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Hongkong : une oasis capitaliste

Publié le 22/02/2012

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15 octobre 1949 - Un jour avant la prise de Canton par les communistes et la coupure des communications avec Hong-Kong, Robert Guillain câblait au monde cet article . Quatre mois de régime communiste avaient déjà suffi à nous plonger, à Shanghai, dans un monde d'ennui, d'austérité et de vie au ralenti. Mais voici de nouveau Hongkong, avec sa rade grouillante d'activité, ses palaces pleins à craquer, ses filles splendides gainées de soie, ses autos de grand luxe montant à l'assaut du Pic. Hongkong, où semble s'être transporté tout ce qui avait déserté le cadre désormais vide de Shanghai: les affaires et l'argent, l'agitation de fourmilière, la chasse aux introuvables logis dont on paie le pas de porte en barres d'or, les cocktails-parties, le survol constant des avions de grandes lignes, le passage des grands paquebots, les soirées dansantes en smoking, le ruissellement nocturne des lumières et des hautes enseignes au néon... Eclatant paradis capitaliste qui survit en marge de la " nouvelle démocratie " des communistes chinois, cette ville connaît, même en ce septembre 1949, un optimisme qui, en avril, m'avait paru subir une éclipse. Mao Zedong venait de donner aux troupes communistes l'ordre de franchir le Yangzi -j'allais écrire le Rubicon,-et Hongkong, dernière colonie britannique en Extrême-Orient, craignait que les jours ou les mois ne lui fussent comptés. Aujourd'hui les armées rouges sont sur le point d'attaquer Canton et d'arriver aux frontières du territoire anglais devant l'île; et cependant l'optimisme est revenu. Ce renouveau de confiance est dû à deux ordres de faits. Les Anglais, tout d'abord, sont maintenant persuadés que les communistes n'ont pas l'intention d'attaquer leur île quand ils auront pris Canton. Mao Zedong et les siens ont trop à faire chez eux, pense-t-on, pour se lancer dans la dangereuse aventure d'un conflit armé avec les forces anglaises. Bien plus, pour le moment, et pour plusieurs années peut-être, ils ont besoin que Hongkong subsiste et prospère. La Chine nouvelle ne pourra pas se permettre de vivre dans un régime de complète autarcie économique. Même, et surtout, si elle reste brouillée avec les Américains, Hongkong demeurera pour elle la porte indispensable du commerce extérieur. Fait significatif, la propagande des communistes chinois, si violente à l'égard des Etats-Unis, s'est presque complètement abstenue d'attaquer la présence anglaise à Hongkong, et les déclarations officielles, qui parlaient de reprendre par exemple Formose et le Tibet, sont restées muettes au sujet de l'île. D'autre part-et c'est la seconde raison du nouvel optimisme qui règne dans la colonie,-les données militaires de la situation ont changé du tout au tout au cours de ces derniers mois. Hongkong en avril était plus facile à prendre que du temps de Pearl-Harbor. Hongkong en septembre est à peu près imprenable. En face de l'île fameuse, dans les vallées sèches du territoire à bail de Kowloon, qui est la tête de pont de la colonie sur le continent tout proche, les indices du changement intervenu sont multiples : routes neuves et travaux de défense, camps militaires où les troupes vivent sous la tente, zones interdites où s'est accumulé discrètement, arrivant la nuit, le matériel débarqué des transports qui viennent d'Angleterre, du Moyen-Orient ou de Malaisie. C'est la visite, au début de l'été, du ministre de la défense britannique Alexander qui a marqué le tournant de la situation. Les effectifs qui assuraient la défense de Hongkong au début de cette année ne devaient pas dépasser ceux d'un régiment. Aujourd'hui, les chiffres publiés attribuent à la colonie une garnison de vingt-cinq mille à trente mille hommes des trois armes. On laisse entendre d'ailleurs que les chiffres exacts sont plus élevés encore et sont probablement sur le point d'atteindre cinquante mille hommes. Enfin, la défense de Hongkong est un des points pour lesquels l'Angleterre peut compter sur l'appui des Etats-Unis, même si la politique américaine à l'égard du nouveau régime chinois trahit un certain désaccord avec la politique anglaise. M. Dean Acheson, en publiant récemment le Livre blanc américain sur la Chine, a promis que les dispositions de la charte des Nations unies seraient invoquées par les Etats-Unis à la moindre attaque des