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droits seigneuriaux

Publié le 07/02/2013

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1   PRÉSENTATION

droits seigneuriaux, ensemble des droits (revenus en nature ou en argent) attachés à la possession d’un fief.

En 1789, la question des droits seigneuriaux est l’objet de la colère exprimée dans les cahiers de doléances du tiers état. Déjà, les philosophes du siècle des Lumières, en particulier les rédacteurs de l’Encyclopédie, les dénoncent avec force. En fait, ces droits incarnent un ordre féodal dont ils sont une réminiscence à la fois obsolète aux yeux des philosophes et vexatoire aux yeux des paysans. Ils sont même reconnus peu rentables par les seigneurs qui en bénéficient. Leur étude permet aux historiens d’aujourd’hui de pénétrer au cœur du monde de la féodalité.

2   ORIGINE DES DROITS SEIGNEURIAUX
2.1   Un héritage antique

La création des droits féodaux est le résultat d’un processus qui commence avec la dislocation du système esclavagiste des villae, grandes exploitations agricoles romaines. Aux VIe et VIIe siècles, au moment des Grandes Invasions, nombre de ces propriétés sont démembrées au profit des envahisseurs barbares, Francs, Wisigoths ou Burgondes en particulier, mais aussi à celui des paysans libres ou affranchis. En outre, dès le IVe siècle, des lètes (colons militaires) barbares ont été installés par les Romains sur des terres agricoles qu’ils ont pour charge de défendre. Les progrès de la christianisation favorisent le recul de l’esclavage aux temps mérovingiens, au profit d’un système où le puissant, souvent grand propriétaire barbare ou romanisé, concède un beneficium (bienfait) ou precarium (jouissance révocable et précaire) au paysan qui vient se placer sous sa protection.

2.2   La création de différents espaces seigneuriaux

Les domaines qui se constituent sont divisés en deux espaces : la réserve et les tenures. La réserve, la partie la plus petite du domaine, est exploitée par des paysans non libres et non chasés, c’est-à-dire non dotés d’un precarium ou d’une tenure. La tenure est donc la source essentielle du revenu des paysans libres ; mais, en contrepartie, ils doivent à leur seigneur des corvées. Dès le VIe siècle et sans doute en héritage d’une loi des Alamans, la riga, la tenure impose à chaque tenancier de cultiver aussi une « pièce « de la réserve.

L’extension des réserves aux VIIe et VIIIe siècles et le recul des sources d’« approvisionnement « en esclaves amènent les propriétaires à recourir de plus en plus au travail des paysans chasés. Les contraintes sont d’autant plus fortes que l’autorité des leudes, fidèles des rois mérovingiens, est importante : en Auvergne, en Aquitaine, dans la Brie, la petite propriété disparaît ainsi presque totalement dès la fin de l’époque mérovingienne. Ce changement entraîne, selon des rythmes qui varient d’une région de la chrétienté à l’autre, la mise en place du servage entre le Xe et le XIIe siècle.

2.3   Le servage

Le servage est plus ou moins important : dans certaines régions, des « franchises « (éxonérations) sont accordées à des groupes de paysans pour accélérer la mise en valeur des terres ; parfois, comme en 997 en Normandie, ceux qui travaillent la terre se révoltent contre les abus de leurs seigneurs. Les charges imposées à des degrés divers aux paysans plus ou moins asservis constituent l’origine directe des droits seigneuriaux. Le servage peut reculer sous l’action, par exemple, des rois de France dans leur domaine. L’attachement des paysans à la terre demeure la règle générale, avec les droits multiples qui en découlent.

3   LA DIVERSITÉ DES DROITS SEIGNEURIAUX

Acquérir un fief, c’est donc acquérir en même temps les serfs qui peuvent s’y trouver et, surtout, les droits dus par les paysans qui l’exploitent ; dès le milieu du Moyen Âge, les roturiers peuvent — moyennant le paiement du franc-fief — acquérir des seigneuries et prélever eux aussi les droits seigneuriaux. À partir du XIIe siècle, ceux-ci sont progressivement inscrits sur des chartes appelées terriers.

