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Cours: NATURE & CULTURE (1/2)

Publié le 22/02/2012

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culture

Distinguer Nature et culture, c'est distinguer l'inné (nature renvoie au participe latin natus, né, du verbe nascar) et l'acquis, le donné, ce à quoi il suffit d'obéir ou ce dont l'on peut se contenter, et le construit, ou ce qui est à construire, c'est-à-dire ce qui exige un effort de d'intervention et de finalisation.

L'antériorité de la nature sur la culture : la notion de culture implique un travail sur une nature donnée, une transformation de la nature susceptible de produire des propriétés nouvelles ou au moins d'actualiser des possibles, de réaliser des qualités encore virtuelles. Si la culture est toujours un acte de transformation, ses sens varient :

  • La culture est d'abord culture de la terre(A), puis par extension, culture du corps comme de l'esprit, processus d'éducation (agri-cultura et cultura animi) en y intégrant les œuvres qui s'y constituent (la culture) comme œuvres littéraires, artistiques, en un mot, les humanités (16e et sq.).

  • La culture a ensuite un sens anthropologique(B). Une culture désigne la manière déterminée dont une population donnée réalise en elle-même ses modes de vie, d'organisation des connaissances et ses modes de pensée.

  • Ces deux sens renvoient à un sens fondamental(C), qu'on pourra dire ontologique, où " la culture " recouvre tout ce par quoi l'existence humaine apparaît comme s'élevant au dessus de la pure animalité, et, plus généralement et au travers elle, au dessus de la simple nature. Elle est civilisation (renvoi au sens A), au sens de progrès humain. Le terme, apparu au 19e, renvoie à une libération comme perpétuel arrachement au déterminisme naturel, ouvrant sur une définition humaniste comme autonomie, où l'homme est cet être pour la culture, dont la nature est de ne pas en avoir. La question se pose de savoir si la culture n'est pas pour nous comme une seconde nature.

Pourtant, cette classification rigoureuse des termes, cette distinction établie entre la nature et la culture ne doit pas nous faire perdre de vue que ces termes doivent d'abord être interrogés dans leur liaison. C'est bien le " et " qui fait ici problème. Nature et culture n'ont pas de sens pris séparément, même si l'on peut interroger des phénomènes en se demandant s'ils relèvent de l'un ou l'autre prioritairement : le langage, la société, le comportement, l'intelligence, etc.

Nature et culture ne sont pas deux pôles, mais deux points de vue sur le même phénomène. Il ne s'agit pas de les comprendre séparément, de les définir au préalable pour construire ensuite leurs relations. " La " nature et " la " culture n'existent donc pas en ce qu'ils n'obéissent pas à des déterminations fixes.

L'homme peut ainsi être compris différemment selon le point de vue naturel (l'homme comme être biologique, déterminé par des lois physiques et chimiques) ou culturel (être pour l'histoire, la société et la raison).

Texte 1

" Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions.

Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait " naturels " et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourraient servir à définir l'homme. "

M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, " Tel ", Gallimard, pp. 220-221.

La thèse de M. P. est d'abord négative, dans le refus de deux idées:

  • Analogie entre langage et comportement : le comportement n'est pas plus naturel que la dénomination (voir Hermogène dans le Cratyle) et l'un comme l'autre renvoient à des conventions culturelles. L'argument de l'hérédité fonctionne a fortiori: rien n'est absolument réductible au corps - c'est-à-dire à la nature - et la paternité, comme valeur culturelle construite dépasse l'instinct de reproduction.

  • Refus de la superposition de deux " couches ". M. P. combat l'idée de deux strates géologiques qu'on pourrait distinguer et reconstituer séparément. Allusion à Rousseau et à statue de Glaucus dans le Second Discours, image d'un projet utopique.

