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ARTICLE DE PRESSE: Plan Barbarossa : quatre semaines pour vaincre

Publié le 22/02/2012

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22 juin 1941 - L'idée de faire la guerre à l'URSS était déjà dans Mein Kampf : " Si l'on veut de la terre et du sol, cela ne peut se faire qu'aux dépens de la Russie : alors le nouveau Reich doit se mettre à nouveau en marche le long de la route des chevaliers Teutoniques pour donner, avec l'épée allemande, un sillon à la charrue allemande, et, à la nation, son pain quotidien ". Longtemps, pourtant, Staline n'avait pas pris Hitler au sérieux : les sociaux-démocrates, les " sociaux-traîtres ", étaient à ses yeux plus dangereux que les nazis. Après la chute de Varsovie, il n'hésita pas à célébrer l'amitié germano-soviétique " scellée dans la sang " et à faire féliciter Hitler pour la prise de Paris. Lui, pendant ce temps, achevait de mettre la main sur les Etats baltes et arrondissait, aux dépens de la Roumanie, la sphère d'influence qu'il s'était fait reconnaître par les accords de 1939. Hitler alors fut déçu de voir Londres rester sourd à ses appels à une paix de compromis, déclarant à ses généraux, le 30 juillet 1940 : " Si nous écrasons la Russie, la dernière planche de salut de l'Angleterre sombre avec elle ... Elle doit donc être liquidée ". A la fin de 1940, il rédigeait la " directive n° 21 " donnant ordre à la Wehrmacht de l' " écraser en une brève campagne " dont la date de déclenchement allait être fixée au 15 mai 1941. Ce sera l' " opération Barberousse ", ainsi baptisée d'après le surnom de l'empereur médiéval Frédéric Ier de Hohenstaufen, dont la légende voulait qu'il fût endormi quelque part en Thuringe jusqu'au jour où il ressusciterait pour rendre à l'Allemagne toute sa gloire passée. L'adhésion, suivie de son occupation par la Wehrmacht, de la Roumanie au pacte tripartite germano-italo-japonais (ex-pacte " anti-Komintern " ) allait certes susciter de sérieuses inquiétudes au Kremlin, mais celui-ci, paradoxalement, se rassura lorsque cette opération fut répétée, quelques semaines plus tard, en Bulgarie, Berlin affirmant qu'elle n'avait d'autre objet que d'empêcher une intervention des Britanniques en Grèce, où l'agression italienne déclenchée en octobre 1940, marquait le pas. Hitler était effectivement déterminé à prêter main forte sur ce front à son ami Mussolini, qui avait surestimé l'ardeur de ses troupes. Il ne se doutait pas qu'il allait compromettre ainsi ses chances de vaincre l'URSS. Pour frapper la Grèce, il lui fallait en effet traverser la Yougoslavie. Convoqué en catastrophe de Belgrade à Berchtesgaden selon une méthode éprouvée, le prince-régent Paul accepta certes tout ce qui lui était demandé. Mais un groupe d'officiers le déposa purement et simplement le 26 mars 1941 et, avec la caution du jeune roi Pierre II, alors âgé de dix-huit ans, dénonça les accords passés avec le Reich. Le Führer, fou furieux, déclara à ses généraux : " Il n'y aura ni pourparlers diplomatiques ni présentation d'ultimatum : La Yougoslavie sera écrasée avec une rigueur impitoyable... " Et, du coup, il reporta de quatre semaines, qui allaient devenir cinq, l'assaut contre l'URSS, donnant ainsi toutes ses chances à celui qui, après avoir vaincu Napoléon, allait le vaincre à son tour : le général Hiver. L'incrédulité de Staline Quelques jours plus tard, Churchill adressait à Staline le message suivant : " J'ai reçu d'un agent de confiance le renseignement certain que, lorsque les Allemands crurent tenir la Yougoslavie dans leurs filets, ils commencèrent à transférer trois des cinq divisions blindées de Roumanie en Pologne méridionale. Dès qu'ils apprirent la révolution serbe, ils décommandèrent ce mouvement. Votre Excellence appréciera sans peine la signification de ces faits. " Ces " faits " n'étaient pas isolés. C'est tous les jours que Staline trouvait sur sa table des rapports de ses diplomates, de ses services de renseignement ou de gouvernements étrangers faisant état des préparatifs allemands : on ne concentre pas