Il est pratiquement impossible de dénombrer les différents droits seigneuriaux, tant est fertile et variée l’imagination des seigneurs en matière de prélèvements. Serfs ou libres du domaine royal, tous les paysans, à l’exception des rares alleutiers possédant en pleine propriété leur terre, sont soumis au prélèvement seigneurial.

Dans ce maquis terminologique se distinguent en fait quatre catégories de droits seigneuriaux.

3.1   Le droit de justice

La première catégorie est relative au plus ancien des droits seigneuriaux : celui de rendre la justice dans son fief. Le symbole de ce droit justicier du seigneur est la possession d’un colombier dont l’héritage n’est dévolu qu’au seul héritier du fief, sauf en Normandie. Dans les faits, les justices seigneuriales sont innombrables, chaque paysan pouvant dépendre de trois ou quatre instances juridiques différentes. Les seigneurs perdent, à partir du XVe siècle, l’essentiel des fonctions de haute et moyenne justice, récupérées par la jurisprudence royale ; mais le droit de prélever des amendes pour braconnage ou pâtures illicites, la fonction d’arbitrage des innombrables conflits de bornage confère une grande importance à la justice seigneuriale (la prison est souvent son outil). Les seigneurs doivent concéder à des juges qualifiés la tenue des audiences, mais s’assurent des revenus importants par rapport à l’ensemble des revenus seigneuriaux, avec ces concessions et avec la part prélevée sur les amendes. Le caractère insupportable des justices seigneuriales constitue, à partir du XVIIe siècle, une partie obligée des écrits politiques consacrés à la justice. De Boileau à Malesherbes, tous les écrivains lui consacrent d’importants passages.

3.2   La corvée

La deuxième catégorie relève des travaux dus par les paysans à leur seigneur pour l’entretien de « la directe «, part du domaine seigneurial dont les revenus sont la pleine propriété du seigneur. Ainsi, dans une partie du domaine (souvent la marche), chaque paysan doit l’arban, c’est-à-dire une semaine de son travail au seigneur. Les corvées sont le lot commun de tous les paysans ; à partir du XVIIe siècle, la jurisprudence coutumière en limite la durée à douze jours annuels — auxquels l’administration monarchique tente de substituer des corvées royales pour l’entretien des routes.

3.3   Les autres redevances paysannes

La troisième catégorie de droits provient du droit de propriété éminent du seigneur sur les tenures concédées à ses paysans. Ce droit éminent lui permet de percevoir un cens annuel, d’un montant fixé dans le terrier et donc d’un poids devenu, à partir du XVIIe siècle, presque négligeable en temps d’abondance. De nombreuses variantes et ajouts existent, alourdissant le cens. L’ensemble des tenures est souvent désigné sous le nom de censive.

Le champart devient souvent le complément en nature du cens ; il porte sur une partie de la récolte — du tiers au vingtième du total. Terrage, agrier, tasque sont quelques-uns des synonymes régionaux du champart.

L’afforage est la quantité de boisson due au seigneur quand un tonneau est mis en perce. Toutes les productions agricoles peuvent ainsi faire, au moment de leur mise en vente, l’objet d’un prélèvement.

En général, les banalités désignent les droits perçus par le seigneur sur l’utilisation des équipements communs aux paysans du fief : le moulin à farine, le pressoir à raisin, le four à pain sont ainsi une source de revenus importante pour lui. Le seigneur peut aussi se réserver le monopole de la vente des produits pendant certains jours de l’année. En Bretagne, on parle du droit de banc et étanche. Le droit de banvin, qui concerne le vin, porte sur trente ou quarante jours.

