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Cours: L'ETAT ET POLITIQUE

Publié le 22/02/2012

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L'individu dépend étroitement des groupes sociaux auxquels il appartient. Il en reçoit des avantages matériels, et presque tout le contenu de sa vie spirituelle; il a donc des devoirs envers la société, qui le dépasse. Chacun, s'il veut être homme, doit se dévouer et collaborer à l'oeuvre sociale: par elle s'engendrent les valeurs; par elle se construit la civilisation; par elle s'impose à la Nature la marque propre de l'humanité.
La plupart de nos devoirs résultent du fait que nous appartenons à des groupes sociaux. Les devoirs sociaux pourraient sembler dérivés, les devoirs envers l'homme apparaissant comme naturels et premiers. Mais, il n'en est pas ainsi en fait. La sociologie montre que les devoirs primitifs résultent d'ordres et d'interdictions sociales (ainsi les tabous dans le clan). Ce n'est que peu à peu que les devoirs se sont individualisés, universalisés, et que la conscience est parvenue à la notion de la valeur de l'individu.
 Tout groupe social nous apparaît en effet comme fait et comme valeur: il s'impose à nous et pourtant nous fait être, il nous contraint et nous réalise, il est nous-même et nous dépasse, il est le support de la civilisation et ce par quoi s'effectue l'histoire de l'humanité. Aussi, à une analyse exacte, le fait social se révèle-t-il à la fois comme subjectif et objectif, libre et déterminé, spirituel et matériel: on retrouve en lui toute l'ambiguïté de l'homme. Les faits sociaux ne sont pas des choses.
Les plus stables des groupes sociaux auxquels nous appartenons, ceux qui nous imposent les devoirs les plus précis, sont la famille et l'Etat. Ce dernier peut être considéré quant à son unité politique, juridique, administrative; et plus spécifiquement encore, quant au pouvoir qu'il a sur ses membres par le biais de lois.
A) Pouvoirs et fonctions de l'Etat.
a) Le pouvoir primitif de l'Etat est le pouvoir exécutif:
Il exprime sa souveraineté. Peu à peu s'en sont différenciés, le pouvoir législatif, qui crée les lois et fixe le droit, et le pouvoir judiciaire, qui applique la loi aux cas individuels.
Le pouvoir judiciaire revêt diverses formes (justices civiles, criminelles, administratives). A son propos se pose le problème du droit qu'à l'Etat de punir. Il faut distinguer ici les origines de fait des sanctions, et leur fondement de droit. Ce fondement ne paraît être ni théologique, ni moral (il ne repose pas sur l'idée d'expiation), mais social et utilitaire: il s'agit d'éviter le retour des crimes. on doit en effet empêcher de nuire les êtres non moraux qui se trouvent en une société. Il faut donc distinguer responsabilité sociale et responsabilité morale pour insoluble, et reconnaître la nécessité de protéger la société. On peut être un juge inflexible tout en conservant un coeur sans haine.
 
Montesquieu a formulé le principe de la séparation des pouvoirs, qu'il tient pour une condition de la liberté. La réalisation de ce principe peut être partielle (inamovibilité des juges), mais non totale: en ce cas, en effet, l'unité et l'autorité de l'Etat seraient détruites.
Il faut donc reconnaître la nécessité d'une subordination des pouvoirs. Dans les démocraties, cette subordination est celle des ministres aux chambres (c'est le régime parlementaire). Dans les régimes autoritaires, c'est au contraire le pouvoir législatif qui est subordonné au pouvoir exécutif.
 
