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« Au second tour, on élimine »

Publié le 17/01/2022

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18 mars 2001 « AU PREMIER TOUR, on choisit. Au second tour, on élimine. » Charles Millon, qui rappelait à Lyon cet axiome de l'immortel Guy Mollet, ne croyait pas si bien dire. Les Lyonnais ont rejeté, dimanche 18 mars, une droite qui avait accepté là, avec les encouragements inattendus de Jacques Chirac, les conditions posées par le président de la Droite libérale chrétienne, un temps élu avec les voix du Front national à la présidence de la région en 1998. La logique de l'élimination n'a pas joué seulement contre l'opposition à Lyon, ainsi qu'à Paris. Elle est perceptible dans d'autres villes, avec des motivations variées. Les divisions ont été sanctionnées, mais l'ont été aussi les raccommodements de fortune, à gauche comme à droite. C'est à cette sévérité des électeurs que la majorité doit à la fois d'avoir gagné la première et la troisième ville de France, et d'en avoir perdu beaucoup d'importantes : Strasbourg, Rouen ou Saint-Brieuc, par exemple. Chaque cas est particulier. Catherine Trautmann, combattue par un ancien adjoint, a payé, à Strasbourg, un parcours erratique, de la mairie au gouvernement, puis à la présidence de la communauté urbaine et finalement à la mairie, qui a révélé aux Strasbourgeois ses fragilités et le désordre de son camp. A Rouen, Yvon Robert, critiqué radicalement par les Verts, a passé avec eux, pour le second tour, un accord peu convaincant. A Saint-Brieuc, le PS, affaibli au premier tour, a fabriqué pour le second une liste qui a aggravé plutôt que résorbé les divisions de la majorité municipale sortante. Dans ce dernier cas, l'usure de la gauche a été un facteur d'échec. Des équipes en place depuis près d'un quart de siècle ont été rejetées de même à Chartres, à Roanne, à Vienne, à Bourg-en-Bresse, à Beauvais, après Mâcon au premier tour, toutes des villes moyennes qui avaient fait les beaux jours de la « vague rose » de 1977. Les contre-exemples sont toutefois nombreux : Tourcoing, Belfort, Angers, Le Mans, Villeurbanne, Poitiers, Rennes, Montpellier, plus les villes conservées par la gauche dès le 11 mars comme Créteil, Pau ou Chambéry. Il y a pour la gauche des successions ratées - à Chartres, à Vienne, à Quimper, à Mâcon - , mais aussi des passages de relais réussis, de justesse à Lille pour Martine Aubry, confortablement à Lorient, Brest, Besançon ou Evry. Il en va de même pour la droite, déstabilisée par le retrait de ses maires à Dijon, Auxerre et Agen, mais pas à Caen, Vannes ou Cannes. Si la diversité des situations interdit de dégager des tendances d'ensemble, il en est une qui se confirme inexorablement, c'est le déclin du Parti communiste. Comme à toutes les élections municipales depuis 1983, il recule dans ce qui fut historiquement, avec le syndicalisme, l'une des deux bases de son implantation. Même si l'on se souvient que Nîmes, sa seule ville de plus de cent mille habitants, avait été regagnée, en 1995, dans une quandrangulaire au second tour, il reste qu'Alain Clary, élu en outre député en 1997, n'est pas parvenu à réinstaller le communisme dans cette mairie. La liste est longue des pertes du PCF, qu'il ait ou non changé ses maires, d'Argenteuil à Colombes, de Tarbes à Sète ou La Ciotat. Le rejet du communisme, tel que l'a exprimé par exemple Raymond Couderc à Béziers contre l'offensive de Jean-Claude Gayssot, prend, dans le Sud méditerranéen, une tournure significative de la jonction qui s'y opère entre les électorats de droite et d'extrême droite. Le recul général du PCF n'en démontre pas moins l'inaptitude du communisme français à se régénérer, fût-ce par la participation au gouvernement et l'intégration à la gauche plurielle. La prime au maire sortant a agi