cours: NATURE / CULTURE (b de e)
Publié le 22/02/2012
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I) LA DISTINCTION DU NATUREL ET DU CULTUREL
- Dans cette 1ère partie, nous tenterons de nous demander quelle est la signification de la conjonction de coordination " et " de l'intitulé " nature et culture ". A-t-elle valeur d'opposition, de complémentarité, d'implication réciproque ? Y a-t-il un ou plusieurs critères permettant d'établir une ligne de démarcation entre l'ordre de la nature et celui de la culture ? Où finit la nature et où commence la culture.
1. LA CULTURE, UNE ANTI-NATURE
- On peut d'abord envisager le rapport nature-culture en termes d'opposition, l'opposition se posant au bénéfice de la culture qui désigne une anti-nature, c'est-à-dire un ordre spécifiquement qui non seulement rompt radicalement avec celui de la nature mais le nie en quelque sorte en permanence. Ici, l'humanité est définie en rupture avec le monde animal et la culture constitue alors la seule nature de l'homme à proprement parler. La notion de nature sera envisagée ici comme ce qui est donné par la naissance, tout ce qui n'est pas le fruit de l'activité humaine. Nous envisagerons plus loin le deuxième sens de l'idée de la nature – l'essence – à travers la question de la nature humaine .
1. La culture transcende la nature (texte de L.Strauss sur la prohibition de l'inceste)
- Définissons l'ordre de la culture, en premier lieu, comme étant tout ce que l'homme ajoute à la nature, ordre irréductible qui ne saurait être dérivé de la nature ou calqué sur elle. Par la culture, l'homme projette, imagine, invente une réalité tout autre.
- Faisons remarquer qu'aucun peuple, fût-il le plus sauvage, le plus primitif, ne vit naturellement. Les peuples sans écriture ne vivent pas comme des animaux. De ce qu'ils sont proches de la nature, il ne faut pas conclure qu'ils vivent naturellement. A bien des égards, même si souvent leur technologie est extrêmement fruste, leurs croyances, leurs moeurs sont plus complexes que les nôtres.
- Pour les anthropologues et les sociologues, le terme culture sert à désigner l'ensemble des activités, des croyances, des pratiques communes à une société ou à un groupe social particulier. En 1871, l'anthropologue Tylor définit ainsi la culture : « un ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les moeurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme en société «. Ici la culture correspond à un ensemble très vaste : elle couvre toutes les activités créées par l'homme, tout ce qui s'oppose à la nature ou n'est pas le fruit de la nature. De ce point de vue, tous les peuples ont une culture.
- Cette définition souligne deux dimensions essentielles de la culture : le fait culturel est universel et caractérise tout groupe social ; la culture est acquise et sa transmission fait partie intégrante du phénomène culturel.
- Universalité de la culture d’abord, en ce sens que tous les groupes humains quels qu’ils soient sont dotés d’une culture propre. Ce que dément le sens commun lorsqu’il envisage l’existence d’une nature humaine indépendante du contexte social. Ne dissertait-on pas, au XVIIIe siècle, sur les « Naturels «, ces êtres désignés proches de la nature et dépourvus de culture ? Or, comme l’a montré Lucien Malson (in Les enfants sauvages), un enfant, un être humain privé d’environnement culturel ne retrouvera en aucun cas des comportements instinctifs.
- Si le fait culturel est universel et acquis, cela implique que nous aurions tous pu être des Bororo. Rien, dans la physiologie, ne nous prédispose à telle forme culturelle plutôt qu’une autre. Ainsi, même des actes élémentaires comme le sommeil, la respiration sont des faits sociaux et culturels. L’accomplissement des fonctions biologiques suppose un apprentissage, de sorte que si tous les hommes, par exemple, digèrent selon le même processus biologique, ils n’ont pas la même façon de manger, de boire, etc. Marcel Mauss parle de « techniques du corps « pour désigner « les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps « (Sociologie et anthropologie). Il y a technique parce qu’il y a transmission par la tradition. Lire, p 22 et 23 de la culture (Magnard) les textes de Mauss sur les techniques du sommeil et de la reproduction, et de Sapir sur la respiration comme fait culturel.
- En ce sens, l'homme est le seul animal à ne pas se contenter de ce que la nature lui donne. Partout, dans toutes les sociétés, l'homme lave son corps – premier don de la nature -, le vêt, l'orne, le maquille, le peint (les tatouages), le mutile (les mutilations sexuelles, les scarifications – cicatrices rituelles). Aucun animal ne fait cela : il se contente de vivre avec le corps que la nature lui a donné.