b) Les fonctions de l'Etat sont multiples. Certaines sont relatives aux rapports de la nation que représente l'Etat avec les autres nations (ainsi les affaires étrangères, la diplomatie, la défense nationale, la guerre, et l'organisation de tout ce qui prépare à la guerre: armée, marine, aviation). D'autres sont relatives à la sécurité personnelle des citoyens (police, justice), d'autres à l'organisation des entreprises d'intérêt général (routes, transports, ...), d'autres à la vie économique (protection de l'agriculture, de l'industrie, du travail). L'Etat doit aussi favoriser le développement de la culture, des sciences et des beaux-arts; il a une fonction éducative (école, instruction publique), il doit veiller à l'hygiène, à la santé publique, il a des devoirs d'assistance (sécurité sociale). Enfin, pour exercer les fonctions précédentes, l'Etat a besoin de ressources: il doit donc gérer et alimenter les finances publiques, et organiser l'impôt.
B) Fondements de l'autorité de l'Etat.
Les thèses théologiques voient le fondement de l'autorité de l'Etat dans le droit divin, les thèses réalistes dans la contrainte et la force (Hobbes), les thèses utilitaristes dans l'avantage publique.
Selon les conceptions sociologiques, le fondement de l'autorité de l'Etat est dans la conscience collective.
Pour les thèses individualistes, au contraire, il réside dans la volonté réfléchie des citoyens. Il faut distinguer ce point de vue de celui des sociologues: il ne s'agit pas ici d'une volonté collective, mais d'un ensemble de volontés individuelles et différenciées.
Il importe, en examinant ces thèses, de distinguer la perspective du fait et celle du droit.
Le fait que, dans un grand nombre de cas, l'Etat impose ses lois aux individus sans tenir compte de leurs opinions ou de leurs exigences ne prouve pas que, ce faisant, il agisse de façon légitime. La réalité humaine ne se réduit pas à la réalité historique ou politique, et c'est en ce sens que l'on peut opposer les droits de l'homme au pouvoir de l'Etat.
L'autorité de ce dernier, si elle s'exerce, est toujours historiquement fondée: il s'agit donc de découvrir ce qui, en fait, la rend possible. Mais il faut aussi rechercher si elle est légitime, et ce qui la rend légitime: seul ce problème est véritablement moral.
Ainsi lorsque  Rousseau, dans le "Contrat Social", déclare que, par cette convention, les hommes abandonnent à l'Etat leur liberté et leur égalité naturelles, pour recevoir en échange les libertés et l'égalité que leur garantit l'Etat, il ne prétend pas nous raconter ce qui s'est passé en fait à l'origine des sociétés, mais nous indiquer ce qui devrait se passer pour que l'autorité de l'Etat soit moralement fondée. Le contrat social est une fiction destinée à nous enseigner à quelles conditions l'autorité de l'Etat peut être légitime.
Pour Rousseau, cette autorité "doit" reposer sur un libre contrat. Il est donc vain de vouloir réfuter la thèse de Rousseau par des arguments historiques, en déclarant, par exemple, qu'à l'origine des sociétés il n'y a pas eu de contrat. C'est là méconnaître le sens d'une doctrine qui essaie de déterminer, non l'origine de fait de l'Etat, mais son origine de droit.
La discussion de la thèse de Rousseau doit donc porter sur la valeur de la notion de droit naturel. La thèse rousseauiste s'oppose ici à la conception sociologique puisque, selon cette dernière, la notion d'un droit inhérent à l'homme et antérieur, ne fût-ce que logiquement, à la société, autrement dit la notion d'une valeur quelconque non fondée sur la société est illusoire. Selon les mêmes sociologues, on ne peut poser la question de la légitimité de l'autorité sociale, puisque l'autorité sociale (comme conscience collective) est la source de toute valeur, de toute légitimité. Mais, on voit aisément que ce point de vue conduit toujours à cette justification du fait que, par des voies diverses, bien des philosophes ont, depuis Hegel, tentée.
Découvrir le droit dans le fait c'est, pourtant, nier tout simplement qu'il existe un ordre du droit, et que les évidences de notre conscience morale se révoltant contre certaines injustices soient fondées. Il importe donc de maintenir, hors de toute confusion subtile invoquant la conscience collective, le dynamisme ou l'ambiguïté de la réalité sociale, que, si l'Etat résulte du jeu des forces en présence, il a pour devoir de respecter la dignité de ses membres, et pour fin de réaliser leur bonheur: sans cela, il n'est que fait, et non valeur (cf. livre premier du "Contrat Social").
 
Quant au problème du fondement de fait de l'autorité de l'Etat, il ne peut être examiné qu'à propos de chacune des formes prises par l'Etat. Or, ces formes sont si nombreuses qu'elles ne sauraient être énumérées. On distingue souvent, en ce sens, la monarchie, l'aristocratie et la démocratie. Mais, il est clair que nul de ces régimes ne saurait se rencontrer à l'Etat pur. La monarchie se caractérise par le gouvernement d'un seul. Mais un seul homme ne peut gouverner un Etat qu'avec des conseillers, qu'il s'efforce de choisir parmi les meilleurs (définition de l'aristocratie), et en se sentant soutenu par l'opinion publique (ce qui introduit un élément démocratique). Par contre, la souveraineté du peuple, que l'on tient pour le fondement de la démocratie, ne saurait s'exercer de façon directe. Tout d'abord, cette souveraineté, ne résidant plus, comme dans les premières sociétés humaines, dans une conscience collective indifférenciée, mais résultant de consciences individuelles autonomes, ne peut plus être que la souveraineté d'une majorité. Encore la majorité ne saurait-elle, étant donnée l'étendue du corps social, exercer un gouvernement direct (sauf dans les cas exceptionnels de plébiscite et de référendum). Elle doit avoir recours à un gouvernement représentatif, à des assemblées élues qui traduiront plus ou moins exactement ses voeux.
On voit ainsi que, même en fait, la force de l'Etat n'est pas séparable de l'opinion de ses membres: il y a beaucoup de vérité dans ce mot d'Auguste Comte qui déclare que "tout le mécanisme social repose finalement sur des opinions". Mais, ces opinions elles-mêmes sont de nature différente: on trouve ici l'opinion que l'Etat représente la force, et aussi l'opinion selon laquelle il exerce son pouvoir en vue de l'utilité et de l'intérêt du groupe tout entier.
 