La thèse essentielle est que nature et culture sont déjà là en l'homme, et qu'elles sont indiscernables, L'homme est à la fois totalement culturel et totalement naturel. L'homme n'est plus celui qui s'arrache à la nature pour devenir un être culturel : il est innassignable, inclassable. " L'équivoque ", " l'ambiguïté " interdit qu'une tentative de réduction à un ordre ou à un autre soit satisfaite. La différence de l'homme comme espèce, c'est d'être inclassable.

" Nature " et " culture " ne doivent pas être compris dans leur sens propre, comme s'ils pouvaient être distingués, mais il s'agit de s’intéresser à leur relation au sens figuré: l'opposition nature vs culture peut être comprise comme la métaphore d'une certaine opposition, comme " inné " et " acquis ", " donné " et " construit " constituent autant de métaphores, d'images d'une condition humaine qui ne se laisse pas réduire à un ordre ou à l'autre : nature vs artifice, nature vs histoire, nature vs liberté, nature vs raison sont autant d'oppositions métaphoriques, d'images de ce à quoi renvoie la culture.

Métaphorique, la distinction nature et culture est d'emblée culturelle, dans la mesure où elle est posée par l'homme. La nature est toujours saisie du point de vue de la culture qu'elle semble conditionner.

Deux conséquences :

  • La distinction entre nature et culture renvoie à une interrogation sur l'homme lui-même. Qu'est-ce que l'homme et quelle est sa place dans le monde ? Nature et culture sont ici les métaphores, les images de deux normes pour penser la vie et la place de l'homme.

  • L'idée de nature, et d'abord de " nature humaine " sont paradoxales puisqu'elles sont peut-être essentiellement culturelles. La " nature humaine " existe-t-elle alors ? N'est elle pas un produit culturel ? Dans le même temps, la culture comme une culture ne peut-elle pas devenir pour nous comme une seconde nature ?

Pour répondre d'abord à notre première interrogation, on examinera d'abord la nature comme norme.

I. La nature comme norme - La culture comme perversion de la nature

I-1. La normativité du vivant

La conception de la nature comme norme établit une continuité entre la nature et la norme : les femmes sont naturellement faites pour porter (pour avoir ?) des enfants ; ne pas en avoir est anormal, contre-nature. Contre-nature ne signifie pas seulement hors de la nature, mais d'abord contre elle ; la norme pose un idéal, dans l'écart avec le fait qui doit s'y conformer. Jugement de valeur, jugement moral touchant au respect de la norme.

Cette conception choque moralement, concernant les fins assignées à la nature, et l'exploitation d'un sentiment de culpabilité, mais aussi - et d'abord - logiquement: le naturel renvoie à des lois physiques et biologiques, des faits de nature, là où la norme renvoie à des usages. La nature ne peut prescrire des sur le plan physique des fins. Galilée, Descartes: la nature ne poursuit pas de fins.

Il y a pourtant une difficulté en biologie, que Kant déjà relève dans la Critique de la faculté de juger (éd. Vrin, pp. 193-194). Voir le cours sur le vivant : les organes, dans leur constitution comme dans leur fonctionnement, semblent fait en vue d'accomplir une fonction relativement à un but déterminé (l’œil " fait pour " voir, la main " faite pour " prendre etc.), comme semble le manifester aussi l'adaptation du vivant à son milieu.

37o est une température normale en ce qu'elle préserve l'équilibre naturel du corps. L'anormal fait référence à une normalité l'identifiant à une nature biologique de l'homme comme développement finalisé de ses facultés dans leur forme (et non dans leur contenu) : nos mains sont faites pour saisir, notre cerveau pour réfléchir, instituant autant de normes biologiques.

Dans sa réflexion sur Le Normal et le Pathologique, Canguilhem montre que dans son acception médicale, le concept de " normal " n'a pas une valeur descriptive (ce qui est) mais normative (ce qui doit être). L'état que l'organisme malade veut restaurer grâce à la médecine est bien l'état normal. Cet état n'est pourtant pas dit normal parce qu'il est visé comme fin par la pratique médicale (idéal de la santé), mais parce qu'il est éprouvé par le patient comme une valeur à laquelle il confronte son état présent. La santé parfaite n'existe pas, le concept de santé ne renvoie pas à une existence, mais à une norme. Ce caractère normatif de la norme ne règle pas la vie comme un idéal qu'elle devrait accomplir mais c'est plutôt la normativité de la vie elle-même qui réclame les conditions les meilleures.

