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Article de presse: Les Champs-Elysées en bleu, blanc, rouge

Publié le 17/01/2022

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30 mai 1968 - Dès le milieu de l'après-midi de jeudi, dans les environs de la place de la Concorde, les premiers drapeaux tricolores apparaissent, tandis que des tracts invitant à la manifestation et en expliquant les raisons étaient lancés. On y lisait en substance qu'au-delà des appartenances politiques " tous les Français " étaient appelés à exprimer par leur présence qu'ils étaient de ceux qui " refusent l'anarchie et veulent assurer le renouveau dans le maintien de la légalité ". Vers 17 heures, les premiers groupes se constituent place de la Concorde, occupant les alentours de l'Obélisque et des fontaines, ainsi que l'entrée de l'avenue des Champs-Elysées. Ce n'est qu'une demi-heure plus tard que le rassemblement prend sa véritable ampleur : des rues de Rivoli et Royale, d'une part, du pont de la Concorde, d'autre part, les manifestants arrivent par vagues et envahissent la place, qui déjà à ce moment est occupée presque entièrement. Les drapeaux tricolores, dont les manifestants vont avec passion faire leur emblème, sont de plus en plus nombreux. Déjà il en a été fixé au sommet des deux fontaines. Il en est réclamé à grands cris aux façades de l'hôtel Crillon et de l'Automobile Club de France comme, ensuite, d'une manière générale, il en sera réclamé avec véhémence aux personnes qui, des immeubles des Champs-Elysées, regarderont défiler le cortège. Cette foule, qui est-elle ? Il y a des anciens combattants, bien sûr, que l'on remarque d'abord à leurs décorations arborées, quelquefois à leur uniforme revêtu pour la circonstance; mais aussi des anciens d'Indochine ou d'Algérie, des anciens résistants. On remarque même quelques brassards FFI. Et puis encore un mélange de gens de tous âges, aux opinions politiques assurément diverses d'après leurs conversations, mais qui ne cachent pas être venus ici moins pour la défense d'un homme que pour une riposte aux manifestations précédentes. Mais il y a aussi, çà et là, des hommes qui portent le béret rouge des parachutistes qu'ils furent, quelquefois même qui ont revêtu la tenue " léopard "... De même, en civil, on a pu reconnaître des officiers d'active. Beaucoup aussi de femmes élégantes qui, émues et palpitantes, raccrochent leur enthousiasme patriotique aux ultimes paroles de la Marseille. Pourtant, ce qui frappe le plus, c'est le nombre impressionnant de jeunes gens, garçons et filles. Ce seront eux les plus turbulents et d'une certaine manière les plus passionnés. Surpris et ravis, des bords des trottoirs, des adultes iront même jusqu'à les applaudir le plus fort. En tête de ce cortège parti lentement des chevaux de Marly se tiennent de front, bras dessus, bras dessous, de nombreux ministres, MM. Debré, Malraux, Joxe, Missoffe, Maurice Schumann, Billotte, Michelet, Duvillard, notamment, ainsi que M. Marcellin, ministre délégué, qui, accompagné de MM. Chamant et Bettencourt, conduit la délégation des Républicains indépendants. Au hasard de leur arrivée dans le parcours, ont pris place également dans les rangs de nombreuses personnalités gaullistes, parlementaires ou non, notamment MM. Robert Poujade, Sanguinetti, Peyrefitte, Chaban-Delmas, Bourges, Philippe Dechartre, Foccart. On remarque aussi la présence de M. François Mauriac. " De Gaulle n'est pas seul " Prévue initialement silencieuse, la manifestation ne devait évidemment pas l'être, surtout après le bref discours, à 16 h 30, du président de la République, dont les gens rassemblés connaissaient la teneur et le ton. Aussi bien, dès le rassemblement à la Concorde, commencèrent à fuser les slogans, établis, tant dans les termes que dans les cadences, pour être des répliques à ceux des manifestations qui depuis quinze jours se sont succédé à Paris. Parmi ceux les plus souvent repris et dont la foule finira par faire ses leitmotive : " de Gaulle n'est pas seul ! ", " Le communisme ne passera pas ! ", " Le drapeau, c'est bleu-blanc-rouge ! ", " La France aux Français ! ", " Les Français avec nous ! ", " Liberté du travail ! " Et puis aussi, sur notes de comptine ironique : " Mitterrand, c'est raté ! ", ou, sur l'air des stades : " Allez, de Gaulle ! " Il y eut pourtant plus vif, plus hargneux, sinon haineux : " Cohn-Bendit en Allemagne ! ", " Le rouquin à Pékin ! ", " Vidangez la Sorbonne ! ", " Cocos au poteau ! ", " Les cocos à Moscou ! ", et même un très choquant et inadmissible " Cohn-Bendit à Dachau ! " A cela s'ajoutaient les formules inscrites sur les banderoles, les calicots et les pancartes : " Evolution sans révolution ! ", " Liberté du travail ! ", " Non à la dictature d'une minorité ! ", " Pour la liberté du prolétariat, à bas le marxisme ! ", et des centaines de : " Assez de violences ! " D'autres banderoles annonçaient l'origine des groupes qui se succédaient : les CDR (comités de défense de la République) de Paris, de banlieue, mais aussi de province. Pendant deux heures, la marche se poursuit. En la suivant on relève des détails : M. Debré, à hauteur du Lido, scandant avec vaillance : " Mitterrand au Lido ! ", l'apparition, dans la forêt des drapeaux français, de quelques emblèmes des Etats-Unis d'Amérique. Beaucoup de gens ont adopté pour salut le V des journées de 1945. V qui se retrouve sur le blanc de nombreux drapeaux où il sertit la croix de Lorraine. A 19 heures, alors que depuis une demi-heure le circuit radio-téléphone-interrompu après la dernière nuit des barricades-a été rétabli pour les postes radiophoniques, la tête du cortège est proche de la place de l'Etoile. M. Duvillard, ministre des anciens combattants, s'en est détaché pour venir, en compagnie de M. Chaban-Delmas, président de l'Assemblée nationale, ranimer sous l'Arc de triomphe cerné par la foule la flamme au tombeau du Soldat inconnu. La Marseillaise est chantée. A 21 heures, la manifestation proprement dite se termine. En fait, si le plus grand nombre des participants rentrent chez eux, les rues de tout le centre de Paris et même de la rive gauche vont connaître jusqu'à près de 3 heures du matin une animation qui n'est pas sans rappeler à la fois le 13 mai 1958 et la Saint-Sylvestre. Ce seront, dans des concerts d'avertisseurs, des passages de voitures incessants avec drapeaux tricolores au vent. Le Monde du 1er juin 1968

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