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Dissertation: Comment savons-nous que nous ne rêvons pas ?

Publié le 22/02/2012

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Si un artisan rêvait chaque nuit, douze heures durant de suite, qu'il est roi, il ne serait pas moins heureux qu'un roi réel, écrit PASCAL (Pensées. B 3861). Une pareille supposition est - elle si extravagante et si folle, comme le proclame la première Méditation Métaphysique de  DESCARTES ("Mais quoi ? ce sont des fous ...")2 ? Mais alors ce serait une folie bien ordinaire que celle qui nous fait déclarer : "Il me semble que je rêve", tandis que nous ne sommes pas en mesure de distinguer la veille et le rêve. Savoir que nous ne rêvons pas suppose d'abord qu'une frontière sépare chacun de ces deux états, frontière constante, d'autre part que nous puissions disposer de moyens par lesquels nous pouvons nous assurer infailliblement que nous sommes éveillés.

Mais quels sont ces moyens et quelle valeur leur accorder ? ------------------------------------------------------------------ Plusieurs critères peuvent nous assurer que nous veillons et que nous ne croyons pas seulement et faussement veiller. Nous sortons d'un rêve : le rêve prend fin et il débouche sur le réveil. "Un matin, au sortir d'un rêve agité…", écrit KAFKA dans la Métamorphose. Le rêve n'est pas un état permanent, ni un état durable. On ne reste pas dans le rêve ; on ne séjourne pas dans le rêve. Pourtant, le rêve de Gregor SAMSA a pris corps : SAMSA réalise son rêve : il devient scarabée. Il y a dans la réalité que nous vivons un sentiment plus vif de liberté. Le rêveur subit ce qui lui arrive : il n'en décide pas. Le rêveur assiste à ce qu'il est en train de se produire sans pouvoir modifier ou sans pouvoir agir sur le cours du rêve. Mais dans la réalité parfois nous aussi nous nous sentons dépassés par les événements qui arrivent. Le rêve semble contenir moins de vivacité et moins de diversité que la réalité. Les sentiments éprouvés sont plus intenses dans la réalité et la réalité offre plus de situations diverses que n'en propose le rêve. Cependant, le rêve est parfois si intense que l'on regrette de devoir le quitter ou que l'on éprouve au contraire du soulagement de sortir d'un cauchemar. Aucun de ces critères n'est suffisant pour nous assurer que nous ne rêvons pas. Est - ce à dire que nous dormons debout et que nous rêvons les yeux éveillés ? Certains arguments le laissent en effet entendre. ------------------------------------------------------------------ Les arguments sceptiques ne manquent qui nous assurent que la vie est un songe et que la frontière est mouvante entre le rêve et la réalité. Tout n'est qu'illusion selon PYRRHON d'ELIS et les sceptiques. Il ne faut pas en croire ses yeux : les yeux ne nous ouvrent pas sur le monde extérieur. PYRRHON, dit DIOGENE LAERCE, était guidé dans ses actes quotidiens par ses disciples qui le protégeaient des dangers possibles. Mais ainsi tout ne saurait être illusion : l'illusion suppose une comparaison avec la réalité ; la présence des disciples au côté de PYRRHON montre que la réalité subsiste. Tout cependant ne peut être qu'apparence : nul n'est jamais sûr que ce qu'il voit ou que ce qu'il vit est bien tel qu'il le voit ou tel qu'il le vit. SIGISMOND de La vie est un songe de CALDERON ne peut plus faire le partage entre le rêve et la réalité : ce qu'il voit n'a plus de consistance puisqu'il passe de la servitude et de la misère à la royauté et à la puissance. Mais cette apparence est entretenue : elle n'est ni spontanée ni naturelle. Des serviteurs entretiennent les apparences dont est victime SIGISMOND. La réalité est encore là. La réalité n'est peut - être qu'un rêve plus convaincant. La réalité est un rêve parce que seul le rêve est. Il n'existe pas de sortie au - dehors du rêve. C'est peut - être le sens de l'apologue de TCHOANG - TSEU : "Jadis, une nuit, je fus un papillon, voltigeant content de son sort. Puis je m'éveillai, étant Tchoang - Tseu. Mais suis - je bien le philosophe Tchoang - Tseu qui se souvient d'avoir rêvé qu'il fut papillon ou suis - je un papillon qui rêve maintenant qu'il est le philosophe Tchoang - Tseu ?"3 . Mais le rêve de l'artisan de PASCAL présentait cependant plusieurs caractères qui, s'il le rendait plausible, le remettent à sa place de rêve. ------------------------------------------------------------------ Certains critères, non encore évoqués, permettent de séparer le rêve de la réalité. Un monde serait - il possible s'il n'était qu'un monde rêvé ? La cohérence et la continuité sont absentes des rêves. Les rêves ne sont pas aussi cohérents que les faits et les événements de la vie ordinaire. Ils ne s'enchaînent pas et ils ne s'enchaînent pas de manière suivie. Quel homme rêve douze heures de suite qu'il est roi, et avec tous les avantages de la royauté ? . "(…) la vie est un songe un peu moins inconstant", écrit  PASCAL qui laisse le soupçon planer alors que DESCARTES est plus incisif : "(…) quand bien même je dormirais, tout ce qui se présente à mon esprit avec évidence, est absolument véritable"4 (DESCARTES. Méditations métaphysiques. VI). Mais ce que dit DESCARTES c'est que le rêve n'importe pas au contenu de la vérité qui se présente à l'esprit, - non pas que je ne rêve pas.

Nul n'est responsable de son rêve ; nul n'est responsable dans son rêve. Le rêveur peut tuer, piller, violer comme bon lui semble sans qu'il ait nécessairement à rendre compte de ses méfaits à un tribunal, à une société ou à sa conscience. SIGISMOND ne serait pas responsable de meurtre s'il ne faisait que rêver. Mais il ne rêve pas et il a bien tué. La réalité est commune alors que le rêve est privé. Chacun rêve son rêve alors que la réalité est la même pour tous. Et si la vie est un rêve alors elle est un rêve qui se partage. La conséquence est que je peux parler de mon rêve mais que je ne peux pas parler de mon rêve dans mon rêve, alors que je peux parler de la réalité dans la réalité. ------------------------------------------------------------------ Entre : "Je rêve", et : "Il me semble que je rêve", davantage qu'une nuance, le doute s'installe, le langage apparaît qui ouvre le monde de la conscience. Dans le rêve, la conscience est prise (et éprise) au jeu des images qu'elle suscite ou qu'elle supporte. Dès lors qu'elle s'interroge sur la réalité de ce jeu, dès lors qu'est posée la question de sa réalité, quelle que soit la signification donnée à ce mot de réalité, la conscience n'est plus dans le rêve même si elle n'est pas encore dans ce monde. C'est parce que je peux douter que veille et parce que je peux appréhender rêver alors que je crois veiller, que, précisément, je peux être sûr de ne pas rêver. 

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