toutes les organisations qui le composaient. Ceux de la résistance extra-métropolitaine étaient choisis par les premiers. Les délégués du Sénat et de la Chambre des députés étaient élus par leurs pairs (les quatre-vingts sénateurs qui avaient refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, plus la douzaine de députés communistes qui avaient été déportés en Algérie) selon une proportionnelle respectant la répartition déterminée par les élections de 1936 (trois communistes, cinq socialistes, cinq radicaux et centre gauche, sept centre droit et droite). En fait, l'Assemblée était une émanation du Conseil national de la Résistance. Elle porta à sa présidence Félix Gouin et adopta un règlement calqué sur celui du Sénat. Cependant, elle n'était que consultative, et non législative : elle ne pouvait " interpeller " le gouvernement et le renverser en lui refusant sa confiance comme le faisaient les Assemblées de la IIIe République. De novembre 1943 à août 1944, l'Assemblée consultative tint une cinquantaine de séances. De Gaulle assista à une vingtaine, les membres du CFLN aux autres, selon leurs compétences respectives. Un commissaire d'Etat, André Philip, fut spécialement chargé de suivre les travaux de l'Assemblée et de ses commissions. Il y eut des débats passionnés sur les secours à envoyer aux maquis, sur le châtiment des collaborateurs, sur l'organisation des pouvoirs publics à la Libération : les témoins se souviennent des temps forts que marquèrent les interventions improvisées du général de Gaulle. Les débats étaient largement reproduits et librement discutés dans la presse d'Alger, qui comptait alors cinq quotidiens et onze périodiques. Les journaux anglais et américains faisaient une place de plus en plus large aux discussions d'Alger. Ainsi se modifia progressivement l'opinion, à l'origine très anti-gaulliste, de l'intelligentsia américaine. FRANCIS RAOUL Francis Raoul est préfet honoraire. Il était, avant la guerre, secrétaire législatif (administrateur) du Sénat Le Monde du 8 novembre 1993

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