Devoir de Philosophie

Article de presse: Le phénomène Thatcher

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

9 juin 1983 - A la veille des élections, Daniel Vernet analyse la personnalité et l'action de Margaret Thatcher. Paradoxalement, le Parti conservateur a été pris de court par la décision de provoquer des élections anticipées le 9 juin 1983. Son programme électoral n'était pas tout à fait prêt. Peu importe à vrai dire. Le meilleur drapeau électoral des Tories porte un nom: Margaret Thatcher. En 1979 déjà, la campagne avait pris un tour présidentiel très marqué, bien que la triomphatrice d'alors ait été moins populaire que son adversaire, James Callaghan. Les Britanniques n'apprécient pas outre mesure une personnalisation trop poussée du débat politique et aiment à penser qu'il se décide sur des programmes. Ces considérations tempèrent un peu l'affirmation initiale; elles ne contredisent pas l'apparition d'une innovation dans la vie de la Grande-Bretagne: le " phénomène Thatcher ". M. de La Palice l'aurait dit : Margaret Thatcher est d'abord une femme, et une femme courageuse. C'est pourquoi elle force l'admiration. Sa personne, sa vision de la politique et ses résultats : voilà les arguments par lesquels les conservateurs vont essayer de convaincre une majorité d'électeurs de les maintenir au pouvoir. Sans oublier la crise des Malouines, qui a porté la popularité de la " dame de fer " à son zénith. Margaret Thatcher doit une fière chandelle aux généraux argentins, à leur aventurisme et à leur aveuglement. Contre l'attente des observateurs et l'avis des principaux dirigeants de son parti, elle a décidé de se battre jusqu'au bout, et elle a gagné. " l'esprit de l'Atlantique sud " La fierté d'avoir reconquis une des dernières poussières de l'empire a nourri un nationalisme feutré. Mais Margaret Thatcher n'en joue que modérément. Elle ne veut pas s'exposer au reproche d'utiliser à des fins partisanes une épopée qui appartient à la nation tout entière. Elle se contente de rappeler que les Britanniques sont capables d'exploits, et pas seulement dans le domaine militaire : " L'esprit de l'Atlantique sud " n'est-il pas " l'esprit britannique dans ce qu'il a de meilleur "? L'expédition des Malouines n'a pas servi à jeter un voile pudique sur d'autres aspects moins reluisants de la politique thatchérienne. Le premier ministre avait vu sa popularité-en baisse inquiétante à la fin de 1980-remonter au début du printemps de l'année suivante, quand les premiers fruits d'une stratégie économique rigoureuse commencèrent à apparaître. Elle est bien consciente que sa politique ne plaît pas à tout le monde, mais " il existe un accord général des gens sur un point : ce que fait le gouvernement est fondamentalement juste, et il fallait le faire ". Car Margaret Thatcher ne travaille pas pour une législature ni même deux. La baisse de l'inflation et des taux d'intérêt, la réduction des dépenses publiques, la hausse de la productivité-et l'augmentation du chômage-qui ont dominé son premier mandat, ne sauraient résumer sa politique. Margaret Thatcher ne s'intéresse pas seulement à l'intendance; elle est animée d'une ambition plus large et se sent investie d'une mission historique. En arrivant au 10 Downing Street, en mai 1979, elle disait : " La mission de ce gouvernement va plus loin que la mise en oeuvre du progrès économique. Elle vise à renouer avec l'esprit et la solidarité de la nation ", et d'en appeler à saint François d'Assise, l'apôtre de l'harmonie, de la paix, de la vérité. " Tout le monde a été, est ou sera gaulliste. " Clin d'oeil de l'histoire, même les Anglais, qui n'ont jamais débordé de tendresse pour le général, confirment le célèbre aphorisme en se flattant de le devenir. Fermeté sur les principes et continuité dans leur mise en oeuvre, sens de l'histoire et de la patrie, défense des intérêts nationaux fondent la parenté entre l'homme du 18 juin et la Jeanne d'Arc de Port-Stanley. Margaret Thatcher serait-elle donc un de Gaulle en jupons? A juste titre, ses partisans trouvent valorisante une comparaison qui va d'ailleurs au-delà des principes généraux. Margaret Thatcher défend avec acharnement les intérêts britanniques dans la Communauté européenne sans crainte de se rendre odieuse à ses partenaires et s'oppose à la règle de la majorité. Elle reste inflexible sur l'existence d'une force de dissuasion purement britannique, même si l'intégration de celle-ci dans l'OTAN en limite singulièrement l'indépendance. Pendant la crise des Malouines, elle n'a pas hésité à mettre à l'épreuve ses relations avec le président des Etats-Unis pour imposer une cause qu'elle croyait juste. Si elle sait écouter ses conseillers, c'est seule qu'elle prend ses décisions. Et jusqu'à un certain sens théâtral de la mise en scène politique la rapproche du général. Sans doute " Maggie " est-elle gaulliste comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir. Mais le " phénomène Thatcher " a un impact sociologique qui n'est pas sans rappeler celui du gaullisme. Dans un système politique largement dominé par les partis, le premier ministre, qui, dans la tradition, n'est que le primus inter pares, a su créer un lien direct avec l'opinion, une nouvelle manière de lui parler. Elle ne s'adresse pas seulement à la clientèle traditionnelle du Parti conservateur. Elle veut ignorer les différences de classe et elle a su attirer une partie de la classe ouvrière qui votait traditionnellement pour les travaillistes. S'il lui reste fidèle, c'est cet électorat populaire qui assurera, comme en 1979, sa victoire aux prochaines élections. " Valeurs victoriennes valeurs éternelles " Margaret Thatcher n'est pas seulement, comme la dépeignent parfois certains caricaturistes, le représentant de la moyenne bourgeoisie des petits boutiquiers, même si celle-ci se reconnaît mieux en elle qu'en Michael Foot, l'éternel étudiant " gauchiste ". Les trois millions de chômeurs pèsent moins lourd, dans une partie de la classe ouvrière elle-même, que le respect de soi rendu à la Grande-Bretagne. Le premier ministre a provoqué une prise de conscience, peut-être limitée, que " les choses ne pouvaient plus continuer comme avant ", et qu'il y avait un prix à payer pour que la Grande-Bretagne renoue avec sa splendeur. Sa famille, sa jeunesse, son éducation-elle rappelle volontiers que son père était un petit épicier de province qui prêchait le dimanche à l'église méthodiste-la plaçaient de plain-pied avec cet électorat populaire. " Si le Parti conservateur était le parti des privilégiés, qu'aurais-je à y faire? ", affirme-t-elle contre ses collègues de l'establishment au paternalisme patelin. Son prédécesseur conservateur, Edward Heath, devenu entre-temps un parangon de libéralisme, était aussi d'origine modeste. Comme elle, il se proposait de guérir le " mal anglais ", de mettre un terme au consensus " progressiste " et d'amorcer la " désocialisation " de la Grande-Bretagne. Il a été obligé de composer, avant d'être battu. Margaret Thatcher, elle, reste ferme sur les principes. Elle n'ignore pas les contingences, elle les utilise à son profit. Encore un trait gaullien. Elle n'a pas toutefois les envolées lyriques de de Gaulle, et sa conception de l'histoire peut apparaître rabougrie par rapport au grand dessein du général. Ses modèles, elle va les chercher dans le passé: " J'ai été élevée par une grand-mère victorienne. On nous a appris à travailler dur, à faire nos preuves, à nous suffire à nous-mêmes, à vivre de ce que nous avions, a-t-elle récemment confié dans une interview. On nous a appris que la propriété était proche de la piété. On nous a appris le respect de nous-mêmes et des autres, à tendre la main à notre prochain. On nous a enseigné une immense fierté de notre pays... Toutes ces valeurs sont des valeurs victoriennes. Ce sont aussi des valeurs éternelles. " DANIEL VERNET Le Monde du 15-16 mai 1983

