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Article de presse: Le Pacte d'acier

Publié le 17/01/2022

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22 mai 1939 - Mussolini n'a jamais aimé Hitler. Et pourtant, la réciproque n'est pas vraie. Le Führer éprouvait pour le Duce une sorte d'admiration affectueuse qui ne l'empêcha nullement de lui jouer de mauvais tours lorsque son propre intérêt était en jeu. Les deux hommes se rencontrèrent pour la première fois le 14 juin 1934 au palais de Stra, près de Padoue. Par la suite, Mussolini protégea l'Autriche contre une annexion allemande (30 juin 1934), signa à Stresa, le 11 avril 1935, un pacte à trois contre l'Allemagne, avec la France et l'Angleterre, édulcoré d'ailleurs par cette dernière, déjà engagée dans la politique d' " appeasement ". Le virage s'amorça avec l'agression fasciste contre l'Ethiopie, où les livraisons allemandes annihilèrent les discrètes " sanctions économiques " de la Société des nations. En juillet 1936, la solidarité s'établit entre les deux pays, par le soutien commun à Franco dans la guerre d'Espagne. Mais l'événement décisif fut probablement l'avènement du Front populaire en France avec le gouvernement du socialiste Léon Blum. En octobre 1936, un vague accord d'amitié fut signé à Berchtesgaden par le comte Ciano, gendre de Mussolini, et celui-ci, qui aimait les phrases sonores, déclara : " Cette verticale Berlin-Rome n'est pas un diaphragme, mais un axe autour duquel peuvent s'unir tous les Etats européens. " L'Axe - le nom fit fortune - n'était pas une alliance. Dans l'esprit de Mussolini naissaient et se développaient l'irritation, la jalousie, la méfiance à l'égard d'un homme qui réussissait mieux que lui, avec une armée en plein essor, une puissante industrie, une population exacerbée par l'idée d'une revanche et stimulée par les souffrances de la crise économique. Au contraire, des profondeurs de l'Italie montait un puissant désir de paix que les " chemises noires " ne pouvaient surmonter. Mais Mussolini, malgré sa hargne, se trouvait comme envoûté. Il se prit à imiter Hitler. Que les troupes italiennes adoptassent alors le fameux " pas de parade ", dit en France " pas de l'oie ", prêtait seulement à rire. Que Mussolini se lançât dans le racisme et adoptât des mesures hostiles aux juifs apparaissait comme beaucoup plus grave, encore qu'elles n'aient jamais atteint l'horreur nazie. De l'Axe Rome-Berlin, comment en arriva-t-on, en deux ans et demi, à une alliance de nature exceptionnelle, qui s'affirmait elle-même différente des autres, offensive et défensive à la fois : le " Stahlpakt ", " Patto d'Acciaio ", " Pacte d'acier " du 22 mai 1939 ? Un " axe Rome-Berlin-Tokyo " La négociation fut compliquée à cause des avancées et des reculs d'un troisième larron, le Japon. Celui-ci apparaissait comme autoritaire, violemment anti-démocratique, anti-bolchevik, impérialiste et conquérant. Mais il n'était pas fasciste. Pas de chemises brunes ni de chemises noires, mais des groupes d'officiers ultra-nationalistes et fanatiques, qui d'ailleurs se disputaient âprement le pouvoir. Aussi l'idée apparaissait-elle d'un " Axe Rome-Berlin-Tokyo " (où le mot Axe devenait une sorte de thème abstrait). L'Allemagne et le Japon avaient signé le " pacte anti-Komintern ", le 25 novembre 1936. Par une subtilité affectée, il était dirigé non contre l'URSS, mais contre l'Internationale communiste. Quand on pense à la formidable dictature de Staline sur l'ensemble, on peut penser que les signataires songeaient essentiellement à prendre des précautions contre la puissance soviétique. " L'espace vital " Mussolini se rendait de plus en plus compte que l'Allemagne l'éliminerait de l'Europe centrale et qu'il ne pouvait plus protéger ses amis autrichiens. Il avait une consolation : la Méditerranée et, au-delà, l'Afrique. Hitler l'y poussait. Aussi le Duce décida-t-il de se rendre à Berlin, de prononcer un discours devant huit cent mille Berlinois : " Quand le fasciste a un ami, il marchera avec cet ami jusqu'au bout " (septembre 1937). Puis, le 6 novembre, il signa l'adhésion de l'Italie au pacte anti-Komintern, et il laissa entendre au ministre allemand des affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop, qu'il se désintéressait de l'Autriche. Hitler en profita avec joie, et, sans prévenir son partenaire, envoya ses troupes en Autriche et réalisa l'Anschluss. L'initiative d'une alliance venait