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Dix ans de cauchemar et plus de 100 000 morts...

Publié le 17/01/2022

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16 décembre 2000 L'ALGÉRIE va entrer en janvier dans sa dixième année de violence armée. C'est en effet en janvier 1992, avec l'interruption par l'armée des élections législatives en passe d'être gagnées par les islamistes, que le pays a basculé dans un cauchemar sanglant. On en connaît le prix. Plus de 100 000 morts, une économie en déshérence - excepté le secteur des hydrocarbures - boudée par les capitaux étrangers, une société malade, des cadres qui fuient le pays par dizaines de milliers, des jeunes qui n'aspirent qu'à les imiter... La vie publique porte aussi la marque des malheurs du temps. En moins d'une décennie, cinq dirigeants se sont succédé à la tête de l'Etat. Le décompte des premiers ministres est encore plus impressionnant : le pays en a usé huit en neuf ans. Pareille rotation n'est pas le signe d'une bonne santé et l'on comprend la nostalgie de certains Algériens pour les années Boumediène, où président et ministres étaient inamovibles. C'est maintenant au tour du président Bouteflika de se retrouver en première ligne. Pas un jour ne se passe sans que la presse privée ne rende le successeur de Liamine Zeroual responsable de la recrudescence actuelle de la violence. L'argumentation des adversaires du chef de l'Etat tient en une affirmation que résume parfaitement un porte-parole de l'ANR, l'un des partis de la coalition gouvernementale : « La loi sur la concorde civile a favorisé la recrudescence du terrorisme. » Il faut se souvenir que, en juillet 1999, le chef de l'Etat a fait voter la loi sur la « concorde civile ». Valable six mois mais prorogée de fait, elle visait à amnistier les islamistes armés non coupables de crime de sang et de viol. Plébiscité par référendum, le texte visait à ramener la paix civile, conformément aux engagements du candidat Bouteflika. De fait, la justice n'a pas été très regardante et plusieurs milliers de « barbus » ont bénéficié de la nouvelle loi. Quelques « émirs », c'est certain, ont ainsi pu se refaire à bon compte une virginité tout en se reconvertissant dans les affaires. D'autres islamistes ont sans doute repris le chemin du maquis, tandis que la majorité des autres « repentis », des sans-grade, vivotent dans leurs familles et évitent de se montrer par crainte des vengeances. ÉLAN BRISÉ Avec la promulgation de la loi sur la concorde civile, disent les opposants au chef de l'Etat, un élan a été brisé. En permettant à des « centaines de terroristes (...) d'être libres sans passer par la justice, [la loi] a considérablement amoindri la détermination des patriotes et des forces de sécurité », résume Liberté. Selon le quotidien, il ne fait par ailleurs guère de doute que les groupes armés ont su mettre à profit la période d'accalmie qui a suivi le vote de la loi pour se réarmer. Faire porter au chef de l'Etat et à la loi sur la « concorde civile » la responsabilité du regain de violence est de bonne politique. Ceux qui le font, les « éradicateurs », n'ont jamais admis d'autre solution qu'une répression accrue pour venir à bout des groupes armés islamistes. Mais ils se trompent de cible. Contrairement à ce qu'ils tentent de faire croire, le texte qui organise la « concorde civile » est tout sauf audacieux. Il pêche davantage par sa timidité que par sa hardiesse. Comme le faisait observer un dirigeant du FIS, Abdelkader Hachani, peu avant son assassinat ( Le Monde du 17 septembre 1999), la loi de juillet 1999 organise surtout la « reddition » individuelle des islamistes plus qu'une réconciliation nationale. Et, surtout, elle se situe dans le droit-fil de l'accord négocié à l'automne 1997 - donc sous la présidence de Liamine Zeroual - entre les responsables de l'armée et les chefs de l'Armée islamique du salut (AIS). Le président Bouteflika n'a guère fait qu'entériner la démarche. Il n'empêche que le chef de l'Etat est à nouveau en difficulté et que, comme en pareil cas en Algérie, les rumeurs sur son remplacement, à mi-parcours de son mandat, vont bon train. Les précédents de Chadli Bendjedid et de Liamine Zeroual, tous deux poussés vers la sortie par leurs pairs généraux, ne sont pas loin dans les esprits. Plusieurs noms circulent déjà. Celui de l'ancien premier ministre Sid Ahmed Ghozali, un homme réputé proche des cercles dirigeants de l'armée, revient souvent. De façon plus surprenante, celui de Ahmed Taleb Ibrahimi est aussi évoqué dans certains milieux. Ministre, des années durant, sous Houari Boumediène et Chadli Bendjedid, le « docteur Taleb » se veut l'incarnation d'un islam réconcilié avec la modernité. La facilité avec laquelle l'ancien ministre a accepté de saborder son parti à peine sorti des limbes, le Wafa, faute d'avoir reçu l'agrément de l'Etat, est le meilleur indice, glissent certains, qu'il a reçu des assurances pour son avenir. ERREURS GROSSIÈRES Au-delà du destin personnel du président Bouteflika, son départ anticipé signifierait qu'une fois encore, malgré toutes ces années de malheur, les décideurs algériens - c'est-à- dire les responsables de l'armée - ne veulent pas d'une solution politique. Le « contrat de Rome », négocié en janvier 1994, entre « démocrates » et « islamistes » ouvrait pourtant des pistes. Il fallait les explorer et non pas les fermer. Quoi qu'il en soit, la situation de l'actuel chef de l'Etat serait sans doute mieux assurée s'il n'avait commis des erreurs grossières, comme celle d'imposer le silence à la télévision nationale sur les massacres perpétrés ces derniers jours. Comme s'ils n'avaient jamais eu lieu. La mesure est aussi choquante qu'inefficace. Equipés de paraboles qui leur permettent de capter les télévisions étrangères, la plupart des foyers algériens sont à même de savoir ce qui se passe dans leur pays. Et sans doute les Algériens auraient-ils apprécié que leur président s'adresse à la nation dans ces circonstances dramatiques. Faute de l'avoir fait, le maigre crédit du président Bouteflika va s'en trouver encore réduit.

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