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George W. Bush seul contre tous

Publié le 17/01/2022

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1er mai 2001 GEORGE W. BUSH vient de subir un échec cuisant avec le vote par le Sénat d'un projet de réforme du financement politique présenté par son grand rival, le sénateur John McCain, et auquel il était farouchement opposé. Et il est contraint de s'impliquer à nouveau dans des crises - en Chine, au Proche-Orient ou dans les Balkans - avec lesquelles il avait tenté de prendre ses distances. La lune de miel d'un président, surtout mal élu, n'est pas éternelle, et M. Bush commence à s'apercevoir que la réalité est têtue. Pourtant, en politique intérieure comme en politique étrangère, « W » a entamé son mandat sur les chapeaux de roue. Au cours de ses dix premières semaines à la Maison Blanche, il a insufflé à son administration un conservatisme comme l'Amérique n'en avait pas connu depuis Ronald Reagan. Selon le New York Times, « il a ravi les idéologues républicains en faisant mieux que Reagan avec un ouragan de mesures autoritaires de déréglementation ». Sonnée par une campagne électorale sans précédent, l'Amérique s'attendait à souffler un peu. D'autant que le nouveau président avait promis de tirer un trait sur l'ère Clinton en instaurant un véritable bipartisme. Il n'en a rien été. Comme s'il était pressé de réaliser les aspects les plus idéologiquement conservateurs de son programme en profitant du désarroi des démocrates, il a lancé son plan de baisse massive des impôts et adopté, en politique extérieure, une stratégie alliant un désengagement des grands conflits à un « réalisme » fleurant bon la guerre froide, en particulier envers la Chine, avec laquelle la tension a soudain monté à la suite d'un sérieux incident aérien. Et ce à la grande surprise des experts qui abondent dans la capitale fédérale. M. Bush avait pourtant annoncé la couleur sur des thèmes-clés comme l'avortement (il est contre) ou l'environnement (il est favorable à l'exploitation des ressources énergétiques et à une réglementation minimale). Il avait même eu ces mots : « Vous jugez l'homme par la compagnie qu'il se donne. » De fait, à quelques exceptions près, il a choisi ses collaborateurs dans le vivier de la droite conservatrice et religieuse, dont il ne s'est jamais caché de faire partie. Son « conservatisme compassionnel » a mal résisté à l'épreuve des faits, si ce n'est dans un domaine qui lui est cher, l'éducation. Il a choisi le débauchage au coup par coup d'élus démocrates plutôt qu'un véritable dialogue pour faire passer ses projets. Il a, dès le 20 janvier, coupé les fonds aux ONG pratiquant l'IVG à l'étranger. Il a abrogé une des dernières décisions de Bill Clinton concernant la santé des employés sur leur lieu de travail, comme le réclamait le patronat, et taillé dans les droits syndicaux. Il a annulé la réduction du taux d'arsenic dans l'eau potable à la demande de l'industrie minière et annoncé son opposition à l'interdiction d'exploiter les réserves de gaz du parc naturel de l'Alaska. Puis il a indiqué qu'il ne signerait pas un projet de loi autorisant les malades à poursuivre les compagnies d'assurances et les organismes de soins privés. Mais le geste qui a le plus choqué a été l'abrogation des contrôles sur le C02, responsable de l'effet de serre, suivie dans la foulée du retrait américain du protocole de Kyoto. Il est revenu ce faisant sur une promesse électorale, sous l'influence de son vice-président, Dick Cheney, issu comme lui, et son secrétaire au commerce, de l'industrie pétrolière. Même s'il a tenté d'atténuer l'impact de cette décision en affirmant qu'il avait quand même l'intention de coopérer à la lutte contre l'effet de serre, il a ainsi confirmé les liens qui l'unissent aux milieux d'affaires qui ont financé sa campagne et la vision hautaine, unilatéraliste, qu'il se fait des relations des Etats-Unis avec le reste du monde : les accords internationaux ne sont bons que tant qu'ils servent les intérêts américains. Sinon ils ne sauraient engager l'Amérique. « Nous ne ferons rien qui puisse nuire à notre économie », déclarait-il le 29 mars, juste avant d'écouter les remontrances du chancelier allemand à propos de Kyoto. VOLONTÉ DE DÉSENGAGEMENT Cette vision du monde est partagée par la direction du Grand Old Party, qui avait fait échouer la ratification du traité sur l'interdiction totale des essais nucléaires comme du protocole de Kyoto. Elle s'est également manifestée par une volonté de désengagement des grands dossiers dans lesquels l'Amérique était profondément impliquée : Proche- Orient après des années d'activisme de Bill Clinton ; Irlande du Nord ; ex-Yougoslavie. De même que par le refus de soutenir les efforts du président sud-coréen Kim Dae-jung pour réduire la tension avec le dangereux voisin nord-coréen. Comme si on ne devait plus parler avec les « méchants » - comme du temps de la guerre froide - et si Washington craignait qu'une normalisation dans la péninsule coréenne ne lui ôte la principale justification de son projet de défense antimissile. Ce système a été imposé au reste du monde, alliés comme autres, sans discussion, le seul débat semblant porter sur les moyens de s'en accommoder ou de prendre le train en marche sans aucune garantie d'avoir accès à la cabine de commande. Cette nouvelle donne prend une dimension particulière dans le domaine des relations transatlantiques. Les Européens ont été mis devant le fait accompli sur le bouclier antimissile. Leur projet de défense autonome et de force d'action rapide est regardé avec suspicion par la nouvelle administration, même si M. Bush a eu des mots positifs en sa faveur. Une majorité de l'équipe présidentielle - secrétaire d'Etat Colin Powell mis à part - est hostile à la construction européenne et les récentes nominations de responsables chargés du Vieux Continent donnent la part belle à ce que certains appellent déjà une brigade anti-européenne. Enfin, une vague de businessmen texans, surtout pétroliers, a succédé dans les sphères du pouvoir à des hommes d'affaires à la vision plus internationaliste et ouverte à la coopération. Comme l'explique le professeur Reba Canuth, de l'université George-Washington, ils ne se préoccupent guère de la relation transatlantique, qui n'est pas non plus une priorité pour la nouvelle administration. Celle-ci a cependant montré, ces derniers temps, une certaine capacité d'adaptation. Tenant compte de l'hostilité d'une majorité de sénateurs, le président a reconnu qu'il devrait chercher ailleurs qu'en Alaska le gaz et le pétrole nécessaires pour satisfaire l'insatiable consommation américaine. Le plan de retrait des Balkans énoncé l'an dernier par Condoleezza Rice, conseillère pour les questions de sécurité, est mis entre parenthèses en raison de la crise en Macédoine. Et le désengagement annoncé du Proche- Orient a vite cédé la place à une politique plus présente. Même si le président continue d'affirmer qu'il ne veut imposer aucune solution, il ne peut plus rester indifférent à la spirale de la violence entre Israéliens et Palestiniens. Peut-être faudrait-il donc écouter les appels à la prudence lancés par Hubert Védrine, qui estimait récemment qu'il fallait laisser du temps à une équipe qui cherche toujours ses marques pour définir ses options et faire ses choix entre la ligne ultra et les modérés. Peut-être George W. Bush, après avoir démontré au monde sa détermination et son conservatisme, satisfaisant ainsi la base qui l'a élu, deviendra-t-il plus pragmatique et se souviendra-t-il que les élections se gagnent au centre.

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