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Aspects de la culture Jean GUÉHENNO - Texte seul

Publié le 24/03/2020

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culture

Aspects de la culture

Jean GUÉHENNO

1890 - 1978

Sur le chemin des hommes (1959)

Tout ce qu’on fait à l’école n’est qu’exercices. Exercices désintéressés et bien utiles. On n’a chance de former des esprits justes qu’en les dépaysant, en les arrachant au monde de passions et d’intérêts dans lequel ils sont pris. Ce qui fait l’atmosphère d’une classe si pure, c’est que le maître ignore et s’applique à ignorer que tels de ses élèves sont riches, tels autres pauvres, que celui-ci est le fils d’un général, celui-là le fils d’un cordonnier, et les invite tous, quels qu’ils soient, sans souci quelle les gêne à contempler la même vérité.

Mais il ne s’ensuit pas que tous ces travaux des enfants à l’ombre de l’école ne doivent les préparer à vivre au soleil de la vie.

Il me plaît, parlant ainsi, de ne faire que reprendre d’anciennes antithèses chères à Cicéron1 et à Quintilien2, qui n’étudiaient eux-mêmes si attentivement le grec qu’afin de mieux comprendre leur temps et comme on peut étudier aujourd’hui l’allemand ou l’anglais. Il n’est de vraie culture que désintéressée. Mais il n’est aussi de vraie culture qu’engagée.

Un grand intérêt la commande, et c’est l’intérêt de l’homme. Jamais ne fut-il plus nécessaire de tout lui rapporter, plus urgent de donner dès l’école à sentir aux petits hommes qu’ils sont tous ensemble, bon gré mal gré, engagés dans une même et prodigieuse aventure, « embarqués », comme disait Pascal, et sur le même vaisseau que la folie de quelques-uns suffirait à perdre. Le vieux Michelet3, quand il voulait résumer la foi qui les avait menés, lui et son siècle, écrivait: «L’homme fabrique incessamment sa terre et son ciel. Voilà le mystère révélé!» Il est clair que nos dernières «fabrications» n’ont rendu ni notre terre ni notre ciel plus sûrs. Jamais nos responsabilités n’ont-elles été si lourdes. C’est la vertu ou la mort, comme auraient dit les Français décidés d’il y a cent cinquante ans. Seul un humanisme militant peut faire les hommes complices dans cette vaste conspiration de vertu qui, seule, les sauvera.

Il est une culture de loisir et il est une culture de combat. Tout nous presse. La seconde seule est aujourd’hui valable. Non qu’il n’y aurait du plaisir à bavarder, sous la rose, entre vieux amis également

culture

« CULTURE ET MODERNITÉ 1 savants et bien-disants, du monde qui s'en va.

Douce préparation à la mort que peut embellir la récitation ou le souvenir de quelques vers du 35 gentil Horace4.

Mais les jeunes gens qui auront à vivre demain et à faire leur terre et leur ciel ont besoin d'une autre nourriture.

Qu'ils se sen­ tent engagés dans une longue et, en dépit de tout, noble histoire, et qu'ils soient préoccupés de la continuer noblement! S'il plaît à quelques-uns de retourner à !'Antiquité, à nos vénérables enfances, que 40 ce soit pour y retrouver ce grand ton, cette simplicité, cette tension héroïque dont Homère5, Sophocle 6 , Thucydide 7 , peuvent donner l'idée.

Des traductions leur suffiront.

Nous choisissons à chaque ins­ tant de l'histoire notre passé, et le choix que nous en faisons nous juge.

Les hommes d'aujourd'hui ne peuvent pas attendre de la culture qu'elle 45 leur fournisse les agréments de leur solitude et de leurs loisirs.

Il faut qu'elle fasse d'eux des hommes efficaces, chacun à sa place dans la soli­ darité d'un monde qui travaille.

Les dévots des humanités classiques oublient trop qu'Athéna, la déesse aux yeux étincelants, portait une lance.

Si nous voulons garder le droit de nous réclamer d'elle, que notre 50 pensée soit une pensée ouvrière, militante et armée.

Sur le chemin des hommes, Éd.

Bernard Grasset.

1.

Orateurlatin (106-43 av.

J.-C.).

- 2.

Rhéteur latin (v.

30-v.

100 apr.

J.-C.).

- 3.

Historien et écrivain français (1798- 1874).

-4.

Poète latin (65-8 av.

J.-C.).

- 5.

Poète grec (IX' s.

av.

J.-C.).

- 6.

Poète tragique grec (v.

496-406 av.

J.-C.).

-7.

Historien grec (v.

465-395 av.

J.-C.).

Îeüéfinissez de manière concise les deux cultures selon Jean Guéhenno.

: 1 • .1ar quels procédés déprécie-t-il la thèse adverse? • 1rentifiez la tonalité des lignes 31 à 35 (« Non qu'il n'y aurait...

du gentil Horace»).

Quel est son rôle dans l'argumentation? 1 • En un développement composé et argumenté, dites quel programme éducatif serait - · ~usceptible de former au mieux la jeunesse d'aujourd'hui.

}> Groupement de textes: voir 32 -33 -34.

-~ 56. »

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