sans se faire remarquer 153 divisions, pour ne pas parler des unités finlandaises, roumaines, slovaques, hongroises et espagnoles, avec 600 000 véhicules, 3 680 blindés, 7 184 pièces d'artillerie et 2 740 avions. A elle seule, la multiplication des violations de l'espace aérien soviétique aurait dû suffire à mettre la puce à l'oreille du plus distrait. Le commandement de l'armée rouge s'inquiétait d'ailleurs de plus en plus, et un certain nombre de mesures de précaution furent prises sur son initiative. Staline se posait certes des questions : à preuve le fait qu'il ait pris lui-même, le 6 mai, la direction du gouvernement. Mais ce qu'il redoutait en réalité, c'était une " provocation ". Churchill, dont il n'avait jamais oublié l'attitude très favorable, en 1919, à l'intervention alliée dans la guerre civile russe, n'avait-il pas tout intérêt à jeter l'Allemagne contre l'URSS ? Toujours est-il que pour le Géorgien, rien n'était plus important, dans ce climat, que de se monter aimable envers Hitler. Il accepta soudain un projet de délimitation de la frontière lituanienne qu'il avait longtemps refusé. Il déclara publiquement à l'ambassadeur d'Allemagne et à son attaché militaire : " Nous devons rester amis, vous devez désormais tout faire en ce sens ... Nous resterons vos amis contre vents et marées ... " Le 13 juin encore, l'agence Tass publiait un communiqué faisant état de " l'absurdité manifeste " (sic) des rumeurs sur l'imminence d'une guerre germano-soviétique, rumeurs attribuées " à une grossière manoeuvre de propagande des forces coalisées contre l'Union soviétique et l'Allemagne ". Et, surtout, il accéléra les livraisons de pétrole et de blé à destination du Reich. Peine perdue. Un dernier train, chargé à craquer, traversera la ligne de démarcation, à minuit, dans la nuit du 21 au 22 juin. A 3 h 45, c'est l'apocalypse, au jour exact annoncé huit jours plus tôt, de Tokyo, par l'agent soviétique Sorge. Staline, pendant plusieurs heures, s'obstina à croire qu'il s'agissait d'une provocation. II interdit à ses troupes d'y répondre, comme à ses avions de prendre l'air. Ce n'est que le soir que les commandants de front furent autorisés à lancer des contre-offensives, alors que les énormes pertes subies du fait de ces consignes suicidaires les avaient déjà rendues impossibles. Effondré, le futur maréchal se terra pendant des jours, laissant Molotov appeler ses concitoyens à lutter contre l'envahisseur. Ils ignoraient l'un et l'autre que Hitler avait invité ses troupes à ne pas respecter les lois de la guerre et que des commandos spéciaux allaient être chargés, immédiatement derrière les combattants, de liquider juifs et communistes. L'URSS mettra très longtemps à se relever du choc initial, et Staline cherchera un moment, par l'intermédiaire de Beria et de la Bulgarie, puis par celui d'Alexandra Kollontaï, son ambassadrice à Stockholm, à conclure une paix de compromis avec Berlin. Vingt millions de morts C'est que sa victoire finale était rien moins qu'acquise. Il a fallu, pour la rendre possible, d'abord, bien sûr, le formidable courage manifesté par un peuple qui allait perdre près de vingt millions des siens dès lors qu'il fut clair qu'il se battait non pour une idéologie mais pour le sol même de la patrie, face à un envahisseur aux yeux de qui slave était un autre mot pour esclave l'aide massive des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne le retard déjà signalé pris, du fait du coup l'Etat yougoslave, dans le déclenchement de l'opération Barberousse et enfin la présomption de Hitler qui croyait venir à bout de son ennemi en quatre semaines et n'avait donc prévu pour ses troupes aucun équipement d'hiver. Mais sa plus grande erreur fut peut-être d'avoir imposé à ses généraux, qui ne rêvaient que de marcher sur Moscou, une double offensive sur les ailes de leur dispositif, en direction des deux villes dont les noms lui paraissaient symboliser le mieux le régime qu'il voulait abattre : Stalingrad et Leningrad. ANDRE FONTAINE Le Monde du 24 juin 1991

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