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Conseils à l'occupé

Publié le 04/04/2013

Extrait du document

« Lâcheté « : c’est le mot qui vient à l’esprit de Jean Texcier durant l’été 1940. Fonctionnaire au ministère du Commerce, il décide de réagir en imprimant, avec l’aide d’une poignée d’amis, un brûlot caustique et anti-allemand intitulé « Conseils à l’occupé «. Cette petite brochure constitue la première riposte spontanée à l’Occupation et l’acte de baptême de la presse clandestine. Sortie en août 1940, elle fait aussitôt mouche : dès septembre, Maurice Schumann en cite des extraits à la BBC.

« Conseils à l’occupé «

 

1. Les camelots leur offrent des plans de Paris et des manuels de conversation ; les cars déversent leurs vagues incessantes devant Notre-Dame et le Panthéon ; pas un qui n’ait, vissé dans l’œil, son petit appareil photographique. Ne te fais pourtant aucune illusion : ce ne sont pas des touristes. 2. Ils sont vainqueurs. Sois correct avec eux. Mais ne va pas, pour te faire bien voir, au-devant de leurs désirs. Pas de précipitation. Ils ne t’en sauraient, au surplus, aucun gré. 3. Tu ne sais pas leur langue, ou tu l’as oubliée. Si l’un d’eux t’adresse la parole en allemand, fais un signe d’impuissance, et, sans remords, poursuis ton chemin. 4. S’il te questionne en français, ne te crois pas tenu de le mettre toi-même sur la voie en lui faisant un brin de conduite. Ce n’est pas un compagnon de route. […] […] 7. S’ils croient habile de verser le défaitisme au cœur des citadins en offrant des concerts sur nos places publiques, tu n’es pas obligé d’y assister. Reste chez toi, ou va à la campagne écouter les oiseaux. 8. Depuis que tu es « occupé «, ils paradent en ton déshonneur. Resteras-tu à les contempler ? Intéresse-toi plutôt aux étalages. C’est bien plus émouvant, car, au train où ils emplissent leurs camions, tu ne trouveras bientôt plus rien à acheter. 9. Ton marchand de bretelles a cru bon d’inscrire sur sa boutique : Man spricht Deutsch ; va chez le voisin, même s’il paraît ignorer la langue de Goethe. […] […] 14. La lecture des journaux de chez nous n’a jamais été conseillée à ceux qui voulaient apprendre à s’exprimer correctement en français. Aujourd’hui, c’est mieux encore, les quotidiens de Paris ne sont même plus pensés en français. 15. Abandonné par la T.S.F., abandonné par ton journal, abandonné par ton parti, loin de ta famille et de tes amis, apprends à penser par toi-même. Esprit abandonné, méfie-toi de la propagande allemande ! […] […] 21. Étale une belle indifférence ; mais entretiens secrètement ta colère. Elle pourra servir. […] […] 30. Tu grognes parce qu’ils t’obligent à être rentré chez toi à vingt-trois heures précises. Innocent, tu n’as pas compris que c’est pour te permettre d’écouter la radio anglaise ? […] […] 32. […] Ne vois-tu pas qu’ils ont réussi à vicier l’atmosphère que tu respires, à polluer les sources auxquelles tu crois pouvoir encore te désaltérer, à dénaturer le sens des mots dont tu prétends encore te servir ? Voici venue l’heure de la véritable défense passive. Surveille tes barrages contre leur radio et leur presse. Surveille tes blindages contre la peur et les résignations faciles. Surveille-toi. Civil, mon frère, ajuste avec soin ton beau masque de réfractaire. 33. Inutile d’envoyer tes amis acheter ces Conseils chez le libraire. Sans doute n’en possèdes-tu qu’un exemplaire et tiens-tu à le conserver. Alors, fais-en des copies que tes amis copieront à leur tour. Bonne occupation pour des occupés. Juillet 1940.

 

 

Source : Bellanger (Claude), la Presse clandestine 1940-1944, Paris, Armand Colin, 1961.

 

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