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Article de presse: Une nuit sanglante

Publié le 17/01/2022

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17 octobre 1961 - Le 17 octobre 1961, la Fédération de France du Front de libération nationale algérien organisait à Paris un vaste rassemblement. Son but officiel était d'obtenir la cessation du couvre-feu imposé aux Maghrébins en réplique aux attentats, mais aussi d'exercer une pression pour que cessent les hostilités et soit reconnue l'indépendance de l'Algérie. Ce mardi-là, entre 18 heures et 23 heures, plusieurs dizaines de milliers d'Algériens (sans doute trente mille), hommes, femmes et enfants, vinrent manifester dans les principaux quartiers de la capitale, à l'Etoile, au quartier Latin et à l'Opéra notamment. Cependant, le dispositif policier mis en place sur l'ordre du ministre de l'intérieur et du préfet de police d'alors, respectivement Roger Frey et Maurice Papon, interdit le déroulement de la manifestation (1). Le lendemain, des chiffres officiels sont publiés, faisant état de onze mille cinq cent trente-huit arrestations, de deux morts et soixante-quatre blessés chez les Algériens, de treize blessés parmi les forces de l'ordre et d'un mort parmi les passants métropolitains (2) Il apparut très vite que ces statistiques officielles étaient, pour ce qui concerne les Algériens, largement mensongères. Ou bien silencieuses sur les conditions dans lesquelles avaient eu lieu les arrestations, puis les regroupements au Palais des sports et au stade Pierre-de-Coubertin, puis au Parc des expositions de la porte de Versailles. Bien que le lendemain, 18 octobre, Roger Frey eut fourni des explications lénifiantes à l'Assemblée nationale, des témoignages, peu contestables sur le fond, établirent que les arrestations avaient été opérées avec une extrême brutalité. Du Figaro à l'Humanité, l'ensemble de la presse dépeint les violences commises sciemment par les forces de police alors que les manifestants ne faisaient montre d'aucune résistance. Le 27 octobre, Maurice Papon dépose devant le Conseil municipal de Paris, mais il s'explique moins sur les sévices qu'il ne justifie les nécessités du maintien de l'ordre. Un débat à l'Assemblée nationale, le 30 octobre, lors de la discussion du budget de l'intérieur, n'apporte pas plus d'informations malgré la courageuse intervention d'Eugène Claudius-Petit (groupe de l'Entente démocratique). Pourtant, il devient de plus en plus clair que les forces de l'ordre ne se sont pas bornées à frapper, mais que des meurtres ont été commis, notamment par noyade, des Algériens interpellés étant jetés à la Seine. En effet, une soixantaine d'informations judiciaires ont dû être ouvertes par le parquet, correspondant à autant de cadavres repêchés dans la Seine ou découverts dans les fourrés des bois de la région parisienne. Sept juges d'instruction sont désignés. Ces procédures n'aboutirent jamais, mais, sur le moment, elles eurent l'avantage pour le gouvernement de rendre impossible le fonctionnement de la commission d'enquête dont la constitution avait été demandée le 31 octobre par Gaston Defferre, alors sénateur, et à laquelle avait consenti Roger Frey. PHILIPPE BOUCHER Le Monde du 18 octobre 1981

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