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Dans le lointain à gauche

Publié le 30/03/2014

Extrait du document

yeux. Dans le lointain à gauche, vers le sied, les pics et les hautes crêtes de la grande chaîne commençaient d’apparaître, sombres et noires, formes visibles se détachant sur un ciel qui devenait gris. La lumière croissait derrière eux. Elle se glissa lentement vers le nord. Il y avait bataille dans les très hauts espaces de l’air. Les nuages ondoyants du Mordor étaient repoussés, leurs bords partaient en lambeaux comme un vent s’élevait du monde vivant et balayait les vapeurs et les fumées vers la sombre terre à laquelle elles appartenaient. Sous les pans du lugubre dais qui se levaient, une terne lumière filtra dans le Mordor comme le pâle matin au travers de la fenêtre noircie d’une prison.

« Regardez, Monsieur Frodon ! dit Sam. Regardez ça ! Le vent a changé. Il se passe quelque chose. Tout ne marche pas à son gré. Ses ténèbres se dispersent là-bas dans le monde. Je voudrais bien voir ce qui se passe ! «

C’était le matin du quinze Mars et, sur la Vallée de l’Anduin, le Soleil s’élevait au-dessus de l’ombre de l’est, et le vent du sud-ouest soufflait. Théoden gisait, mourant, sur les Champs du Pelennor.

Tandis que Frodon et Sam restaient là en contemplation, la frange de lumière s’étendit tout le long de l’Ephel Duath, et ils virent une forme qui venait à grande vitesse de l’ouest, au début simple point noir dans la bande de lumière indécise au-dessus des cimes, mais grandissante, jusqu’au moment où elle plongea comme un carreau d’arbalète dans le dais sombre pour passer à grande hauteur au-dessus d’eux. Dans son vol, elle lança un long cri strident : c’était la voix d’un Nazgûl, mais ce cri ne causa plus en eux aucune terreur : c’était un cri de douleur et d’effroi, porteur de mauvaises nouvelles pour la Tour Sombre. Le Seigneur des Chevaliers Servants de l’Anneau avait rencontré son destin.

« Que vous disais-je ? Il se passe quelque chose ! s’écria Sam. « La guerre va bien «, avait dit Shagrat, mais Gorbag, lui, n’était pas aussi assuré, et, en cela aussi, il avait raison. Les choses prennent meilleure tournure, Monsieur Frodon. N’avez-vous pas quelque espoir, à présent ? «

« Eh bien, non, pas beaucoup, dit Frodon avec un soupir. Nous allons vers l’est, non vers l’ouest. Et je suis tellement fatigué ! Et l’Anneau est si lourd, Sam ! Et je commence à le voir tout le temps dans ma tête, comme une grande roue de feu. «

L’entrain rapide de Sam retomba aussitôt. Il regarda son maître avec anxiété, et il lui prit la main. « Allons, Monsieur Frodon ! dit-il. J’ai une chose que je désirais : un peu de lumière. Assez pour nous aider, et pourtant je devine qu’elle est dangereuse aussi. Essayez d’aller un peu plus loin, et alors on s’étendra tout près l’un de l’autre et on essaiera de se reposer un peu. Mais mangez un morceau maintenant, une bouchée de la nourriture des Elfes, ça pourra vous redonner du coeur. «

Tout en mâchant du mieux que leur permettaient leurs bouches desséchées une gaufrette de lembas qu’ils avaient partagée, Frodon et Sam poursuivirent leur marche pénible. La lumière, si elle ne dépassait pas un crépuscule gris, leur suffisait pour voir qu’ils étaient profondément enfoncés dans la vallée qui séparait les montagnes. Elle montait en pente douce vers le nord, et dans le fond courait le lit à sec d’un ruisseau à présent disparu. Au-delà de son cours rocailleux, ils voyaient un sentier battu qui suivait en lacets le pied des escarpements de l’ouest. L’eussent-ils su, ils auraient pu l’atteindre plus vite, car c’était une piste qui quittait la grande route de Morgul à l’extrémité ouest du pont pour descendre jusqu’au fond de la vallée par un long escalier taillé dans le roc. Elle servait aux patrouilles ou aux messagers qui se rendaient rapidement aux petits postes et redoutes situés assez loin vers le nord, entre Cirith Ungol et les pertuis d’Isenmouthe, la mâchoire de fer de Carach Angren.

