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En Côte d'Ivoire, la rue chasse le général putschiste Robert Gueï

Publié le 17/01/2022

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25 octobre 2000 « Unis nous courons à l'échec ; désunis, nous y parviendrons ! » Dans une formule à l'emporte-pièce dont il était coutumier, à l'occasion de sa « profession de foi » de candidat, le général Robert Gueï avait - sans le vouloir - prédit l'avenir. Dix mois jour pour jour après avoir été porté au pouvoir par de jeunes mutins, le « candidat du peuple » a commis l'erreur de ne pas respecter le verdict des urnes. Mardi, après avoir dissous la Commission nationale électorale (CNE), il se proclamait « premier président de la IIe République » et dédiait sa victoire au « grand peuple ivoirien ». Mais au même moment, des centaines de manifestants descendaient dans la rue pour protester contre ce coup de force et exiger la reconnaissance de la victoire du candidat socialiste, Laurent Gbagbo, du Front populaire ivoirien (FPI). Dispersés peu avant le couvre-feu, à 21 heures, ils promettaient se revenir dès le lendemain matin. « Ils seront mieux organisés, ils auront des lance- pierres et des cailloux », annonçait le FPI. A MAINS NUES Mercredi 25 octobre au matin, ils étaient des centaines de milliers, quasiment à mains nues, à affronter des militaires qui n'ont pas hésité à tirer à bout portant. Un corps calciné à la présidence, deux devant la télévision nationale, cinq repêchés dans la lagune, des dizaines de blessés : on ne connaît pas encore le bilan de cette journée d'insurrection, mais jamais Abidjan n'avait connu mobilisation aussi grande et répression aussi féroce. En début de soirée, des manifestants réussissaient à pénétrer dans le palais présidentiel. Le général Gueï n'y était plus, et on ignorait ce qu'il était advenu de lui. A fin de la journée, il ne se trouvait quasiment plus personne pour le défendre encore. Heure après heure, ses fidèles l'avaient abandonné. Le premier à déclarer forfait fut le ministre de la communication, le capitaine de frégate Henri Sama, membre de la junte, qui annonçait sa démission. « Gbagbo a gagné. Nous n'avons qu'une parole : il faut que le général Gueï la respecte. Il faut qu'il abdique et que nous évitions un bain de sang », déclarait-il. Quelques heures plus tard, un autre membre influent de la junte démissionnait également. En milieu de matinée, la Gendarmerie, restée passive depuis le début des événements, annonçait son ralliement aux manifestants (lire page 3). Partout, en ville, des soldats des forces armées nationales fraternisaient avec les marcheurs. Seule la garde prétorienne du régime Gueï, la « Brigade rouge », forte d'environ 400 hommes, continuait à se battre. APPEL À LA REDDITION En début d'après-midi, le chef de cette unité, le sergent-chef Laurent Boka Yapi, téléphonait à la presse. Visiblement apeuré, il voulait faire passer un ultime message. « Je demande à tous les soldats de rentrer dans les casernes. Je ne veux pas avoir une guerre civile sur la conscience », clamait ce jeune officier, tentant ainsi de s'attirer la compassion de journalistes qu'il avait brutalisés pendant des mois. Mais son appel à la reddition n'était pas entendu. Tout l'après-midi, les affrontements continuaient et des tirs sporadiques retentissaient à intervalles réguliers dans plusieurs quartiers de la ville. L'apparition de Laurent Gbagbo à la télévision nationale en milieu de journée, réaffirmant être le vainqueur de la présidentielle, ne changeait pas la situation. Mais peu à peu, la « Brigade rouge » semblait se disloquer. Les tirs se faisaient de plus en plus espacés. A la tombée de la nuit, le dernier carré de résistance, le Palais présidentiel, était envahi. Laurent Gbagbo avait gagné son pari : réussir un « scénario à la yougoslave » contre un général Gueï mauvais perdant. A 20 h 30, toutes les forces armées se ralliaient à lui. « Vos armées, l'armée de terre, la marine, l'armée de l'air, sont là à vos côtés pour vous dire qu'elles se mettent à votre disposition », annonçait à la télévision le chef d'état- major, le général Soumaïla Diabakaté. Le leader du FPI déclarait qu'il ne prendrait ses fonctions qu'après la proclamation des résultats par la Commission nationale électorale et par la Cour suprême. A 21 h, le président de la CNE, Honoré Guié, qui n'était pas apparu en public depuis qu'il avait été enlevé par la « Brigade rouge » mardi, commençait à égrener les chiffres, circonscription par circonscription. Laurent Gbagbo n'aura pas la tâche facile. Des voix se sont déjà élevées en Côte d'Ivoire pour lui contester la victoire. Dès mercredi après-midi (lire ci-dessous), des militants du Rassemblement des républicains (RDR) ont manifesté pour réclamer l'annulation de cette élection, dont le candidat du RDR, Alassane Ouattara, avait été écarté.

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