communistes chinois contre un territoire voisin de la Chine : c'est laisser entendre que l'assistance militaire pourrait suivre à son tour. La grande préoccupation : faire cesser le blocus Mais encore une fois Hongkong a confiance qu'on n'en viendra pas là. Montrer la force, mais pour éviter d'avoir à s'en servir, c'est la politique de l'Angleterre en Chine; et, en dépit des préparatifs militaires, ce sont encore les banquiers et les grands hommes d'affaires de Hongkong qui déterminent cette politique. Pour eux les préoccupations commerciales passent d'abord. Et la sécurité de Hongkong étant maintenant assurée, ils n'ont plus qu'un souci : voir lever le blocus de la Chine communiste par les nationalistes, qui a presque tué Shanghai et ralenti les affaires avec la Chine du Nord. Ils demandent à la fois que la flotte britannique assure la protection des cargos naviguant sous l'Union Jack et que Londres intervienne auprès des Etats-Unis, qui auraient, s'ils voulaient bien s'en servir, de puissants moyens d'action sur le régime moribond de Tchiang Kaï-Chek pour faire cesser le blocus : embargo financier et cessation des livraisons d'essence. On croit savoir que des représentations ont été faites à ce sujet par Londres à Washington. Auraient-elles déjà produit quelque effet ? Pour la première fois, deux grands cargos américains sont entrés à Shanghai vers le 20 septembre : les nationalistes les ont laissés passer. Bientôt ceux-ci ne disposeront plus, pour continuer leur résistance après la chute de Canton, que d'une base, l'île de Formose. Il suffit que l'Angleterre et les Etats-Unis s'entendent pour " neutraliser " Formose, et le blocus aura vécu; Hongkong pourra se rattraper alors d'un long arrêt de ses rapports avec Shanghai. A vrai dire, le blocus n'a jamais interrompu le courant des affaires avec la Chine du Nord, le port de Tien-tsin en particulier étant trop éloigné des bases nationalistes pour être effectivement bloqué par mer ou par air. Les importations à Hongkong en provenance de la Chine du Nord ont même triplé en août 1949 par rapport à août 1948, et les exportations en sens inverse plus que doublé : au total celles-ci représenteraient depuis le début du blocus entre 150 000 et 200 000 tonnes. Ce miracle capitaliste peut-il se prolonger longtemps aux portes d'un monde conquis par le communisme ? Et si les communistes se dispensent d'attaquer Hongkong de l'extérieur, ne vont-ils pas agir par l'intérieur ? N'existe-t-il pas dans Hongkong même un danger immédiat, celui d'une révolte communiste dans la population chinoise ? Les Anglais, ici encore, ont pris depuis le printemps dernier les mesures de précaution qui s'imposaient. Tout en laissant aux communistes, avec une remarquable tolérance, la " soupape " d'une presse à peu près libre, où leur propagande s'étale au grand jour, le gouvernement colonial de Hongkong a interdit toute activité des partis politiques et s'est armé d'une législation vigoureuse pour maintenir le calme dans la population chinoise : contrôle des entrées, déportation des indésirables, enregistrement de tous les Chinois, interdiction des grèves ouvrières, etc. Les communistes eux-mêmes-indication significative de leur politique actuelle-n'ont protesté que pour la forme. Le Parti communiste de Hongkong, à peine clandestin, se tient tout à fait tranquille, comme on le lui demande. Les ouvriers chinois, qui savent à quel point leurs conditions de vie sont meilleures que celles qui prévalent en Chine, s'abstiennent de toute agitation, et les syndicats ne bougent pas. Tout se passe, encore une fois, comme si le nouveau régime chinois n'avait aucunement le désir d'attaquer la souveraineté britannique à Hongkong, mais bien plutôt le désir de ménager l'Angleterre et de maintenir l'état de choses actuel afin de rétablir au plus tôt un courant d'échanges actif avec le monde extérieur. Combien de temps cela durera-t-il ? Les Anglais évitent de se poser la question. Que les communistes, qui sont aussi des nationalistes, viennent à soulever un jour le problème de Hongkong, cela ne fait guère de doute. Mais, à moins d'un coup de surprise pour lequel la garnison de Hongkong se tient toujours en alerte, on ne croit pas que ce soit pour tout de suite. En attendant, Hongkong peut continuer à prospérer. ROBERT GUILLAIN Le Monde du 14 octobre 1949

« militaires, ce sont encore les banquiers et les grands hommes d'affaires de Hongkong qui déterminent cette politique.

