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Commynes, Mémoires (extrait)

Publié le 09/02/2013

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Célèbre pour ses récits de combat, Philippe de Commynes trace aussi dans ses Mémoires (1524) des portraits réalistes et précis des grands personnages de son temps. Dans ce texte, il dresse « les vices et les vertus « du roi Louis XI dont il est l’homme de confiance. En narrant des anecdotes qui dessinent des traits de caractère, il livre le portrait de Louis XI en administrateur avisé, fin psychologue sachant jouer des jalousies et des récompenses.

Mémoires de Philippe de Commynes

 

Digression sur quelques vices et vertus du roy Louis onzième.

 

 

Je me suis mis en ce propos, parce que j’ay vu beaucoup de tromperies en ce monde, et de beaucoup de serviteurs envers leurs maistres, et plus souvent tromper les princes et seigneurs orgueilleux, qui peu veulent ouyr parler les gens, que les humbles qui volontiers les escoutent. Et entre tous ceux que j’ay jamais connu, le plus sage pour soy tirer d’un mauvais pas en temps d’adversité, c’estoit le roy Louis XI, nostre maistre, le plus humble en paroles et en habits, et qui plus travailloit à gaigner un homme qui le pouvoit servir, ou qui luy pouvoit nuire. Et ne s’ennuyoit point d’estre refusé une fois d’un homme qu’il prétendoit gaigner ; mais y continuoit, en luy promettant largement, et donnant par effect argent et estats qu’il connoissoit luy plaire. Et quant à ceux qu’il avoit chassés et déboutés en temps de paix et de prospérité, il les rachetoit bien cher, quand il en avoit besoin, et s’en servoit, et ne les avoit en nulle hayne pour les choses passées. Il estoit naturellement amy des gens de moyen estat, et ennemy de tous grands qui se pouvoient passer de luy. Nul homme ne presta jamais tant l’oreille aux gens, ni ne s’enquist de tant de choses, comme il faisoit, ni qui voulust jamais connoistre tant de gens ; car aussi véritablement il connoissoit toutes gens d’auctorité et de valeur qui estoient en Angleterre, en Espagne, en Portugal, en Italie, et ès seigneuries du duc de Bourgongne, et en Bretagne, comme il faisoit ses subjets. Et ces termes et façons qu’il tenoit, dont j’ay parlé cy-dessus, luy ont sauvé la couronne vu les ennemis qu’ils s’estoit luy mesme acquis à son advènement au royaume. Mais surtout luy a servi sa grande largesse : car ainsi comme sagement il conduisoit l’adversité, à l’opposite, dès ce qu’il cuidoit estre à sûr, ou seulement en une trève, se mettoit à mescontenter ses gens ; par petits moyens qui peu luy servoient, et à grand peine pouvoit endurer paix. Il estoit léger à parler des gens et aussi tost en leur présence qu’en leur absence, sauf de ceux qu’il craignoit, qui estoit beaucoup, car il estoit assez craintif de sa propre nature. Et quand pour parler il avoit reçu quelque dommage, ou en avoit suspicion, et le vouloit réparer, il usoit de cette parole au personnage propre : « Je sçay bien que ma langue m’a porte grand dommage ; aussi m’a-t-elle fait quelquesfois du plaisir beaucoup ; toutesfois c’est raison que je répare l’amende. «

 

 

Source : Historiens et Chroniqueurs du Moyen Âge, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade «, 1952.

 

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