C) Les droits et les devoirs politiques.
 
L'Etat reconnaît à l'individu certains droits. Il lui impose des devoirs.
 Sur ce point encore, bien des thèses ont été émises. L'anarchisme condamne l'Etat au nom des droits de l'individu. Les doctrines autoritaires soutiennent que l'individu n'a pas de droits et doit se soumettre à la société. Sur le plan économique, le libéralisme veut diminuer les attributions de l'Etat et, à la limite, les réduire à la justice, aux affaires étrangères et à la guerre. L'étatisme veut augmenter les fonctions économiques de l'Etat.
L'individu, en effet, tend à opposer à la souveraineté de l'Etat la revendication de certains droits: ainsi le droit à la liberté, ou à l'égalité. Mais il ne doit pas oublier tout d'abord que la société lui garantit généralement l'exercice de ces droits plus qu'elle ne les lui enlève. Ainsi, la liberté a été "acquise" au cours de l'histoire, elle s'est, peu à peu, individualisée et universalisée. Chez les primitifs, en effet, la soumission de l'individu à son groupe est entière. Et, c'est, le plus souvent, l'Etat qui a développé la liberté, libérant l'individu des groupes particuliers auxquels il appartenait, et supprimant l'arbitraire. De même, la liberté de penser a des causes sociales (division du travail, universalisation des religions, indépendance des idées religieuses et de la forme de l'Etat, développement de l'individu dans les sociétés modernes).
En outre, il est clair que l'Etat ne peut reconnaître à l'individu tous les droits, ce qui entraînerait l'anarchie, la dissolution du corps social, et nuirait à l'individu lui-même. Les droits de l'individu dans l'Etat sont donc nécessairement et légitimement limités. Ainsi la liberté de chacun est limitée (ne fût-ce que par la liberté d'autrui), et doit s'exercer dans les limites de la loi. De même, une égalité absolue reconnue aux hommes détruirait l'émulation et entraînerait le nivellement des valeurs.
 
Toute la question est donc de savoir quels sont les droits effectifs que dans un régime donné, l'Etat peut reconnaître aux individus sans nuire à l'intérêt de la société tout entière. Les droits reconnus différents selon les époques, les circonstances, les formes de gouvernement. L'égalité peut être civile (égalité devant les lois, les tribunaux, les emplois), politique (suffrage universel ou non), ou économique. On peut, de même, distinguer la liberté civile, la liberté politique (possibilité de collaborer à la loi et au vote de l'impôt), la liberté de réunion et d'association, la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté de penser, ect...).
 Bonne en soi, toute liberté peut entraîner des abus: ainsi la liberté de penser et d'exprimer sa pensée, origine du progrès des sciences, sources du développement intellectuel, condition de la dignité de l'homme et de la marche en avant de l'histoire, peut avoir de fâcheuses conséquences si elle sert à propager de fausses nouvelles, à tromper l'opinion, à répandre des conseils pernicieux. En vérité, le bon exercice de la liberté suppose la vertu. Et une société ne peut se permettre d'être libérale que selon la vertu de ses membres.
En tout cas, les droits de l'individu ne doivent pas lui faire perdre le sens de ses devoirs. Et les devoirs politiques sont multiples. Ils sont, d'abord, d'obéissance aux lois: ici le citoyen est considéré en tant que "sujet", et soumis à des obligations diverses (obligation scolaire, devoir fiscal, devoir militaire, ect). En outre, et dans la mesure où il a des droits politiques, le citoyen peut se tenir pour "législateur". Il a le droit de s'occuper des affaires publiques, de collaborer à l'évolution sociale dans le sens de ce qu'il croit être le meilleur. L'exercice de tels devoirs est des plus difficiles: il demande une conscience morale éclairée, le souci constant de préférer l'intérêt social aux avantages personnels, la volonté de se décider selon la Valeur, et non selon les conseils de l'égoïsme.
 
 

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