« reste fidèle, c'est cet électorat populaire qui assurera, comme en 1979, sa victoire aux prochaines élections. " Valeurs victoriennes valeurs éternelles " Margaret Thatcher n'est pas seulement, comme la dépeignent parfois certains caricaturistes, le représentant de la moyennebourgeoisie des petits boutiquiers, même si celle-ci se reconnaît mieux en elle qu'en Michael Foot, l'éternel étudiant " gauchiste ".Les trois millions de chômeurs pèsent moins lourd, dans une partie de la classe ouvrière elle-même, que le respect de soi rendu àla Grande-Bretagne.

Le premier ministre a provoqué une prise de conscience, peut-être limitée, que " les choses ne pouvaientplus continuer comme avant ", et qu'il y avait un prix à payer pour que la Grande-Bretagne renoue avec sa splendeur. Sa famille, sa jeunesse, son éducation-elle rappelle volontiers que son père était un petit épicier de province qui prêchait ledimanche à l'église méthodiste-la plaçaient de plain-pied avec cet électorat populaire.

" Si le Parti conservateur était le parti desprivilégiés, qu'aurais-je à y faire? ", affirme-t-elle contre ses collègues de l'establishment au paternalisme patelin. Son prédécesseur conservateur, Edward Heath, devenu entre-temps un parangon de libéralisme, était aussi d'origine modeste.Comme elle, il se proposait de guérir le " mal anglais ", de mettre un terme au consensus " progressiste " et d'amorcer la" désocialisation " de la Grande-Bretagne.

Il a été obligé de composer, avant d'être battu. Margaret Thatcher, elle, reste ferme sur les principes.

Elle n'ignore pas les contingences, elle les utilise à son profit.

Encore untrait gaullien. Elle n'a pas toutefois les envolées lyriques de de Gaulle, et sa conception de l'histoire peut apparaître rabougrie par rapport augrand dessein du général.

Ses modèles, elle va les chercher dans le passé: " J'ai été élevée par une grand-mère victorienne.

Onnous a appris à travailler dur, à faire nos preuves, à nous suffire à nous-mêmes, à vivre de ce que nous avions, a-t-elle récemmentconfié dans une interview.

On nous a appris que la propriété était proche de la piété.

On nous a appris le respect de nous-mêmeset des autres, à tendre la main à notre prochain.

On nous a enseigné une immense fierté de notre pays...

Toutes ces valeurs sontdes valeurs victoriennes.

Ce sont aussi des valeurs éternelles.

" DANIEL VERNET Le Monde du 15-16 mai 1983. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles