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Hiroshima, berceau de la peur

Publié le 22/02/2012

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6 août 1945 - La bombe était réglée pour exploser au bout de quarante trois secondes. A 35, il se couvrit les yeux de lunettes de protection, mais, ne voyant plus rien, il les jeta sur le sol. " Tu vois quelque chose? " demanda Tibbetts par l'interphone à Caron, le mitrailleur de queue. " Non, commandant ". Jeppson avait établi son propre compte. A 43, il s'arrêta. " Une bombe furieuse ", pensa-t-il. A cet instant, une lumière brillante emplit l'avion et Caron aperçut une énorme masse d'air, circulaire, se précipitant vers eux à la vitesse d'un obus comme si " l'anneau ceinturant une planète éloignée s'était détaché et fonçait vers nous ". Caron se mit à dicter au magnétophone : " Une colonne de fumée s'élève rapidement. Son centre est d'un rouge sanglant... Des feux jaillissent partout... Impossible à dénombrer... Et voilà le nuage en forme de champignon "(1). Dans le siège du copilote, travaillant à son propre rapport du déroulement de la mission, Lewis écrivit : " Mon Dieu, qu'avons-nous fait ? " Ce qu'avait fait, en ce matin du 6 août 1945, à 8 h 16, l'équipage américain du bombardier B 29 Enola-Gay ? Il avait bombardé Hiroshima. Il avait parfaitement accompli une mission militaire et scientifique sans précédent porter au Japon un coup qui allait bientôt contraindre l'empereur à une capitulation jusqu'alors improbable sans doute épargner aussi des millions de vies que les généraux nippons s'apprêtaient à sacrifier. Mais pour cela, douze exécutants, et derrière eux les plus hauts responsables politiques, scientifiques et militaires des Etats-Unis, déchaînant les forces profondes de l'univers, avaient aussi fait basculer l'humanité tout entière dans l'ère nucléaire. Dans une explosion d'apocalypse, ils venaient, les uns et les autres, non seulement de changer le sort et la nature de la guerre, mais aussi la face du monde. Mission accomplie. L'équipage du B 29 s'éloigne dans un ciel d'été vers une île du Pacifique, vers des banquets, une niche dans l'Histoire et bientôt la paix. Dans un éclair fulgurant, dix fois plus puissant que les feux du soleil, la mystérieuse, l'incroyable menace du président Truman, qui avait enjoint aux Japonais de se rendre ou de voir " tomber du ciel une pluie comme l'humanité n'en a jamais connue ", vient d'être accomplie, provoquant une hécatombe. Terrible revanche militaire trois ans et huit mois après le désastre de Pearl-Harbor, lui aussi soudainement tombé du ciel. Etonnant succès scientifique, deux ans après le lancement dans la fébrilité et le plus grand secret du " projet Manhattan ". " Je suis devenu la mort " C'est en 1943, au centre de recherches de Los Alamos, dans l'Etat du Nouveau-Mexique qu'une constellation de savants-Américains et immigrés européens-se lancent sous l'égide des militaires dans une véritable course de vitesse pour construire la bombe atomique avant les nazis. Placée sous la direction d'Oppenheimer, l'équipe de Los Alamos comprenait notamment Enrico Fermi, père de la première pile nucléaire, Edward Teller, le père de la bombe à hydrogène, les théoriciens Hans Bethe et John van Neumann. Des dizaines d'autres savants, y compris le grand physicien danois Niels Bohr, participèrent, plus ou moins directement, au projet Manhattan. Le 16 juillet 1945, leurs travaux furent couronnés de succès. Ce jour-là, la toute première bombe atomique (bombe A) fut expérimentée au lieudit Trinity site. Elle vitrifia les sables du désert d'Alamogordo. Nombre d'observateurs furent transfigurés, rivés au sol par un mélange de peur et de stupeur devant l'immensité du spectacle. Oppenheimer se souvient d'un passage du Bhagavad Gita, le livre sacré des hindous : " Je suis devenu la mort, le destructeur du monde ". Au point zéro, au moment de l'explosion, la température avait été de cent millions de degrés Fahrenheit, trois fois plus qu'au coeur même du Soleil et dix mille fois plus qu'à sa surface;(...) Groves fut l'un des premiers à recouvrer ses esprits; il fit cette prédiction au général Farrell : " La guerre est terminée. Un ou deux de ces engins et cela en sera fini du Japon " (2). Trois semaines plus tard, alors que Tokyo restait sourds aux injonctions de la déclaration de Potsdam, tout était prêt. D'abord pour des raisons politiques (rivalités avec l'Union soviétique) et militaires (mettre fin à la guerre), Truman avait confirmé la décision de bombardement atomique. Après le test d'Alamogordo, il ne pouvait plus en ignorer les effets, pas en tout cas sur le plan humain. Même si Oppenheimer estimait à l'époque que la bombe A ne ferait pas plus-si l'on peut dire !-de vingt mille morts, et que la concentration radioactive n'atteindrait pas le sol. Plusieurs cibles avaient été retenues, parmi lesquelles Hiroshima (priorité numéro un) et Nagasaki (numéro quatre), deux villes de garnison particulièrement actives dans la guerre aéronavale. Tokyo dévasté en mars par les bombes incendiaires, n'était plus un objectif de choix. Par contre, Kyoto, coeur historique et culturel de l'archipel aux richesses inestimables, avait longtemps figuré en deuxième rang. C'est parce qu'il ne constituait pas un objectif militaire qu'il fut finalement épargné. Transportées sur l'île de Tinian dans l'archipel des Mariannes, les bombes étaient prêtes. La première était une bombe à uranium 235, longue de plus de 3 mètres et pesant près de 5 tonnes. Le 6 août, à 2 h 45, la " forteresse volante " dangereusement alourdie s'arrache de la piste de Tinian pour la " mission de bombardement numéro treize ". L'appareil est escorté de deux autres bombardiers. Ils mettent le cap sur Hiroshima. Ce matin-là, la ville, ses marchés, ses usines, ses écoles-et surtout le centre, aux alentours du pont Aioi-connaissent une intense activité. Quelques minutes plus tôt, après le passage de l'avion météo, le sirènes ont annoncé une ... fin d'alerte aérienne. Hiroshima compte alors une population d'environ quarante mille soldats et deux cent quatre-vingt mille civils. Soixante mille personnes ont déjà été évacuées, d'autres doivent suivre, mais beaucoup, employées par les industries de guerre, ne peuvent quitter la ville. Pour limiter les dégâts des raids aériens américains, trente mille adultes et douze mille écoliers (de douze à dix-sept ans) ont été organisés en brigades de démolition. Ils ont déjà détruit soixante dix mille maisons en bois. Ils s'activent dès le petit matin pour protéger Hiroshima contre les feux tombés du ciel... Efforts dérisoires. A 8 h 16, en une fraction de seconde, en un éclair, la matière est vaporisée, les hommes désintégrés par un chalumeau d'apocalypse. A trois kilomètres, l'onde allumait des incendies en série à quatre kilomètres, la peau partait en lambeaux. Tel un flash foudroyant, " Pikadon " (l'éclair-explosion, comme disent les Japonais) imprime sur la peau les motifs des kimonos, calcine la chair et les habits, bombarde les corps de neutrons et de rayons gamma. Un abandon total Les chiffres donnent une idée de l'ampleur du désastre, des moyens dérisoires pour y faire face et de l'abandon dans lequel fut laissée pour l'essentiel la ville d'Hiroshima. Près de quatre-vingt mille personnes périrent sur le coup ou dans les jours et semaines suivantes. Un an plus tard, les autorités de la ville dénombraient environ cent vint mille morts (dont cinq mille soldats et huit mille Coréens employés comme main-d'oeuvre forcée), trois mille six cents disparus, soixante-et-douze mille blessés, cent vingt mille sans-abri. A divers degrés, la quasi-totalité de la population d'Hiroshima avait été affectée. En 1985, les " Hibakushas " (victimes des bombardements atomiques) sont officiellement trois cent soixante-dix mille. Plus de cent mille requièrent encore des soins réguliers. Dans le grand hôpital de la Croix-Rouge (quatre cents lits), relativement épargné, six docteurs et dix infirmières disposant seulement de bandages et de mercurochrome allaient tenter l'impossible, jour et nuit, pour assister des milliers et des milliers de victimes. Les secours seraient longs, dramatiquement longs à venir de l'extérieur. D'autant qu'à Tokyo les chefs militaires, pourtant informés du sort d'Hiroshima, renforçaient la censure et tergiversaient encore sur l'éventualité et les modalités d'une reddition du Japon. Aux Etats-Unis, à bord du croiseur Augusta, Harry Truman avait accueilli l'annonce du bombardement d'Hiroshima par ces mots : " C'est le plus grand jour de l'Histoire. " Comme si un tel jour et une telle bombe ne suffisaient pas à ses desseins, le président américain allait, dans la foulée, donner le feu vert à une seconde explosion nucléaire. Après Hiroshima, le 6 août, ce serait, le 9, Nagasaki. Après l'uranium, le plutonium. En cet été 1945, la " paix américaine " est synonyme de guerre atomique. ROLAND-PIERRE PARINGAUX Le Monde du 4 août 1985

« et que la concentration radioactive n'atteindrait pas le sol. Plusieurs cibles avaient été retenues, parmi lesquelles Hiroshima (priorité numéro un) et Nagasaki (numéro quatre), deux villesde garnison particulièrement actives dans la guerre aéronavale.