Il n'existe donc de normalité pour le vivant qu'en référence à un milieu : une anomalie (particularité statistique, morphologique ou fonctionnelle) ne devient anormalité ou pathologie que par la confrontation du vivant qui en est porteur avec le milieu où il se trouve tenu de vivre. La pathologie n'est pas l'oubli de la norme, mais la présence d'une autre norme qui oblige à vivre dans un milieu rétréci, à l'écart de la norme dominante.

Le contraire de pathologique, ce n'est pas normal mais sain, où la santé est la capacité de tolérer le maximum de normes différentes, à ne pas être asservi à un milieu particulier. La physiologie n’est donc pas la " science biologique du normal " mais, selon la formule de Canguilhem, la " science des allures stabilisées de la vie ".

Texte 2

" L’existence des monstres met en question la vie quant au pouvoir qu’elle a de nous enseigner l’ordre. Cette mise en question est immédiate, si longue qu’ait été notre confiance antérieure, si solide qu’ait été notre habitude de voir les églantines fleurir sur l’églantier, les têtards se changer en grenouille, les juments allaiter les poulains, et d’une façon générale, de voir le même engendrer le même. Il suffit d’une déception de cette confiance, d’un écart morphologique, d’une apparence d’équivocité spécifique, pour qu’une crainte radicale s’empare de nous. Soit pour la crainte, dira-t-on. Mais pourquoi radicale ? Parce que nous sommes des vivants, effets réels des lois de la vie, causes éventuelles de vie à notre tour. Un échec de la vie nous concerne deux fois, car un échec aurait pu nous atteindre et un échec pourrait venir par nous. C’est seulement parce que, hommes, nous sommes des vivants qu’un raté morphologique est à nos yeux vivants, un monstre. Supposons-nous pure raison, pure machine intellectuelle à constater, à calculer et à rendre des comptes, donc inertes et indifférents à nos occasions de penser : le monstre ce serait seulement l’autre que le même, un ordre autre que l’ordre le plus probable. "

G. CANGUILHEM, La connaissance de la vie, Vrin, p. 171.

La tératologie (science biologique des monstres) naît au 19e avec Etienne Geoffroy de St Hilaire (1772-1844), chargé de la chaire de zoologie de la faculté des sciences de Paris, lorsqu’il présente son Mémoire sur la classification des monstres à l’académie des sciences le 9 novembre 1826.

Commentaire à suivre.

I-2. La culture comme perversion de la nature : l’ordre social et politique

Une telle perversion suppose un droit chemin, une rectitude dont les manifestations culturelles auraient tort de s’écarter. La nature est un tout originel, un état préalable, fantasmé ou réel, historique ou hypothétique, du monde.

On juge de ce qui est par rapport à ce qui devrait être en fonction d’une nature originelle. L’évolution de la réalité est un mal par rapport à une nature normative et bonne par elle-même. Est donc culturel tout ce qui représente un écart par rapport à l’ordre originel : les lois, la société, les arts et les techniques. Le culturel n’est plus l’autre, mais l’opposé du naturel, comme artificiel.

I-2-1

La loi, comme norme culturelle, nous intéresse d’abord. Au sens politique du terme, elle est ce qui fixe une norme, un devoir-être de l’existence humaine. La loi rentre ainsi directement en contradiction avec la nature en ce qu’elles sont deux normes opposées. Cette opposition est thématisée chez les grecs dans l’opposition nomos (nomos : loi conventionnelle, loi d’usage, loi de tradition) / fusis (phusis : droit de nature).