des Nippons. D'octobre 1938 à la fin d'avril 1939, les négociations s'étaient poursuivies sous la forme " triangulaire ". Le Japon voulait bien une alliance qui l'aiderait à poursuivre la conquête de la Chine, qu'il avait entreprise en juillet 1937. Il tenait à ce qu'il fût précisé que la nouvelle alliance ne serait pas dirigée contre la France, l'Angleterre ou les Etats-Unis. Il refusait également de promettre toute contribution à une guerre, à l'exception de celle qui serait dirigée contre l'URSS, que le Japon combattait alors localement, entre Mongolie et Mandchourie. Cela ne correspondait nullement aux ambitions de Hitler et de Mussolini. Avant de conquérir son fameux Lebensraum, " l'espace vital ", il avait, dans son livre-programme Mein Kampf, décidé qu'il fallait d'abord écraser l'ennemi héréditaire, la France. Par ailleurs, Hitler savait déjà que Staline songeait à un rapprochement secret avec l'Allemagne nazie. Ce n'était pas le moment de soutenir le Japon contre l'URSS. Mettre l'Italie, emportée par la vaine gloriole mussolinienne, dans l'obligation de participer à toute agression de la Wehrmacht, telle serait la meilleure solution possible. Hitler ne bluffait pas. Mussolini s'était en quelque sorte consolé des coups de force de Hitler en réalisant le sien, au détriment de la malheureuse Albanie (7 avril 1939). Mais il savait bien que son armée n'était pas prête, que son industrie de guerre n'atteignait pas le niveau requis. Il comptait sur l'alliance totale de l'Allemagne pour être protégé et maintenir la paix. Le prestige, la vanité, l'effet produit, l'illusion créée, nécessitaient la paix. Alliance offensive L'ultime souci des gouvernants italiens fut d'inclure - au moins par une déclaration parallèle des Allemands - la promesse que la frontière entre les deux pays resterait fixée au fameux col du Brenner, c'est-à-dire que Hitler ne chercherait pas à annexer le Haut-Adige, ou Sud-Tyrol, en majorité de langue allemande. Le traité fut signé le 22 mai 1939 à Berlin par le comte Ciano et Joachim von Ribbentrop (qui reçut à l'occasion le " collier de l'Annonciade ", au grand déplaisir de Goering, qui ambitionnait tous les hochets de la gloire). A Berlin, aucun enthousiasme populaire. Sur la Wilhelmplatz, on ne voyait que des étudiants, dont certains se moquaient ouvertement des Italiens. Le traité comprenait un préambule évoquant l'amitié éternelle et la solidarité entre les deux pays, désireux d' " assurer leur espace vital ". L'essentiel était l'article 3 : " Si, malgré les désirs et les espérances des parties contractantes, il devait arriver qu'une des deux parties entre dans ses complications guerrières contre une ou plusieurs autres puissances, l'autre partie contractante se porterait immédiatement comme alliée à ses côtés et la soutiendrait avec toutes ses forces militaires sur terre, sur mer et dans les airs. " Il s'agissait donc bien de ce système, depuis longtemps tombé en désuétude, qu'on appelle Alliance offensive. Ce traité singulier, conclu entre deux puissances inégales, aboutit, pour l'Italie, à des résultats sinistres : le malheur d'un peuple entraîné malgré lui dans la guerre. Pour Mussolini, ce sera l'humiliation, sans cesse plus accentuée : quand Hitler attaqua la Pologne, le 1er septembre, le Duce, prévenu, à sa grande stupeur, quelques jours auparavant, se trouva dans l'impossibilité de participer au conflit comme l'exigeait l'accord offensif. Par fidélité au Pacte, et à ce qui restait de sa propre image, il frappa la France d'un coup de poignard dans le dos le 10 juin 1940. Malgré ses généraux, pour imiter Hitler, il attaqua la Grèce en octobre 1940, et ce sont les Grecs qui envahirent l'Albanie. Seul Hitler put le sauver, en avril 1941. Le Führer le sauva encore en Libye, par l'envoi de l'Afrika-korps, commandé par le général Rommel. De plus en plus, l'Italie, qui avait perdu sa colonie d'Afrique orientale, se trouva soumise à Hitler. Après la perte totale de la Libye et de la Tunisie, au printemps 1943, le Duce fut chassé du pouvoir le 25 juillet. Emprisonné au Gran-Sasso, il fut délivré par un détachement de SS il créa un Etat fantoche, la République fasciste italienne, dont le centre était situé à Salo, sur le lac de Garde. Il en résultera l'écrasement et la mort. Il fut tué par les partisans le 28 avril 1945, deux jours avant la mort de Hitler dans son blockhaus de Berlin. JEAN-BAPTISTE DUROSELLE Le Monde du 22 mai 1989