Il était périlleux pour les hobbits d’emprunter un tel sentier, mais la rapidité leur était nécessaire, et Frodon sentait qu’il ne pourrait affronter la marche laborieuse et pénible parmi les pierres roulées ou dans les ravins sans pistes du Morgai. Et il jugeait que le nord était peut-être la voie que les chasseurs s’attendraient le moins à les voir prendre. La route de l’est vers la plaine ou le col revenant vers l’ouest, voilà ce qu’ils fouilleraient d’abord le plus minutieusement. Ce ne serait que parvenu bien au nord de la Tour qu’il avait l’intention de tourner à la recherche de quelque chemin vers l’est, l’est de la dernière étape désespérée de son voyage. Ils franchirent alors le lit pierreux et prirent le sentier des orques, qu’ils suivirent quelque temps. Les escarpements sur leur gauche étaient en surplomb, et on ne pouvait les voir d’en dessus, mais le sentier faisait de nombreux lacets, et à chaque tournant ils saisissaient la poignée de leurs épées et n’avançaient qu’avec précaution.

La lumière n’augmentait guère, car l’Oroduin vomissait toujours une grande fumée qui, poussée vers le haut par les courants opposés, s’élevait de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle atteignît une région au-dessus du vent et s’étendît en une voûte incommensurable, dont le pilier central se dressait hors des ombres au-delà de la vue. Ils avaient clopiné pendant plus d’une heure, quand ils entendirent un son qui les arrêta. Incroyable, mais indubitable. De l’eau qui dégouttait. D’une faille sur la gauche, si nette et si étroite qu’elle semblait tranchée dans l’escarpement noir par quelque hache géante, de l’eau dégoulinait : derniers restes, peut-être, de quelque douce pluie prélevée sur les mers ensoleillées, mais dont le mauvais sort voulait qu’elles tombassent finalement sur les murs de la Terre Noire pour se perdre en vain dans la poussière. Ici, elle sortait du rocher en une petite cascade, traversait le sentier et, tournant vers le sud, s’en allait rapidement disparaître parmi les pierres mortes.

Sam s’élança. « Si jamais je revois la Dame, je le lui dirai ! s’écria-t-il. De la lumière, et maintenant de l’eau ! « Puis il s’arrêta. « Laissez-moi boire le premier, Monsieur Frodon «, dit-il.

« Bon, mais il y a assez de place pour deux. «

« Ce n’est pas ce que je voulais dire, répliqua Sam. Je veux dire que si l’eau est empoisonnée ou si c’est

quelque chose qui montrera vite sa nocivité, eh bien, mieux vaut que ce soit moi que vous, maître, vous comprenez ? «

« Je comprends. Mais je crois que nous courrons notre chance ensemble, Sam, ou le bienfait. En tout cas, fais attention maintenant, si elle est très froide ! «

L’eau était fraîche, mais non glacée, et elle avait un goût désagréable, en même temps amer et huileux, du moins est ce ce qu’ils auraient dit chez eux. Ici, elle semblait au-dessus de tout éloge, et aussi de toute peur et de toute prudence. Ils burent tout leur content, et Sam remplit sa gourde. Après cela, Frodon se sentit plus dispos, et ils parcoururent encore plusieurs milles, jusqu’à l’élargissement du chemin, et le début d’un mur rude le long du bord les avertit de l’approche d’un nouveau repaire d’orques.

« Voici où nous nous détournons, Sam, dit Frodon. Et nous devons aller vers l’est. « Il soupira à l’aspect des sombres crêtes de l’autre côté de la vallée. « Il me reste à peu près juste assez de force pour trouver quelque trou là-haut. Et là, il me faudra prendre un peu de repos. «

Le lit de la rivière se trouvait à présent à quelque distance en contrebas du sentier. Ils y descendirent en jouant des pieds et des mains et commencèrent à le traverser. À leur surprise, ils tombèrent sur des mares sombres, alimentées par des filets d’eau issus de, quelque source située plus haut dans la vallée. Sur ses marges extérieures sous les montagnes occidentales, le Mordor était un pays mourant, mais non encore mort. Et il poussait encore des choses rudes, tordues, amères, qui luttaient pour la vie. Dans les ravins du Morgai, de l’autre côté de la vallée, étaient tapis des arbustes rabougris qui s’accrochaient, des touffes d’herbe grise et rêche le disputaient aux pierres, sur lesquelles rampaient des mousses desséchées, et partout s’étalaient des enchevêtrements de grandes ronces contorsionnées. Certaines avaient de longues épines perçantes, d’autres des dardillons crochus qui déchiraient comme des couteaux. Les tristes feuilles ratatinées d’une année passée y pendaient, crissant et crépitant dans les mornes airs, mais leurs bourgeons infestés de larves s’ouvraient tout juste. Des mouches, brun foncé ou noires, marquées comme les orques d’une tache en forme d’oeil rouge, bourdonnaient et piquaient, et au-dessus des buissons de ronces dansaient et tournoyaient des nuées de cousins affamés.

« L’équipement orque ne sert à rien, dit Sam, agitant les bras. Je voudrais bien avoir un cuir d’orque. «

Frodon finit par ne plus pouvoir aller plus loin. Ils avaient monté le long d’un étroit ravin en pente, mais ils avaient encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir seulement arriver en vue de la dernière crête déchiquetée. « Il faut que je me repose, Sam, et que je dorme, si je le puis «, dit Frodon. Il regarda alentour, mais il semblait n’y avoir dans ce morne pays aucun endroit où même un animal pourrait se glisser. Enfin, épuisés, ils rampèrent sous un rideau de ronces qui pendait comme une natte sur un pan de rocher bas.

Ils s’assirent là et prirent le repas qu’ils purent. Conservant le précieux lembas pour les jours funestes à venir, ils mangèrent la moitié de ce qui restait dans le sac de Sam des vivres fournis par Faramir : des fruits secs et une mince tranche de viande fumée, et ils sirotèrent de l’eau. Ils avaient encore bu aux mares de la vallée, mais ils avaient de nouveau très soif. Il y avait dans l’air de Mordor une certaine âpreté qui asséchait la bouche. Quand Sam pensait à l’eau, même la disposition à l’espoir qui était la sienne fléchissait. Au-delà du Morgai, il allait falloir traverser la terrible plaine de Gorgoroth.

« Maintenant, dormez le premier, Monsieur Frodon, dit-il. Il recommence à faire sombre. Je pense que cette journée tire à sa fin. «

Frodon soupira, et il fut endormi presque avant la fin de la phrase. Sam, luttant contre sa propre fatigue, prit la main de son maître, et il resta assis là en silence jusqu’à la tombée de la pleine nuit. Alors enfin, pour se tenir éveillé, il rampa hors de la cachette et regarda alentour. Le pays semblait plein de grincements, de craquements et de bruits furtifs, mais il n’y avait aucun son de voix ou de pas. Loin au-dessus de l’Ephel Duath à l’ouest, le ciel nocturne était encore terne et pâle. Là, Sam vit, pointant au milieu des nuages légers qui dominaient un sombre pic haut dans les montagnes, une étoile blanche et scintillante. Sa beauté lui poignit le coeur, tandis qu’il la contemplait de ce pays abandonné, et l’espoir lui revint. Car, tel un trait, net et froid, la pensée le transperça qu’en fin de compte l’Ombre n’était qu’une petite chose transitoire : il y avait à jamais hors de son atteinte de la lumière et une grande beauté. Son chant dans la Tour avait été plutôt un défi que de l’espoir, car alors, il pensait à lui-même. À présent, pendant un moment, son propre destin et même celui de son maître cessèrent de l’inquiéter. Il se glissa de nouveau sous les ronces et s’étendit à côté de Frodon, et, rejetant toute crainte, il se laissa aller à un profond et paisible sommeil.

Ils se réveillèrent en même temps, main dans la main. Sam était presque frais, prêt à affronter une nouvelle journée, mais Frodon soupira. Son sommeil avait été inquiet, plein de rêves de feu, et le réveil ne lui apportait aucun réconfort. Son sommeil n’avait toutefois pas été dénué de toute vertu curative : il était plus fort, mieux en état de supporter son fardeau pour une nouvelle étape. Ils ignoraient quelle heure il était et combien de temps ils avaient dormi, mais après avoir mangé un morceau et bu une gorgée d’eau, ils reprirent leur chemin le long du ravin jusqu’à sa terminaison en une pente raide d’éboulis et de pierres glissantes. Là, les dernières choses vivantes renonçaient à la lutte, les hauts du Morgai étaient sans herbe, nus, déchiquetés, d’une stérilité d’ardoise.

Après beaucoup de vagabondages et de recherches, ils trouvèrent un endroit où grimper, et, après une dernière centaine de pieds d’escalade et d’agrippements, ils atteignirent le haut. Ils arrivèrent à une crevasse

entre deux sombres rochers, et, passant dedans, ils se trouvèrent au bord même de la dernière barrière du Mordor. Sous eux, au fond d’une dénivellation de quelque quinze cents pieds, la plaine intérieure s’étendait pour se perdre dans une obscurité sans forme. Le vent du monde soufflait à présent de l’ouest, et les grands nuages, haut soulevés, flottaient vers l’est, mais ne venait encore aux lugubres champs de Gorgoroth qu’une lumière grisâtre. Là, des fumées traînaient sur le sol, s’attardant dans les creux, et des vapeurs s’échappaient de fissures dans la terre.

Toujours dans le lointain, à quarante milles au moins, ils virent la Montagne du Destin, dont le pied était fondé dans des ruines cendreuses et l’énorme cône s’élevait à une grande hauteur où sa tête fumante était enveloppée de nuages. Ses feux, à présent réduits, couvaient, et elle se dressait dans son sommeil, aussi menaçante et dangereuse qu’une bête endormie. Derrière, était suspendue une vaste ombre, inquiétante comme un nuage orageux : les voiles de Barad-dûr, dressées très loin sur un long éperon que les Monts Cendrés projetaient du nord. La Puissance Ténébreuse était plongée dans la méditation, et l’OEil se tournait vers l’intérieur, considérant des nouvelles de doute et de danger : elle voyait une épée brillante et un visage sévère et majestueux, et durant un moment, elle accorda peu de pensée à autre chose, et toute sa grande forteresse, porte après porte, et tour après tour, fut enveloppée d’une pesante obscurité.

Frodon et Sam contemplèrent cet odieux pays avec un mélange de dégoût et d’étonnement. Entre eux et la montagne fumante et autour d’elle au nord et au sud, tout paraissait ruine et mort : un désert brûlé et suffoqué. Ils se demandaient comment le Seigneur de ce royaume entretenait et nourrissait ses esclaves et ses armées. Aussi loin que portait le regard, à la périphérie du Morgai et vers le sud, il y avait des camps, certains de tentes, d’autres ordonnés comme de petites villes. L’un des plus grands de ceux-ci se trouvait juste sous eux. Il était ramassé à un mille à peine dans la plaine comme un grand nid d’insectes, avec des rues droites et mornes de baraquements et de longs bâtiments gris. Des gens affairés allaient et venaient alentour, une large route en partait en direction du sud-est pour rejoindre celle de Morgul, et l’on y voyait se hâter de nombreuses files de petites formes noires.

« Je n’aime pas du tout la façon dont les choses se présentent, dit Sam. C’est assez désespéré, je dirais sauf que là où il y a tant de gens, il doit y avoir des sources ou de l’eau, sans parler de nourriture. Et ce sont là des Hommes et non des Orques, si mes yeux ne me trompent du tout au tout. «

Ni lui ni Frodon ne savaient rien des grands champs travaillés par des esclaves dans l’extrême sud de ce vaste royaume, au-delà des fumées de la Montagne, près des tristes eaux sombres du Lac Nurnen, ni des grandes routes qui s’en allaient à l’est et au sud vers des pays tributaires, d’où les soldats de la Tour ramenaient de longs convois de camions chargés de marchandises, de butin et d’esclaves frais. Ici, dans les régions du nord, se trouvaient les mines et les forges, et les rassemblements pour une guerre depuis longtemps préparée, et ici la Puissance Ténébreuse, bougeant ses armées comme des pièces sur un échiquier, les rassemblait. Ses premiers mouvements, premiers éclaireurs de sa force, avaient été mis en échec sur sa ligne ouest, au sud et au nord. Elle les retirait provisoirement et amenait de nouvelles forces, les massant autour de Cirith Gorgor en vue d’un coup vengeur. Et s’il avait également été dans ses intentions de défendre la Montagne contre toute approche, elle n’aurait guère pu faire davantage.

« Bon ! poursuivit Sam. Quoi qu’ils aient à manger et à boire, on ne peut l’obtenir. Je ne vois aucun chemin pour descendre. Et même si on y arrivait, on ne pourrait franchir tout ce terrain découvert qui fourmille d’ennemis. «

« Il faut pourtant que nous le tentions, dit Frodon. Ce n’est pas pire que je ne m’y attendais. Je n’ai jamais espéré traverser. Je n’en vois aucun espoir à présent. Mais je dois toujours faire tout ce que je peux. Pour le moment, c’est d’éviter aussi longtemps que possible d’être pris. Il nous faut donc encore aller vers le nord, je pense, et voir de quoi cela a l’air là où la plaine découverte est plus étroite. «

« Je le devine, dit Sam. Là où c’est plus étroit, les Orques et les Hommes seront tout simplement plus tassés. Vous verrez, Monsieur Frodon. «

« J’y compte bien, si jamais nous arrivons jusque-là «, dit Frodon, se détournant.

Ils virent bientôt qu’il était impossible de passer par la crête, du Morgai, ainsi qu’en aucun des plus hauts niveaux, dépourvus de sentiers et coupés de gorges profondes. Ils finirent par être contraints de redescendre par le ravin qu’ils avaient escaladé pour chercher une voie le long de la vallée. C’était un rude labeur, car ils n’osaient traverser pour prendre le sentier du côté ouest. Au bout d’un ou deux milles, ils aperçurent, dans un creux au pied de l’escarpement, le repaire d’orques dont ils avaient deviné la proximité : un mur et un groupe de huttes établies autour d’une sombre entrée de caverne. On ne voyait aucun mouvement, mais les hobbits se glissèrent devant avec précaution, en restant le plus possible dans les fourrés d’épineux qui poussaient en ce point de part et d’autre du lit du ruisseau.

Ils parcoururent encore deux ou trois milles, et le repaire d’orques fut caché à leur vue derrière eux, mais à peine commençaient-ils à respirer plus librement qu’ils entendirent, rauques et fortes, des voix d’orques. Ils s’éclipsèrent promptement derrière un buisson brun et rabougri. Les voix approchèrent. Deux orques parurent bientôt. L’un était vêtu de haillons bruns et armé d’un arc de corne, il était de petite espèce, à la peau noire et aux larges narines reniflâmes : évidemment un traqueur de quelque sorte. L’autre était un grand orque combattant, semblable à ceux de la compagnie de Shagrat, portant le signe de l’OEil. Lui aussi avait un arc dans

« quelque chose qui montrera vite sa nocivité, eh bien, mieux vaut que ce soit m oi que vous, maître, vous comprenez ? » « Je comprends.

Mais je crois que nous courrons notre chance ensemble, Sam, ou le bienfait.

En tout cas, fais attention maintenant, si elle est très froide ! » L’eau était fraîche, mais non glacée, et elle avait un g oût désagréable, en même temps amer et huileux, du moins est ce ce qu’ils auraient dit chez eux.

Ici, elle semblait au -dessus de tout éloge, et aussi de toute peur et de toute prudence.

Ils burent tout leur content, et Sam remplit sa gourde.

Après cela, Fr odon se sentit plus dispos, et ils parcoururent encore plusieurs milles, jusqu’à l’élargissement du chemin, et le début d’un mur rude le long du bord les avertit de l’approche d’un nouveau repaire d’orques. « Voici où nous nous dé tournons, Sam, dit Frodon.

Et nous devons aller vers l’est.

» Il soupira à l’aspect des sombres crêtes de l’autre côté de la vallée.

« Il me reste à peu près juste assez de force pour trouver quelque trou là-haut.

Et là, il me faudra prendre un peu de repo s.

» Le lit de la rivière se trouvait à présent à quelque distance en contrebas du sentier.

Ils y descendirent en jouant des pieds et des mains et commencèrent à le traverser.

À leur surprise, ils tombèrent sur des mares sombres, alimentées par des filets d’eau issus de, quelque source située plus haut dans la vallée.

Sur ses marges extérieures sous les montagnes occidentales, le Mordor était un pays mourant, mais non encore mort.

Et il poussait encore des choses rudes, tordues, amères, qui luttaient pour l a vie.

Dans les ravins du Morgai, de l’autre côté de la vallée, étaient tapis des arbustes rabougris qui s’accrochaient, des touffes d’herbe grise et rêche le disputaient aux pierres, sur lesquelles rampaient des mousses desséchées, et partout s’étalaient des enchevêtrements de grandes ronces contorsionnées.

Certaines avaient de longues épines perçantes, d’autres des dardillons crochus qui déchiraient comme des couteaux.

Les tristes feuilles ratatinées d’une année passée y pendaient, crissant et crépitant d ans les mornes airs, mais leurs bourgeons infestés de larves s’ouvraient tout juste.

Des mouches, brun foncé ou noires, marquées comme les orques d’une tache en forme d’œil rouge, bourdonnaient et piquaient, et au -dessus des buissons de ronces dansaient et tournoyaient des nuées de cousins affamés. « L’équipement orque ne sert à rien, dit Sam, agitant les bras.

Je voudrais bien avoir un cuir d’orque.

» Frodon finit par ne plus pouvoir aller plus loin.

Ils avaient monté le long d’un étroit ravin en pente, ma is ils avaient encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir seulement arriver en vue de la dernière crête déchiquetée.

« Il faut que je me repose, Sam, et que je dorme, si je le puis », dit Frodon.

Il regarda alentour, mais il semblait n’y avoir dans ce morne pays aucun endroit où même un animal pourrait se glisser.

Enfin, épuisés, ils rampèrent sous un rideau de ronces qui pendait comme une natte sur un pan de rocher bas. Ils s’assirent là et prirent le repas qu’ils purent.

Conservant le précieux lem bas pour les jours funestes à venir, ils mangèrent la moitié de ce qui restait dans le sac de Sam des vivres fournis par Faramir : des fruits secs et une mince tranche de viande fumée, et ils sirotèrent de l’eau.

Ils avaient encore bu aux mares de la vallé e, mais ils avaient de nouveau très soif.

Il y avait dans l’air de Mordor une certaine âpreté qui asséchait la bouche.

Quand Sam pensait à l’eau, même la disposition à l’espoir qui était la sienne fléchissait.

Au -delà du Morgai, il allait falloir traverser la terrible plaine de Gorgoroth.

« Maintenant, dormez le premier, Monsieur Frodon, dit - il.

Il recommence à faire sombre.

Je pense que cette journée tire à sa fin. » Frodon soupira, et il fut endormi presque avant la fin de la phrase.

Sam, luttant contre s a propre fatigue, prit la main de son maître, et il resta assis là en silence jusqu’à la tombée de la pleine nuit.

Alors enfin, pour se tenir éveillé, il rampa hors de la cachette et regarda alentour.

Le pays semblait plein de grincements, de craquements e t de bruits furtifs, mais il n’y avait aucun son de voix ou de pas.

Loin au- dessus de l’Ephel Duath à l’ouest, le ciel nocturne était encore terne et pâle.

Là, Sam vit, pointant au milieu des nuages légers qui dominaient un sombre pic haut dans les montagn es, une étoile blanche et scintillante.

Sa beauté lui poignit le cœur, tandis qu’il la contemplait de ce pays abandonné, et l’espoir lui revint.

Car, tel un trait, net et froid, la pensée le transperça qu’en fin de compte l’Ombre n’était qu’une petite chos e transitoire : il y avait à jamais hors de son atteinte de la lumière et une grande beauté.

Son chant dans la Tour avait été plutôt un défi que de l’espoir, car alors, il pensait à lui -même.

À présent, pendant un moment, son propre destin et même celui de son maître cessèrent de l’inquiéter.

Il se glissa de nouveau sous les ronces et s’étendit à côté de Frodon, et, rejetant toute crainte, il se laissa aller à un profond et paisible sommeil. Ils se réveillèrent en même temps, main dans la main.

Sam était pr esque frais, prêt à affronter une nouvelle journée, mais Frodon soupira.

Son sommeil avait été inquiet, plein de rêves de feu, et le réveil ne lui apportait aucun réconfort.

Son sommeil n’avait toutefois pas été dénué de toute vertu curative : il était plu s fort, mieux en état de supporter son fardeau pour une nouvelle étape.

Ils ignoraient quelle heure il était et combien de temps ils avaient dormi, mais après avoir mangé un morceau et bu une gorgée d’eau, ils reprirent leur chemin le long du ravin jusqu’à sa terminaison en une pente raide d’éboulis et de pierres glissantes.

Là, les dernières choses vivantes renonçaient à la lutte, les hauts du Morgai étaient sans herbe, nus, déchiquetés, d’une stérilité d’ardoise. Après beaucoup de vagabondages et de reche rches, ils trouvèrent un endroit où grimper, et, après une dernière centaine de pieds d’escalade et d’agrippements, ils atteignirent le haut.

Ils arrivèrent à une crevasse. »

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