- De même, les animaux ont certes des langages mais ils ne parlent pas : leurs cris ne sont pas décomposables en unités élémentaires (le mot " étonnant ", par exemple, est décomposable en syllabes et en sons minimaux), et ils ne peuvent être englobés dans des ensembles plus vastes (un mot parlé peut faire partie d'une phrase, et une phrase d'un discours). Comme le montre le linguiste André Martinet, la double articulation est la caractéristique essentielle et spécifique du langage humain.
- Constamment travaillée par l'homme, la nature est de plus en plus lointaine : premiers grands défrichements au néolithique, domestication des animaux que l'homme élève jusqu'à produire maintenant des variétés qui n'eussent pas existé sans lui. Avec les actuelles manipulations génétiques, un nouveau palier est franchi : l'homme devient capable de produire artificiellement du vivant.
- De même ne peut-on paradoxalement revenir vers la nature qu’en compliquant l’artifice, en faisant appel au savoir - faire des spécialistes de cet artifice . Par exemple, les mets plus “naturels” ou “allégés” que nous impose la surveillance alimentaire de soi, ne sont pas moins que les autres industriellement élaborés, fabriqués, conservés. Ils sont dosés en protéines, vitamines, calories, entités naturelles certes, mais que la nature ne dose pas de la sorte ; ce sont donc autant de technologies de la santé (pharmaceutiques, hygiéniques, diététique, gymnastiques…).
- Le tableau ci-dessous montre l'opposition de deux mondes, où le destin de l'homme se joue.
|
Corps |
Alimentation |
Langage |
Terre |
Matière |
Nature |
Nudité |
Crue |
Cris, chants |
Sauvage |
Brute |
Culture |
Vêtements, parure, pratiques corporelles |
Cuite |
Paroles |
Cultivée |
Transformée, artificielle |
Domaines culturels concernés |
Tissage, orfèvrerie, mode |
Poterie, métallurgie, cuisine |
Langage
|
Métallurgie, agriculture |
Métallurgie, chimie |
- Comparons maintenant l'ordre et la loi de la nature à l'ordre et la loi de l'homme.
- L'ordre et la loi de la nature sont objectifs, nécessaires, universels, voire éternels. L'ordre et la loi de l'homme, de la société humaine sont humains, artificiels ou conventionnels, contingents, particuliers, historiques.
- Une loi de la nature est l'expression d'un rapport constant entre des phénomènes. Exemple : E = mc 2 est l'expression d'un rapport entre l'énergie (E), la masse (m) et la vitesse de la lumière (c). Une loi humaine est l'expression d'une règle régissant des phénomènes sociaux. L'ordre de la nature est universel (en tout point le même) et nécessaire, l'ordre social est particulier à une histoire, à une culture.
- Les instincts des animaux déterminent des nécessités (la satisfaction des besoins), des possibilités (un phoque peut vivre dans l'eau et sur terre) et des impossibilités (un carnassier ne peut se mettre au régime végétarien). Les lois de la société humaine définissent des obligations, des autorisations et des interdits. On peut échapper à une obligation, la violer ou l'ignorer. Les animaux n'ont pas d'obligations : un oiseau migrateur n'est pas obligé de fuir vers le sud l'arrivée des grands froids, il est forcé de le faire, faute de quoi il meurt.
- De même, l'homme ajoute à la simple possibilité physique, l'autorisation légale qu'on appelle un droit (d'où, en anglais, la distinction entre can – la possibilité physique – et may – l'autorisation). Or, les animaux ne jouissent d'aucun droit. La nature en général n'est pas un sujet libre, un agent " susceptible d'agir avec la réciprocité qu'on attend d'un alter ego juridique " (Ferry, La sagesse des modernes, p. 207). Et '" c'est toujours pour les hommes qu'il y a du droit ". Les droits de la nature sont, en réalité, des devoirs de l'homme envers l'homme, et notamment envers les générations futures. Ce ne sont pas tant des devoirs envers la nature, qui impliqueraient celle-ci comme partenaire responsable, mais des devoirs concernant la nature.
- Enfin, à l'impossibilité correspond et s'oppose l'interdit humain : " Tu ne tueras point" n'est pas l'énoncé d'une impossibilité : sinon, à quoi bon le produire ? On n'interdit pas ce dont on sait à l'avance que cela ne sera pas fait. On interdit ce que, spontanément, en suivant ses tendances et désirs, l'être humain ferait. Ainsi, par l'interdit, l'homme s'élève-t-il au-dessus de son animalité.
NATURE |
CULTURE |
Nécessité |
Obligation |
Possibilité |
Autorisation |
Impossibilité |
Interdit |
- Exemple de la prohibition de l'inceste (texte de L. Strauss)
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