« gloriole mussolinienne, dans l'obligation de participer à toute agression de la Wehrmacht, telle serait la meilleure solution possible.Hitler ne bluffait pas. Mussolini s'était en quelque sorte consolé des coups de force de Hitler en réalisant le sien, au détriment de la malheureuseAlbanie (7 avril 1939).

Mais il savait bien que son armée n'était pas prête, que son industrie de guerre n'atteignait pas le niveaurequis.

Il comptait sur l'alliance totale de l'Allemagne pour être protégé et maintenir la paix.

Le prestige, la vanité, l'effet produit,l'illusion créée, nécessitaient la paix. Alliance offensive L'ultime souci des gouvernants italiens fut d'inclure - au moins par une déclaration parallèle des Allemands - la promesse que lafrontière entre les deux pays resterait fixée au fameux col du Brenner, c'est-à-dire que Hitler ne chercherait pas à annexer leHaut-Adige, ou Sud-Tyrol, en majorité de langue allemande. Le traité fut signé le 22 mai 1939 à Berlin par le comte Ciano et Joachim von Ribbentrop (qui reçut à l'occasion le " collier del'Annonciade ", au grand déplaisir de Goering, qui ambitionnait tous les hochets de la gloire).

A Berlin, aucun enthousiasmepopulaire.

Sur la Wilhelmplatz, on ne voyait que des étudiants, dont certains se moquaient ouvertement des Italiens.

Le traitécomprenait un préambule évoquant l'amitié éternelle et la solidarité entre les deux pays, désireux d' " assurer leur espace vital ". L'essentiel était l'article 3 : " Si, malgré les désirs et les espérances des parties contractantes, il devait arriver qu'une des deuxparties entre dans ses complications guerrières contre une ou plusieurs autres puissances, l'autre partie contractante se porteraitimmédiatement comme alliée à ses côtés et la soutiendrait avec toutes ses forces militaires sur terre, sur mer et dans les airs.

" Ils'agissait donc bien de ce système, depuis longtemps tombé en désuétude, qu'on appelle Alliance offensive. Ce traité singulier, conclu entre deux puissances inégales, aboutit, pour l'Italie, à des résultats sinistres : le malheur d'un peupleentraîné malgré lui dans la guerre.

Pour Mussolini, ce sera l'humiliation, sans cesse plus accentuée : quand Hitler attaqua laPologne, le 1 er septembre, le Duce, prévenu, à sa grande stupeur, quelques jours auparavant, se trouva dans l'impossibilité de participer au conflit comme l'exigeait l'accord offensif.

Par fidélité au Pacte, et à ce qui restait de sa propre image, il frappa laFrance d'un coup de poignard dans le dos le 10 juin 1940.

Malgré ses généraux, pour imiter Hitler, il attaqua la Grèce en octobre1940, et ce sont les Grecs qui envahirent l'Albanie.

Seul Hitler put le sauver, en avril 1941.

Le Führer le sauva encore en Libye,par l'envoi de l'Afrika-korps, commandé par le général Rommel.

De plus en plus, l'Italie, qui avait perdu sa colonie d'Afriqueorientale, se trouva soumise à Hitler.

Après la perte totale de la Libye et de la Tunisie, au printemps 1943, le Duce fut chassé dupouvoir le 25 juillet.

Emprisonné au Gran-Sasso, il fut délivré par un détachement de SS il créa un Etat fantoche, la Républiquefasciste italienne, dont le centre était situé à Salo, sur le lac de Garde.

Il en résultera l'écrasement et la mort.

Il fut tué par lespartisans le 28 avril 1945, deux jours avant la mort de Hitler dans son blockhaus de Berlin. JEAN-BAPTISTE DUROSELLE Le Monde du 22 mai 1989. »

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