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Éloge des passions

Publié le 30/03/2014

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Éloge des passions

 

I - On déclame sans fin contre les passions ; on leur impute toutes les peines de l'homme, et l'on oublie qu'elles sont la source de tous ses plaisirs. C'est dans sa constitution un élément dont on ne peut dire ni trop de bien ni trop de mal. Mais ce qui me donne de l'humeur, c'est qu'on ne les regarde jamais que du mauvais côté. On croirait faire injure à la raison, si l'on disait un mot en faveur de ses rivales. Cependant il n'y a que les passions, et les grandes pas¬sions, qui puissent élever l'âme aux grandes choses. Sans elles, plus de sublime, soit dans les moeurs, soit dans les ouvrages ; les beaux-arts retour-nent en enfance, et la vertu devient minutieuse.

II - Les passions sobres font les hommes communs. Si j'attends l'ennemi, quand il s'agit du salut de ma patrie, je ne suis qu'un citoyen ordinaire. Mon amitié n'est que circonspecte, si le péril d'un ami me laisse les yeux ouverts sur le mien. La vie m'est-elle plus chère que ma maîtresse, je ne suis qu'un amant comme un autre.

III - Les passions amorties dégradent les hommes extraordinaires. La contrainte anéantit la grandeur et l'énergie de la nature.

V - C'est le comble de la folie, que de se proposer la ruine des passions. Le beau projet que celui d'un dévot qui se tourmente comme un forcené pour ne rien désirer, ne rien aimer, ne rien sentir, et qui finirait par devenir un vrai monstre s'il réussissait !

D. Diderot, Pensées philosophiques, I, II, III et V, « Œuvres philosophiques «,

Garnier-Flammarion, 1968.   

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