Les droits liés aux problèmes de succession relèvent de la même catégorie. Les paysans d’un fief sont en effet considérés comme mainmortables : ils ne peuvent léguer leur tenure à leurs successeurs, sauf s’ils payent une redevance appelée la mainmorte. L’acapte, en Aquitaine, est un droit versé par les paysans au successeur d’un seigneur, puisqu’en général, la mort d’un seigneur entraîne l’annulation des baux concédés aux paysans. En Bretagne, le devoir de chéant et levant oblige les héritiers d’un mainmortable à acquitter chacun le cens dû par le seul défunt.

3.4   Le droit de passage

La dernière catégorie concerne les droits de passage que le seigneur peut prélever sur les étrangers. Ces péages constituent le seul des droits seigneuriaux contre lequel le pouvoir royal lutte continûment et avec une relative efficacité dès la fin du Moyen Âge. D’une part, ces péages sont l’occasion d’abus fréquents des seigneurs qui omettent d’en préciser les montants ; d’autre part, ils freinent considérablement les transports commerciaux à l’intérieur du royaume. Successivement, tous les ministres, du XVIe au XVIIIe siècle, tentent de diminuer, sinon de confisquer, les péages seigneuriaux.

4   LA FIN DES DROITS SEIGNEURIAUX
4.1   La nuit du 4 Août

La nuit du 4 août 1789 est celle de l’abolition des privilèges et des droits féodaux. En réalité, ce moment d’enthousiasme ne prive immédiatement les « ci-devants « seigneurs que de leurs privilèges (banc réservé, armoiries, honneurs divers) et de leurs droits de justice. Les impôts liés à la féodalité sont « rachetables « par les paysans : les droits les plus lourds sont donc maintenus, de fait, pour les plus démunis, donc les plus nombreux. La célébrité de la nuit du 4 Août doit beaucoup au fait qu’elle enclenche le mécanisme de destruction législative du système féodal et qu’elle fait aussitôt l’objet d’une intense propagande commémorative. Il faut attendre le 17 juillet 1793, au début de la Convention montagnarde, pour que l’ensemble des droits féodaux soit totalement, définitivement et sans aucune restriction, aboli.

4.2   Le processus de l’abolition

La nuit du 4 Août résulte d’une triple évolution.

Sur la courte durée, la nuit du 4 Août est la conséquence de la Grande Peur, mouvement qui résulte à la fois de rumeurs rurales liées aux révolutions parisiennes de juin et juillet 1789 (du serment du Jeu de paume à la prise de la Bastille) et de la colère accumulée par les paysans depuis le début des années 1780 face à la « réaction féodale « qui a poussé de nombreux seigneurs à recouvrer et à réactualiser la totalité de leurs droits.

Sur la durée moyenne, le XVIIIe siècle, période de prospérité, voit la mise en accusation des aspects les plus contraignants des droits féodaux : nombre de paysans, en particulier dans les régions les plus riches en céréaliculture ou en vignoble, se dispensent des corvées et font tomber dans l’oubli de nombreux impôts, comme certains champarts. Pour les élites, la dénonciation des droits seigneuriaux porte à la fois sur les privilèges les plus archaïques (le comte Almaviva qui renonce au droit de cuissage dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais) et sur la contradiction entre ces droits seigneuriaux et le développement libéral, prôné par les physiocrates de l’économie du royaume.

Sur la longue durée, nombre de droits seigneuriaux ont subi une considérable dégradation : le cens en particulier, dont le montant fixe avait fortement diminué avec les dévaluations successives de la livre tournoi au cours des XVIe et XVIIIe siècles. Cette dévalorisation entraîne, surtout à partir du XVIIe siècle, la mise en vente de parties considérables des réserves seigneuriales, transformées en tenures affermées, voire vendues purement et simplement.

Avec la fin des droits seigneuriaux, c’est en fait tout l’édifice de l’ancien système social et économique qui entre, en 1789, dans le passé.

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