de façon très inégale au second tour. Elle a servi des élus parfois installés depuis longtemps, comme les socialistes Edmond Hervé à Rennes ou André Labarrère à Pau, le radical André Rossinot à Nancy, le centriste Jean-Marie Rausch à Metz, ou l'inusable Jacques Baumel (RPR) à Rueil-Malmaison. Elle n'a pas sauvé, en revanche, des élus moins anciens, comme les socialistes Jean-François Picheral à Aix-en-Provnce, Bruno Le Roux à Epinay-sur-Seine, Yvette Roudy à Lisieux. « Municipales » - c'est-à-dire déterminées par des situations et des considérations strictement locales - au premier tour, ces élections le sont restées au second. Et il vaut mieux regarder vers les cantonales si l'on cherche à apprécier l'état des forces politiques dans le pays. On constate alors que les résultats du premier tour, donnant à la gauche l'avantage sur la droite, ne se traduisent pas par des gains de majorités départementales aussi nombreux qu'elle l'espérait. Le Val-d'Oise, la Drôme restent acquis à l'opposition, qui gagne l'Ardèche et la Meurthe-et-Moselle au détriment du PS, l'Allier aux dépens du PCF. Les socialistes conquièrent l'Eure, l'Isère, le Vaucluse - alors même que les principales villes de ce département sont plus que jamais à droite et même à l'extrême droite -, ainsi que les très rurales Creuse et Haute-Saône. PORTÉE POLITIQUE Pour locales qu'elles soient, cependant, ces élections municipales n'en ont pas moins une portée politique. Le RPR a perdu Paris bien que la droite marque des points dans tout le pays. La capitale n'est plus le principal bastion du principal parti de la droite, et les efforts de M. Chirac pour le conserver, en poussant à la fusion entre les listes de Philippe Séguin et celles de Jean Tiberi, ont échoué. Le député des Vosges a démontré, entre les deux tours, une solidité qui lui a permis de déjouer les manoeuvres de l'Elysée et de sortir du combat la tête haute. De là à affirmer qu'il a gagné puisque la droite a été majoritaire en voix dimanche, il y a un pas que la cohérence dont il se réclame aurait dû lui interdire de franchir. Ayant refusé la fusion des listes, M. Séguin ne peut proclamer celle des électorats ! A Lyon, le chef de l'Etat s'est empressé de tirer avantage de la défaite du centre - c'est-à- dire de François Bayrou - pour faire pression, là aussi, en faveur d'un accord avec M. Millon. Il s'agissait de disposer d'un allié utile pour capter, en 2002, les voix de la droite extrême et de l'extrême droite, mais les électeurs lyonnais ont refusé de se prêter à ce jeu et de « réintégrer » l'ancien bénéficiaire des voix du Front national dans la droite républicaine, comme M. Millon assurait en avoir reçu de M. Chirac la promesse. Ce revers est peut-être compensé, aux yeux du chef de l'Etat, par la victoire à Toulouse de Philippe Douste-Blazy, son principal thuriféraire, rival de M. Bayrou à l'UDF, mais ce résultat-là est surtout porteur d'inquiétantes leçons pour la gauche et pour la société. L'échec douloureux d'Elisabeth Guigou à Avignon ne justifie pas les propos de la ministre de l'emploi et de la solidarité s'indignant que des électeurs qui votaient pour le Front national, votent aujourd'hui Marie-José Roig. Accuser tout candidat enlevant des voix à l'extrême droite de connivence avec elle est contraire au bon sens. L'inquiétant est plutôt que l'extrême droite, malgré sa division, malgré son recul relatif, soit toujours assez puissante pour conserver Orange, Vitrolles, Marignane. Et qu'à Toulouse, une gauche s'ouvrant aux jeunes issus de l'immigration, qui se reconnaissaient dans la liste Motivé-e- s, ait fait sortir de chez eux suffisamment d'électeurs effrayés pour assurer à M. Douste- Blazy l'élection triomphale dont il paraissait bien éloigné une semaine avant. Là aussi, on a éliminé.

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