Tokyo dévasté en mars par les bombes incendiaires, n'était plusun objectif de choix.

Par contre, Kyoto, coeur historique et culturel de l'archipel aux richesses inestimables, avait longtemps figuréen deuxième rang.

C'est parce qu'il ne constituait pas un objectif militaire qu'il fut finalement épargné. Transportées sur l'île de Tinian dans l'archipel des Mariannes, les bombes étaient prêtes.

La première était une bombe àuranium 235, longue de plus de 3 mètres et pesant près de 5 tonnes. Le 6 août, à 2 h 45, la " forteresse volante " dangereusement alourdie s'arrache de la piste de Tinian pour la " mission debombardement numéro treize ".

L'appareil est escorté de deux autres bombardiers.

Ils mettent le cap sur Hiroshima. Ce matin-là, la ville, ses marchés, ses usines, ses écoles-et surtout le centre, aux alentours du pont Aioi-connaissent une intenseactivité.

Quelques minutes plus tôt, après le passage de l'avion météo, le sirènes ont annoncé une ...

fin d'alerte aérienne.Hiroshima compte alors une population d'environ quarante mille soldats et deux cent quatre-vingt mille civils.

Soixante millepersonnes ont déjà été évacuées, d'autres doivent suivre, mais beaucoup, employées par les industries de guerre, ne peuventquitter la ville. Pour limiter les dégâts des raids aériens américains, trente mille adultes et douze mille écoliers (de douze à dix-sept ans) ont étéorganisés en brigades de démolition.

Ils ont déjà détruit soixante dix mille maisons en bois.

Ils s'activent dès le petit matin pourprotéger Hiroshima contre les feux tombés du ciel... Efforts dérisoires. A 8 h 16, en une fraction de seconde, en un éclair, la matière est vaporisée, les hommes désintégrés par un chalumeaud'apocalypse. A trois kilomètres, l'onde allumait des incendies en série à quatre kilomètres, la peau partait en lambeaux.

Tel un flashfoudroyant, " Pikadon " (l'éclair-explosion, comme disent les Japonais) imprime sur la peau les motifs des kimonos, calcine lachair et les habits, bombarde les corps de neutrons et de rayons gamma. Un abandon total Les chiffres donnent une idée de l'ampleur du désastre, des moyens dérisoires pour y faire face et de l'abandon dans lequel futlaissée pour l'essentiel la ville d'Hiroshima.

Près de quatre-vingt mille personnes périrent sur le coup ou dans les jours et semainessuivantes.

Un an plus tard, les autorités de la ville dénombraient environ cent vint mille morts (dont cinq mille soldats et huit milleCoréens employés comme main-d'oeuvre forcée), trois mille six cents disparus, soixante-et-douze mille blessés, cent vingt millesans-abri.

A divers degrés, la quasi-totalité de la population d'Hiroshima avait été affectée.

En 1985, les " Hibakushas " (victimesdes bombardements atomiques) sont officiellement trois cent soixante-dix mille.

Plus de cent mille requièrent encore des soinsréguliers. Dans le grand hôpital de la Croix-Rouge (quatre cents lits), relativement épargné, six docteurs et dix infirmières disposantseulement de bandages et de mercurochrome allaient tenter l'impossible, jour et nuit, pour assister des milliers et des milliers devictimes.

Les secours seraient longs, dramatiquement longs à venir de l'extérieur.

D'autant qu'à Tokyo les chefs militaires,pourtant informés du sort d'Hiroshima, renforçaient la censure et tergiversaient encore sur l'éventualité et les modalités d'unereddition du Japon. Aux Etats-Unis, à bord du croiseur Augusta, Harry Truman avait accueilli l'annonce du bombardement d'Hiroshima par cesmots : " C'est le plus grand jour de l'Histoire.

" Comme si un tel jour et une telle bombe ne suffisaient pas à ses desseins, leprésident américain allait, dans la foulée, donner le feu vert à une seconde explosion nucléaire.

Après Hiroshima, le 6 août, ceserait, le 9, Nagasaki.

Après l'uranium, le plutonium.

En cet été 1945, la " paix américaine " est synonyme de guerre atomique. ROLAND-PIERRE PARINGAUX Le Monde du 4 août 1985 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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