Pour eux lespréoccupations commerciales passent d'abord.

Et la sécurité de Hongkong étant maintenant assurée, ils n'ont plus qu'un souci :voir lever le blocus de la Chine communiste par les nationalistes, qui a presque tué Shanghai et ralenti les affaires avec la Chine duNord. Ils demandent à la fois que la flotte britannique assure la protection des cargos naviguant sous l'Union Jack et que Londresintervienne auprès des Etats-Unis, qui auraient, s'ils voulaient bien s'en servir, de puissants moyens d'action sur le régimemoribond de Tchiang Kaï-Chek pour faire cesser le blocus : embargo financier et cessation des livraisons d'essence. On croit savoir que des représentations ont été faites à ce sujet par Londres à Washington.

Auraient-elles déjà produit quelqueeffet ? Pour la première fois, deux grands cargos américains sont entrés à Shanghai vers le 20 septembre : les nationalistes les ontlaissés passer.

Bientôt ceux-ci ne disposeront plus, pour continuer leur résistance après la chute de Canton, que d'une base, l'îlede Formose. Il suffit que l'Angleterre et les Etats-Unis s'entendent pour " neutraliser " Formose, et le blocus aura vécu; Hongkong pourra serattraper alors d'un long arrêt de ses rapports avec Shanghai. A vrai dire, le blocus n'a jamais interrompu le courant des affaires avec la Chine du Nord, le port de Tien-tsin en particulierétant trop éloigné des bases nationalistes pour être effectivement bloqué par mer ou par air.

Les importations à Hongkong enprovenance de la Chine du Nord ont même triplé en août 1949 par rapport à août 1948, et les exportations en sens inverse plusque doublé : au total celles-ci représenteraient depuis le début du blocus entre 150 000 et 200 000 tonnes. Ce miracle capitaliste peut-il se prolonger longtemps aux portes d'un monde conquis par le communisme ? Et si lescommunistes se dispensent d'attaquer Hongkong de l'extérieur, ne vont-ils pas agir par l'intérieur ? N'existe-t-il pas dansHongkong même un danger immédiat, celui d'une révolte communiste dans la population chinoise ? Les Anglais, ici encore, ont pris depuis le printemps dernier les mesures de précaution qui s'imposaient.

Tout en laissant auxcommunistes, avec une remarquable tolérance, la " soupape " d'une presse à peu près libre, où leur propagande s'étale au grandjour, le gouvernement colonial de Hongkong a interdit toute activité des partis politiques et s'est armé d'une législation vigoureusepour maintenir le calme dans la population chinoise : contrôle des entrées, déportation des indésirables, enregistrement de tous lesChinois, interdiction des grèves ouvrières, etc. Les communistes eux-mêmes-indication significative de leur politique actuelle-n'ont protesté que pour la forme.

Le Particommuniste de Hongkong, à peine clandestin, se tient tout à fait tranquille, comme on le lui demande.

Les ouvriers chinois, quisavent à quel point leurs conditions de vie sont meilleures que celles qui prévalent en Chine, s'abstiennent de toute agitation, et lessyndicats ne bougent pas. Tout se passe, encore une fois, comme si le nouveau régime chinois n'avait aucunement le désir d'attaquer la souverainetébritannique à Hongkong, mais bien plutôt le désir de ménager l'Angleterre et de maintenir l'état de choses actuel afin de rétablir auplus tôt un courant d'échanges actif avec le monde extérieur. Combien de temps cela durera-t-il ? Les Anglais évitent de se poser la question. Que les communistes, qui sont aussi des nationalistes, viennent à soulever un jour le problème de Hongkong, cela ne fait guèrede doute. Mais, à moins d'un coup de surprise pour lequel la garnison de Hongkong se tient toujours en alerte, on ne croit pas que ce soitpour tout de suite.

En attendant, Hongkong peut continuer à prospérer. ROBERT GUILLAIN Le Monde du 14 octobre 1949 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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