Texte 3

" La loi , au contraire, est faite par les faibles et par le grand nombre. C'est donc par rapport à eux-mêmes et en vue de leur intérêt personnel qu'ils font la loi et qu'ils décident de l'éloge et du blâme. Pour effrayer les plus forts, les plus capables de l'emporter sur eux, et pour les empêcher de l'emporter en effet, ils racontent que toute supériorité est laide et injuste, et que l'injustice consiste essentiellement à vouloir s'élever au-dessus des autres : quant à eux, il leur suffit, j'imagine, d'être au niveau des autres, sans les valoir.

Voilà pourquoi la loi déclare injuste et laide toute tentative pour dépasser le niveau commun, et c'est cela qu'on appelle l'injustice. Mais la nature elle-même, selon moi, nous prouve qu'en bonne justice, celui qui vaut plus doit l'emporter sur celui qui vaut moins, le capable sur l'incapable. Elle nous montre partout, chez les animaux et chez l'homme, dans les cités et les familles, qu'il en est bien ainsi, que la marque du juste, c'est la domination du puissant sur le faible et sa supériorité admise. De quel droit, en effet, Xerxès vint-il porter la guerre dans la Grèce, ou son père chez les Scythes ? et combien de cas semblables ne pourrait-on citer ? Mais tous ces gens-là agissent, à mon avis, selon la vraie nature du droit, et, par Zeus, selon la loi de la nature, bien que ce soit peut-être contraire à celle que nous établissons, nous, et selon laquelle nous façonnons les meilleurs et les plus vigoureux d'entre nous, les prenant en bas âge, comme des lionceaux, pour nous les asservir à force d'incantations et de mômeries, en leur disant qu'il ne faut pas avoir plus que les autres et qu'en cela consiste le juste et le beau. Mais qu'il se rencontre un homme assez heureusement doué pour secouer, briser, rejeter toutes ces chaînes, je suis sûr que, foulant aux pieds nos écrits, nos sortilèges, nos incantations, nos lois toutes contraires à la nature, il se révolterait, se dresserait en maître devant nous, lui qui était notre esclave, et qu'alors brillerait de tout son éclat le droit de la nature. "

Platon, Gorgias, p. 162, Belles-Lettres.

Le texte repose sur l’opposition de l’ordre du " juste selon la nature et du " juste selon la loi ". La nature représente un ordre originel, un droit chemin que la loi vient dévier, pervertir. L’ordre naturel est nécessaire et premier, la loi seconde, surajoutée et contingente.

L’ordre naturel est le pur règne de la force ; la nature n’est qu’une totalité de faits physiques, de relations de fait. Le plus fort domine et accumule les richesses au détriment du plus faible. L’analogie entre la meute animale et la société humaine montre que le fait naturel doit être érigé en norme.

La loi n’est qu’une ruse des faibles sur les forts : aux forts, supérieurs par nature, les faibles opposent la loi pour les canaliser dans leur force physique en imposant une définition de la force qui n’est plus physique, plus naturelle (Cf. Nietzsche : " Il faut défendre les forts contre les faibles ").

Cette question du choix de la bonne vie, de la norme selon laquelle il s’agit de vivre prend la forme de l’opposition entre la mesure comme norme et la démesure comme norme : faut il laisser libre cours à ses passions (vie bonne selon la nature), ou faut-il leur tenir la bride ? La passion dominante de l’homme est le désir d’avoir toujours plus (pleonexia – pléonexia), passion saine et naturelle. Vivre selon la nature, c’est lui laisser libre cours, ce que les hypocrites et les lâches n’osent faire en se réfugiant derrière la loi.

Ne peut-on discuter du caractère naturel ou donné de ce désir pour le réinscrire dans une part de rivalité sociale à autrui ? Ce désir peut aussi être culturel.

La nécessité qui s’impose, si l’on pose la nature comme norme, est de savoir ce que l’on entend par nature, d’apporter une définition à cette nature comprise comme norme.

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